L’idĂ©e est dans l’air du temps. Les publications et les tables rondes se multiplient : le concept de smart city et sa transposition française de « ville intelligente » seraient dĂ©passĂ©s. Plusieurs arguments Ă©tayent la dĂ©monstration. Après IBM et Cisco, les inventeurs du concept, Google a jetĂ© l’Ă©ponge en se retirant, il y a un an, du projet de ville du futur de Toronto, au Canada. La crise sanitaire, ensuite, accĂ©lĂ©rateur magistral d’usages nouveaux, a provoquĂ© une prise de conscience des fragilitĂ©s de notre sociĂ©tĂ© face au numĂ©rique et rĂ©vĂ©lĂ© les failles bĂ©antes de nouvelles fractures.
Se diffuse Ă©galement l’idĂ©e d’une lassitude des habitants, confrontĂ©s Ă une incessante course aux innovations ; les projets de smart city se voient alors promettre les mĂŞmes controverses que celles de Linky ou de la 5G.
Alors, certes, la dĂ©nonciation est parfois fondĂ©e. Quelques projets clinquants affichent l’innovation et parfois la communication ou le marketing pour seules finalitĂ©s. A confondre innovation et progrès, Ă promouvoir des gadgets inutiles, les promoteurs de ces projets font fausse route.
Mais concrètement, les projets territoriaux qui utilisent massivement le numĂ©rique (et son corollaire, le traitement des donnĂ©es) pour optimiser le pilotage des politiques locales, pour inventer de nouvelles formes d’action publique et pour personnaliser les services en fonction des besoins des habitants, sont de plus en plus nombreux (1). Ces innovations se diffusent de multiples manières.
Le dĂ©veloppement des infrastructures (la fibre, notamment) les favorise. Les dĂ©lĂ©gataires de service (Ă©clairage, eau, parkings, dĂ©chets, mobilier urbain…) intègrent systĂ©matiquement Ă leurs offres de nouveaux outils d’optimisation. Et la rĂ©cente Ă©tude publiĂ©e par l’observatoire Data Publica sur les dĂ©lĂ©gations des Ă©lus dans les 100 plus grandes villes françaises montre que le sujet prĂ©occupe les nouveaux exĂ©cutifs municipaux.
Enfin, si Google semble avoir renoncé à gérer directement des villes pilotées par la donnée, il investit massivement, comme Huawei, mais aussi de nombreux opérateurs français et européens, dans les infrastructures de gestion numérique des villes.
La question n’est donc pas de savoir si les territoires sont plus smart ou plus « intelligents » les uns que les autres. Elle est de savoir quels territoires prennent et conservent la maĂ®trise des modes de gestion de leurs principales fonctions urbaines. Ce qui est peut-ĂŞtre terminĂ©, c’est une certaine idĂ©e de la smart city et un imaginaire solutionniste bĂ©at. Mais les enjeux politiques et professionnels, Ă l’Ă©vidence, perdurent.
Attention, alors, Ă ne pas cĂ©der Ă une forme de paresse intellectuelle, politique et managĂ©riale. Refuser de voir que les nouveaux usages du numĂ©rique et de la donnĂ©e sont de plus en plus prĂ©sents c’est peut-ĂŞtre rater l’occasion de quelques progrès utiles, mais c’est surtout prendre un risque majeur, celui de la privatisation, de fait, de la perte de contrĂ´le et de la souverainetĂ© de l’action publique.
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Notes
Note 01 En 2017, une trentaine de collectivités françaises avaient engagé des projets « smart territoire ». En 2020, elles sont près de 200 à avoir intégré le pilotage numérique de leurs politiques lors d'appels d'offres (source : Observatoire Data Publica). Retour au texte








