Dans son rapport annuel présenté le 10 février 2016, les magistrats de la Cour des comptes ont passé au crible les rouages de l’archéologique préventive, écosystème dont l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) constitue le centre opérationnel national.
Absence de décisions
Déjà, en 2012, la Cour des comptes en avait contrôlé la gestion sur les dix années précédentes, avant d’adresser au ministre de la Culture un référé le 6 juin 2013, publié le 28 août suivant. Ce document demandait à l’Etat de prendre une série de mesures pour réformer l’établissement public national et réguler le secteur. Deux ans et demi plus tard, le constat est sévère :
Dans son rôle de prescripteur de diagnostics et de fouilles mais aussi, plus largement, d’organisateur et de régulateur du secteur, l’État n’a pas atteint les objectifs qu’il avait annoncés à la Cour en réponse à son référé du 6 juin 2013.
Conséquences directes : des difficultés chroniques pour l’Inrap – d’ordres budgétaire et commercial, et la fragilisation du secteur dans sa globalité où l’équipement national partage le marché avec les collectivités dotées de services archéologiques et les opérateurs privés.
Source : Cour des comptes, d’après le ministère de la Culture
Dysfonctionnements en série
Les Sages pointent une série de dysfonctionnements chroniques. Certains sont propres à l’Inrap (gestion de ses effectifs, coûts de structure importants…) et à la tutelle qu’y exerce l’Etat. D’autres concernent l’ensemble des opérateurs, comme :
- l’absence de cadrage national de la politique d’archéologie préventive (programmation) ;
- les disparités régionales en matière de prescriptions archéologiques (d’une direction régionale des affaires culturelles à l’autre) ;
- un contrôle insuffisant de la qualité scientifique des fouilles menées par les opérateurs ;
- l’insuffisant rendement de la redevance d’archéologie préventive (RAP), trop tributaire de l’activité des aménageurs (1).
Des services territoriaux qui gagnent du terrain
Autant de problèmes qui expliquent les difficultés de l’INRAP et qui se répercutent sur les collectivités : manque de visibilité, dans la conduite de leurs opérations d’aménagement ; retards dans la perception de la RAP, lorsqu’elles réalisent aussi des diagnostics archéologiques. Cependant, ces dernières gagnent du terrain en matière de fouilles : elles assuraient 19% des opérations en 2013, contre 16,1% en 2009. Même progression du côté des intervenants privés, qui sont passés de 30,2 à 33,1%. (2) « Les données partielles disponibles pour 2014 montrent qu’en dépit d’un léger redressement, l’INRAP n’a pas retrouvé ses positions antérieures », calcuent les magistrats de la rue Cambon dans leur rapport 2016.
Espoirs en 2016
Certes, les rapporteurs saluent deux initiatives gouvernementales récentes porteuses d’espoir :
- les mesures prévues dans le volet « archéologie » du projet de loi sur la liberté de création, l’architecture et le patrimoine, dit projet de loi « CAP » ;
- la réforme de la RAP inscrite dans la loi de finances 2016.
La version du projet de loi « CAP » adoptée par les députés le 16 octobre 2015 renforce en effet le contrôle de l’Etat sur les agréments délivrés aux opérateurs et prévoit une vérification des projets scientifiques des candidats, avant que l’aménageur ait choisi prestataire archéologique. Objectif : veiller à ce que la concurrence ne soit pas biaisée par des offres moins onéreuses mais moins disantes. (3) Quant au budget de la RAP, il est désormais inscrit au budget de la Rue de Valois, à hauteur de 118 millions d’euros (dont 10 millions prévus pour les collectivités réalisant des diagnostics). Objectif : sécuriser le financement des diagnostics et les ressources de l’Inrap.
