« J’ai décidé d’engager un contentieux contre l’État car il ne respecte pas les Parisiens et ses obligations constitutionnelles ». En pleine polémique sur l’augmentation de la taxe foncière parisienne de 52 %, la maire (PS) de Paris, Anne Hidalgo, a annoncé sur LCI, mercredi 6 septembre, vouloir engager un contentieux devant les juridictions françaises et européennes pour non-respect de la « libre administration et de l’autonomie des collectivités locales ».
Un recours devant le tribunal administratif
La mairie de Paris conteste l’arrêté du 17 avril 2023 faisant tomber sa DGF à « zéro euro » pour son budget 2023. « On a déposé un recours fin août devant le tribunal administratif », révèle à « La Gazette » Paul Simondon, adjoint à la maire chargé des finances et du budget. Pour Michel Bouvier, professeur des universités et président de Fondafip, « une erreur de calcul n’est pas impossible, vue la complexité de la DGF ». Des décisions dans le passé l’ont montré.
Mais le nœud du problème est bien plus large. « On conteste le désengagement de l’État et la raréfaction de nos recettes propres, sur lesquelles il y a un pouvoir de taux », explique Paul Simondon. Il dénonce la « disparition du lien fiscal entre les contribuables et les collectivités, qui est un problème démocratique » et des « mécanismes de compensation discutables de l’État et pas forcément pérennes sur la durée ».
Juridiquement, « la mairie avance que cet arrêté est la traduction d’un mécanisme plus large qui, lui, serait contraire à la Constitution et aux normes européennes », analyse Yvon Goutal, avocat spécialiste des collectivités territoriales. Ce recours pourrait, en effet, entraîner la présentation d’une QPC au Conseil constitutionnel et la saisine de la CJUE. « La France ne respecte pas ses engagements internationaux, en particulier la charte européenne de l’autonomie locale« , défend Paul Simondon.
La libre administration des collectivités en question
Plus précisément, deux principes sont remis en cause par la ville : l’intelligibilité de la loi et la libre administration des collectivités locales. « Si ce recours aboutissait, ce serait, selon l’avocat, un sacré coup de tonnerre, parce que ça fait des décennies que ces deux moyens sont invoqués régulièrement à l’égard d’actes pris par l’Etat, et que le Conseil constitutionnel les écarte consciencieusement et systématiquement. » « Sur l’intelligibilité de la loi, le Conseil constitutionnel pourrait même en rigoler : tout le monde sait très bien qu’on n’y comprend rien aux lois de finances publiques ! », s’amuse Yvon Goutal.
En ce qui concerne la libre administration des collectivités, le débat resterait ouvert, toujours selon l’avocat. « Il y a une vraie ambiguïté dans la politique de l’Etat, depuis des années, qui consiste à supprimer des marges de manœuvre dans l’autonomie financière des collectivités pour les replacer par des dotations d’Etat qui sont ensuite supprimées. C’est vrai qu’il y a un côté agaçant. »
Un rapport du Sénat plaide pour une meilleure compensation
Une mission d’information pour évaluer « l’impact des décisions réglementaires et budgétaires de l’Etat sur l’équilibre financier des collectivités locales » a proposé, avant l’été, d’inscrire dans la Constitution que toute création ou extension de compétences des collectivités territoriales résultant d’une décision de l’Etat et ayant pour effet d’augmenter les dépenses de celles-ci soit accompagnée de ressources équivalentes, avec un réexamen a minima tous les cinq ans.
Finalement, la ville de Paris peut-elle obtenir gain de cause, ou même avoir une QPC transmise aux Sages ? « Je ne leur donne pas beaucoup de chances de succès vu les jurisprudences passées. On peut penser que toute cette affaire est en réalité un tour de passe-passe médiatique pour détourner l’attention d’une hausse en catastrophe des impôts locaux », souligne Yvon Goutal.
Paul Simondon refuse cette lecture. Il assure que les élus de droite des autres collectivités ne demandent pas autre chose que Paris. « On veut tous avoir une autonomie financière pour pouvoir réaliser ce pour quoi on a été élus », pointe-t-il.
Le besoin d’une évolution constitutionnelle
L’avocat spécialiste reconnaît que « les questions posées sont de vraies questions ». Mais il relève aussi qu’un problème de fond risque d’être opposé à la mairie de Paris : le régime mis en cause, c’est-à-dire la péréquation, ne met pas Paris dans une position favorable : « La ville est assise sur un tas d’or, alors que le département de la Seine-Saint-Denis, par exemple, est au bord de la faillite. Donc évidemment que la péréquation est légitime. »
Paris n’est pas la seule commune avec une DGF à zéro
En 2023, 286 communes n’ont touché aucun euro de DGF, du village d’Aingoulaincourt en Haute-Marne, a de plus grandes villes, comme les communes Puteaux, Neuilly-sur-Seine ou Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), mais aussi Paris. Onze communes vont perdre la totalité de la DGF touchée en 2022, et notamment plus de 20 000 euros pour les communes de Lezennes et Leffrinkoucke dans le Nord.
C’est la libre administration qui se cache au fond de ce débat : « Il faudrait que le régime évolue constitutionnellement, ajoute l’avocat, pour mieux garantir les collectivités contre les allers-retours de l’Etat sur le sujet. L’enjeu, c’est la stabilité pour un certain nombre de collectivités. »
Un point de vue partagé par Michel Bouvier. « Ce recours est révélateur. Le modèle financier local n’existe plus et ce qui l’a remplacé est complètement désordonné. Il faut repenser la décentralisation financière des collectivités, mais c’est une décision politique et institutionnelle », estime-t-il. Des remarques qui n’empêche pas Paul Simondon d’y croire à l’amorce de ce combat judiciaire.
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