Certains Etats européens contestent la pertinence de la politique de cohésion, et même sa poursuite après 2020. Quelle est la position de la France ?
D’abord, je trouve que l’on n’en parle pas assez, compte tenu des enjeux. Il est indispensable que la politique de cohésion fasse l’objet de débats, pour montrer à quel point il s’agit d’une politique importante pour la France, et qu’elle a des effets positifs et concrets sur le quotidien de nos concitoyens.
A ce stade des négociations, nous voulons faire passer ce message : nous sommes attachés au maintien de la politique de cohésion. Il faut la poursuivre, quitte à la faire évoluer, par exemple dans les domaines où elle intervient.
Avez-vous été écouté ?
Lors du conseil général aux affaires européennes à Luxembourg, le 12 avril, j’ai eu le sentiment que notre position était attendue. L’expression de la France était importante pour nos partenaires. Avec les réserves propres à cette période de dialogue et d‘échanges, j’ai le sentiment qu’une grande majorité d’Etats, sur le principe, nous soutient.
Quels principes défendez-vous ?
La Commission a présenté trois scenarii. Le premier permet une prise en compte de tous les territoires au niveau européen. Le deuxième, dit « de convergence », considère qu’il ne faut mener cette politique de cohésion que là où la richesse par habitant est la plus basse, avec comme seul critère le PIB. Avec le troisième scénario, même nos territoires ultramarins sortiraient de la politique de cohésion. La France a très clairement exprimé son soutien au scénario n° 1.
Les objectifs de la politique de cohésion doivent-ils évoluer ?
Nous ne souhaitons pas nécessairement que les choses perdurent à l’identique ! Nous souhaitons que pour pleinement réussir sa mission la politique de cohésion prenne en compte des objectifs de convergence fiscale et sociale. On ne peut avoir des Etats qui bénéficient largement de cette politique et conduiraient des politiques fiscales ou sociales non coopératives. Nous avons ciblé des priorités thématiques : lutte contre le chômage, notamment des jeunes ; lutte contre le changement climatique et pour la transition énergétique, pour être en adéquation avec notre politique nationale ; soutien à la recherche et l’innovation ; formation ; transformation numérique.
On ne peut avoir des Etats qui bénéficient largement de cette politique et conduiraient des politiques fiscales ou sociales non coopératives.
Qu’en est-il du ciblage des régions éligibles à la politique de cohésion ?
Nous voulons être fermes sur le fait que cette politique doit pouvoir bénéficier à toutes nos régions françaises, quitte à ce qu’à l’intérieur de chaque région le ciblage diffère.
Ce ciblage régional dépendrait du PIB ?
Pas seulement. Vue la taille de nos régions, exclure telle ou telle en fonction du PIB serait impensable. La cohésion est nécessaire dans toutes les régions. A cet égard, le gouvernement a travaillé et continue de travailler de façon très solidaire avec Régions de France. Nous n’avons affiché aucune divergence.
Vraiment ?
Il peut y avoir des divergences d’appréciation. Mais je défends un principe : dans la négociation avec nos partenaires européens, nous n’avons pas intérêt à exhiber des antagonismes locaux. Ce serait déraisonnable, les enjeux sont trop importants.
Nous n’avons pas intérêt à exhiber des antagonismes locaux. Ce serait déraisonnable, les enjeux sont trop importants.
Les régions s’inquiètent cependant qu’en cas de baisse du budget, la PAC puisse être privilégiée au détriment de la politique de cohésion…
Toutes les inquiétudes peuvent être exprimées. Cela étant, ce n’est absolument pas la position que le gouvernement a adoptée : il ne faut surtout pas privilégier l’une ou l’autre.
Il se trouve que je suis passé dans les deux ministères [ministère de l’Agriculture, qui gère la PAC, et le ministère de la Cohésion des territoires, qui gère les fonds structurels, ndlr] : jamais il ne me viendrait à l’esprit de défendre la baisse du budget de la cohésion des territoires au profit de la PAC !
Mais le risque de baisse des montants est réel…
Aujourd’hui, on sait que le Brexit aura pour conséquence une baisse de l’ordre de 10 à 11 milliards du budget de l’Union. Il faudra donc soit baisser certaines dépenses ; soit augmenter les ressources, en particulier à travers de nouvelles ressources propres de l’Union européenne. Cela peut être aussi un mix entre ces deux options.