Conditions de réussite
Mais, pour les Sages de la rue Cambon, le succès de ces mesures dépendra de leurs conditions de mise en œuvre. Ils avancent plusieurs préconisations. Certaines concernent au premier chef l’Inrap et son mode de gestion (gestion RH, implantations régionales) ; d’autres touchent l’ensemble des opérateurs. Ils demandent ainsi à l’Etat :
- une harmonisation « des pratiques des services régionaux d’archéologie en matière de prescription et de contrôle de la qualité scientifique des projets d’intervention des opérateurs de fouilles » ;
- une nouvelle programmation nationale de la recherche archéologique qui doit guider la politique de prescription de l’État et encadrer la politique scientifique de l’Inrap ;
- des dispositions permettant de « garantir la cohérence entre le niveau de prescriptions et les moyens financiers alloués aux opérateurs (Inrap et collectivités territoriales) et de maîtriser le coût de réalisation des diagnostics ».
Bercy préconise des barèmes contre les « effets d’aubaine »
Dans sa réponse au rapport de la Cour des comptes sur l’archéologie préventive, Bercy se félicite de la « rebudgétisation » de la RAP inscrite au budget de la Rue de Valois dans la loi de finances 2016. « Dans le cadre de cette réforme, précisent le ministre des Finances et des comptes publics et le secrétaire d’Etat chargé du Budget dans une lettre commune, la mise en place de barèmes pour un financement au cas par cas des diagnostics nous semble indispensable pour amener les acteurs, notamment les collectivités territoriales, à rechercher l’efficience. » Et d’évoquer des « effets d’aubaine », qui, sans barèmes, risqueraient de perdurer « au profit de certaines collectivités, qui bénéficieront de financements liés aux travaux d’aménagements de leur zone géographique sans que leur sous-sol ne justifie la prescription à leur charge d’activités archéologiques. »
L’Inrap veut aller plus loin avec les collectivités
Dans leur réponse à la Cour des comptes, le président et le directeur général de l’Inrap concèdent que la politique de rapprochement avec les collectivités menée de 2011 à 2013 et sa traduction opérationnelle peuvent sembler » décevantes ou insuffisantes, avec un nombre réduit d’opérations archéologiques réalisées en commun ». L’opérateur national impute ce maigre résultat « à la complexité des montages juridiques nécessaires ; il traduit également un problème de compétitivité des opérateurs publics face à des offres tarifaires particulièrement attractives de leurs concurrents privés. ». L’Inrap dit mettre ses espoirs dans le projet de loi CAP pour poursuivre son rapprochement avec les collectivités « à toutes les étapes de l’archéologie préventive (diagnostics, fouilles et exploitation des données dans le cadre d’activités de recherche et de valorisation).»
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Rapport 2016 de la Cour des comptes : l’urgence de moderniser les services publics
Sommaire du dossier
- Le rapport 2016 de la Cour des comptes ou l’urgence de moderniser les services publics
- Cour des comptes : le CNFPT incité à l’efficience et à l’économie
- Une politique de la ville encore trop imprécise
- Archéologie préventive, un chantier qui n’en finit pas
- Contrôle légal et budgétaire des collectivités : l’Etat peut mieux faire
- CEE : un outil plébiscité par la Cour des comptes, malgré des incertitudes persistantes
- La Cour des comptes pointe les défaillances de l’intercommunalité
- Le ferroviaire francilien dans le collimateur de la Cour des comptes
- La Cour des comptes tacle la stratégie de désensibilisation de Dexia et de la Sfil
Thèmes abordés
Notes
Note 01 la RAP est perçue sur tous les projets d’aménagement, qu’il y ait ou pas de fouilles. Une partie de la RAP va au financement des diagnostics réalisés par l’Inrap et les collectivités, l’autre au Fonds national d’archéologie préventive (FNAP), destiné à aider certaines catégories d’aménageurs, comme les communes rurales, à financer le coût des fouilles Retour au texte
Note 02 En revanche, en matière de diagnostics –opérations non ouvertes aux acteurs privés, la répartition des rôles entre Inrap et services territoriaux reste stable, avec un ratio de 80% pour l’opérateur national pour 20% aux collectivités reste stable. Retour au texte
Note 03 Cependant, cette perspective reste, pour l’heure, incertaine, dans la mesure où les sénateurs ont assoupli ces dispositions, en commission, le 14 décembre 2015. Reste à savoir qu’il adviendra de ces articles dans la navette parlementaire. Retour au texte