Les premières lois de décentralisation avaient pour but de rapprocher la décision des usagers et de prendre en compte la formidable diversité des territoires, de la géographie, des cultures et des hommes.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Si la perte d’autonomie fiscale demeure la principale limite au plein exercice des compétences décentralisées, il en est de plus larvées, mais aussi redoutables.
L’Etat gestionnaire devait devenir l’Etat stratège. Localement, il est surtout chargé de l’application d’une multitude de normes. Ces vingt dernières années, leur nombre a été multiplié par trois. Il en existe 400
000 rien que pour la construction des équipements sportifs.
Un transfert de pouvoir au préfet
Les collectivités sont ainsi conduites à faire expertiser la plupart de leurs décisions et à négocier avec les services de l’Etat leur compréhension dans l’application de normes parfois contradictoires entre elles. Un simple dossier de confortement de digues peut, par exemple, comporter des milliers de pages, comme récemment le long de la Durance, au risque de fragilités face à des contentieux et de reports de travaux urgents. Cet univers de plus en plus kafkaïen entraîne, de facto, un transfert de pouvoir au préfet, dont la mansuétude devient essentielle à l’avancée des projets locaux.
Quant au droit à l’expérimentation locale, intégré à la Constitution en des termes frileux, il se heurte à des lourdeurs considérables et à la prudence extrême des administrations publiques devant un régime jugé dérogatoire.
Comment imaginer des cultures différentes entre les fonctions publiques quand leur haute administration est formée de façon identique, passe les mêmes concours à des dates savamment combinées et conduit des carrières presque similaires, avec les fameuses passerelles que nous avons imprudemment revendiquées ? Sans oublier que les formations privilégient la culture de gestion administrative plus que de projet.
Les métropoles distantes des citoyens
Le pouvoir est progressivement transféré des communes et des départements aux intercommunalités et aux régions. Or, ces deux derniers niveaux n’ont cessé de muter et de s’étendre. Au nom de leur renforcement, mais avec quels effets ? Ainsi, les métropoles, au nom urbain mais aux contours bien ruraux, sont engoncées dans une gestion de plus en plus distante des citoyens. Les grandes régions sont également empêtrées dans l’harmonisation des critères de gestion au sein de territoires plus grands que l’Irlande, l’Autriche ou même les Pays-Bas.
A quoi bon décentraliser si, in fine, seule prévaut l’égalité de traitement des citoyens dans des territoires sans culture et identité partagées ? C’est d’ailleurs à cette seule aune que la Cour des comptes a émis des rapports sévères sur les nouvelles régions et métropoles. Sans préjuger de nouvelles réformes de périmètres, est-il étonnant que ces collectivités traitent avant tout d’harmonisation des critères de gestion, c’est-à-dire d’uniformisation, alors que la décentralisation était un éloge de la diversité et de la créativité ?
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