Selon Romain Badouard, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris 2 – Panthéon-Assas, si les réseaux sociaux sont devenus l’une des arènes principales du débat public, le débat traditionnel peut toutefois coexister et même s’enrichir de cette forme d’expression citoyenne. Aux élus de s’en emparer et de saisir cette opportunité de renouer avec les citoyens.
Pourquoi les « gilets jaunes » ont-ils choisi Facebook pour exprimer leurs revendications et organiser leur mouvement ?
Facebook est le lieu de discussion politique au quotidien, il ne faut pas l’oublier. En France, ce réseau social est très apprécié du grand public, il est utilisé par une population sociologiquement très élargie. Les « gilets jaunes » ont commencé avec une pétition en ligne qui a été mise ensuite sur Facebook. Et, à la différence de Twitter, Facebook propose des outils efficaces pour s’organiser : création de pages et de groupes. De plus, les algorithmes, changés récemment, font que les discussions affichées sur les groupes remontent davantage que celles provenant des pages. De manière plus globale, les réseaux sociaux ont fourni aux citoyens un espace de libération de la prise de parole, notamment, en permettant de s’affranchir de certains des carcans sociaux qui pèsent sur l’expression au quotidien.
Qu’apportent les réseaux sociaux en termes de participation citoyenne ? Peut-on dire qu’ils servent ou, au contraire, desservent la démocratie ?
En fait, les deux, puisque ce sont les deux faces d’une même pièce. Facebook est désormais un outil de démocratie dont se sont emparés des publics qui étaient éloignés de la politique. Mais l’on peut s’inquiéter car le débat politique se déroule sur un site détenu par une société privée, d’autant plus qu’il s’agit d’une compagnie américaine soumise au droit californien. En outre, Facebook n’a pas été créé à l’origine pour servir le débat public. Or cette plateforme génère de nombreux problèmes de transparence et de confidentialité. Sans parler du danger des tentatives d’ingérence de la part des pays étrangers. Enfin, d’un point de vue strictement politique, le volume des discussions pose la question de la représentativité. Sur les réseaux sociaux, la popularité y fait la légitimité.
Les réseaux sociaux sont-ils compatibles avec le débat traditionnel ? Peut-on encore débattre à l’ère des réseaux sociaux ?
Les élus se sentent court-circuités, et c’est normal, puisque les « gilets jaunes » ne sont pas passés par les corps intermédiaires et n’ont pas employé les moyens classiques d’expression citoyenne. Mais qu’ils se rassurent : le débat sur Facebook ne va pas remplacer le débat traditionnel. Les édiles doivent voir cette expression sur les réseaux sociaux comme une chance pour eux d’accéder à une parole citoyenne qui n’existait pas auparavant. Ils doivent utiliser les réseaux sociaux pour faire une veille en ligne de cette parole qui leur permettra, dans un second temps, d’organiser des débats publics hors réseau social. Les élus ont un rôle à jouer afin que le débat public sorte de la sphère en ligne. Et les cahiers de doléances à disposition dans les mairies semblent aller dans ce sens.