Si la diminution de l’enveloppe de la cohésion est vraisemblable, je suis aujourd’hui dans l’incapacité d’en prédire l’importance. La France a plutôt contribué à ce que, dans les débats, cette diminution ne soit pas trop importante. L’Allemagne partage notre position.
Une autre hypothèse avancée serait que certaines régions, les plus riches, ne bénéficierait non pas d’aides, mais d’instruments financiers…
Encore faudrait-il trouver comment définir les régions les moins pauvres qui seraient orientées vers ces instruments financiers. Pour beaucoup voyager dans notre pays, je ne vois pas une région qui présente une situation uniforme sur l’ensemble de son territoire. Il y a toujours des fractures infrarégionales. En outre, il ne serait pas opportun d’exclure certains territoires.
En revanche, par rapport au projet, il peut y avoir des différences, selon les thématiques, et des situations particulières, comme la désindustrialisation. Mais notre volonté, c’est de ne pas exclure. C’est pour cela que nous refusons le critère du PIB.
Faut-il sortir le FSE de la politique de cohésion ?
Ce serait profondément changer la nature des politiques de cohésion. En tant qu’élu local, j’ai mis en place un dispositif PLI. Certes, c’est compliqué, mais sans le Fonds social européen (FSE), ce serait inenvisageable.
La lourdeur de la gestion des fonds structurels est ancienne. Est-il envisagé d’intervenir sur ce point ?
Ce qui ressort très clairement, et de façon générale, c’est le besoin de simplification. La Commission européenne en est consciente. Le ressenti et le besoin ont été très clairement exprimés à Luxembourg ! On le constate bien sur le terrain. De nombreux élus renoncent ou hésitent à recourir aux fonds structurels en raison de la complexité, des délais de versement… Sans parler de la crainte de l’apurement !
Est-il possible, ou souhaitable, d’alléger les contrôles, par exemple ?
Les processus de contrôle existeront toujours. Ce qu’il faut, c’est simplifier le processus en amont, pour arriver au fléchage des subventions et dotations. Mais il faut aussi sécuriser davantage les porteurs de projets, notamment au regard du risque d’apurement.
Mais il faut aussi sécuriser davantage les porteurs de projets, notamment au regard du risque d’apurement.
Mais la complexité est-elle le seul fait de l’Europe ?
Il faut faire savoir que l’Etat et les régions veulent, et peuvent, mieux faire fonctionner la politique de cohésion territoriale. La France est au-dessus de la moyenne en termes d’engagements, de l’ordre de 51 %. Il ne faut pas faire le procès du système. Il faut l’expliquer et l’améliorer. C’est ainsi que nos concitoyens pourront adhérer. Mais il est vrai que nous devons nous attaquer à la sur transposition. La France a un goût exceptionnel pour la réglementation !
Comment jugez-vous les retards du programme Leader et les critiques portant sur sa décentralisation incomplète ?
Les retards dans la mise en place des projets et des paiements sont regrettables. Là encore, on peut être meilleurs et il faut entrer en négociation avec les régions et les autres échelons de collectivités, pour voir ce qui peut être techniquement amélioré. Je n’ai pas d’a priori, mais cela n’est pas encore arbitré. Il faut enclencher une discussion avec les régions sur la répartition des compétences et décider qui fait quoi.
L’intervention de l’Etat est-elle indispensable ?
Cela dépend pour quoi. Pour l’instant, seul l’Etat est légitime à négocier, c’est une certitude. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de concertation et de négociation avec les régions.
Qu’est-ce qui pourrait contribuer à rendre plus réelle, plus palpable, la politique de cohésion territoriale aux yeux des Français ?
C’est une responsabilité collective. Il faut être fier de la construction européenne et ne pas pousser le cynisme jusqu’à, comme le font certains, monter des dossiers, demander des concours financiers européens… tout en faisant régulièrement le procès de l’Europe. Il ne s’agit pas de faire allégeance à l’Europe, mais de montrer à nos concitoyens et aux élus ce que l’Europe apporte sur les territoires.
Quelles sont les prochaines étapes du processus ?
Le 2 mai, la Commission européenne présentera sa proposition de budget. Les projets de règlement devraient être publiés le 29 mai. Par ailleurs, j’ai proposé, et cela a été validé par le premier Ministre, que la politique de cohésion soit l’un des sujets de la prochaine Conférence nationale des territoires semestrielle cet été. C’est l’occasion d’informer et d’ouvrir le dialogue avec les associations d’élus, et notamment avec Régions de France.
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