Smart city, French Tech, e-administration, dĂ©mocratie participativeâŠ, le thĂšme du numĂ©rique semble incontournable pour les collectivitĂ©s aujourdâhui. Mais toutes ne le portent pas de la mĂȘme façon, ni ne lui accordent la mĂȘme importance, comme le montre la petite Ă©tude que nous avons menĂ©e sur les 50 plus grandes villes de France. La position des Ă©lu.e.s dans lâorganigramme, lâintitulĂ© du poste, le nombre dâĂ©lu.e. dĂ©diĂ©s, lâapproche transversale ou thĂ©matique constituent autant de paramĂštres.
En force Ă Paris, OrlĂ©ansâŠ
Au total, nous estimons quâau moins la moitiĂ© des villes examinĂ©es consacrent une ou plusieurs dĂ©lĂ©gations en position forte ou moyenne (adjoint placĂ© plus ou moins haut), tĂ©moignant dâune montĂ©e en puissance certaine du sujet. Une immense majoritĂ© prĂ©sente une ou plusieurs dĂ©lĂ©gations relevant du champ lexical du numĂ©rique. Elle peut ĂȘtre consacrĂ©e de façon globale au domaine ou constituer la composante dâune thĂ©matique (Ă©ducation, culture, Ă©conomieâŠ).
En outre, il ne faut pas se fier Ă lâabsence de champ lexical du numĂ©rique dans leur intitulĂ©. Ainsi Paris lie de façon forte son image au numĂ©rique, y consacrant deux adjoints : Jean-Louis Missika, chargĂ© de l’urbanisme, de lâarchitecture, du projet du Grand Paris, du dĂ©veloppement Ă©conomique et de lâattractivitĂ©, et Emmanuel GrĂ©goire, en charge des ressources humaines, aux services publics, Ă la modernisation de l’administration. Deux portefeuilles pour deux gros volets des politiques publiques en matiĂšre de numĂ©rique. âLe premier gĂšre lâaction de Paris en faveur des acteurs du numĂ©rique et le second lâaction de Paris pour moderniser ses services publics grĂące au numĂ©riqueâ, a rĂ©sumĂ© la mairie de Paris. La ville est effectivement trĂšs active en matiĂšre de numĂ©rique, communiquant sur sa dĂ©marche de âsmart cityâ, ses actions de e-dĂ©mocratie participative, elle a eu dâoffice le label French Tech consacrant les Ă©cosystĂšmes forts ou prometteurs de lâĂ©conomie numĂ©rique, etc. On peut parier que les deux Ă©lus Ă©changent sans peine avec la maire Anne Hidalgo, qui nâa pas attendu le 21Ăšme siĂšcle pour se pencher sur le sujet : sa biographie rappelle quâen 1987, elle a Ă©crit un ouvrage sur les mĂ©tiers de lâinformatique.
Plus inattendu, OrlĂ©ans met aussi le numĂ©rique sur le devant de la scĂšne. Olivier CarrĂ©, premier maire adjoint en charge du dĂ©veloppement Ă©conomique et de la ville numĂ©rique(1), est secondĂ© par Mathieu Langlois, conseiller dĂ©lĂ©guĂ© auprĂšs du maire, en charge des rĂ©seaux et de lâe-administration. âNous lâĂ©rigeons en prioritĂ© car il faut sâadapter aux besoins des citoyens, câest lâĂ©volution dâaujourdâhui et de demain, il ne faut pas prendre de retard, voire prendre de lâavance. Il ne sâagit pas de favoriser le numĂ©rique plutĂŽt quâun autre domaine, mais de pousser le numĂ©rique en soutien aux politiques publiquesâ, explique Mathieu Langlois, dont le parcours tĂ©moigne dâun tropisme ancien pour la matiĂšre. Il prĂ©cise encore : âOlivier CarrĂ© est sur le volet dĂ©veloppement Ă©conomique. Lâenjeu de la ville numĂ©rique est de faire venir des acteurs du numĂ©rique. Nous avons candidatĂ© au label French Tech (en vain, ndlr).â Son rĂŽle de âtour de contrĂŽleâ nâentre pas en confit avec les Ă©lus sur lâaspect numĂ©rique de leur domaine, assure le jeune homme : âLâadjoint de tutelle garde le lead mais jâassure la cohĂ©rence. Il nây a pas de rapport de force, je viens en soutien et en support.â
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âValider les choix techniques du cabinet et de la communicationâ
Certaines villes continuent de considĂ©rer le numĂ©rique comme la derniĂšre roue du carrosse, un domaine bon pour les âgeeksâ. Comprendre : une personne qui sait se servir dâun smartphone. Ainsi Ă Limoges, le numĂ©rique revient Ă Vincent LĂ©onie, chargĂ© de lâurbanisme, de lâamĂ©nagement du territoire, des espaces verts et enfin directeur de la publication des sites internet « ville-limoges.fr » et« www.bruit_limoges.fr », de la Web TV « 7 Ă Limoges » et de lâapplication mobile « Limoges en poche ». Non quâil nâait pas dâattrait pour la matiĂšre, au contraire, mais il nâexiste pas vraiment dâĂ©lu dĂ©diĂ©, explique cet intendant de lycĂ©e : âJe suis prĂ©sent sur Twitter, Facebook, je suis un âgeekâ, avec un vĂ©ritable intĂ©rĂȘt pour Internet. Il y a un Ă©lu sans en avoir, je ne suis pas dĂ©diĂ©, mais jâai en charge les publications en ligne. Le domaine reste au niveau du cabinet, le maire ne fait que valider des choix techniques du cabinet et de la communication. Câest peut-ĂȘtre un manque, oui et non, cela fonctionne ainsi. Peut-ĂȘtre quâun Ă©lu dĂ©lĂ©guĂ© serait utile, un jeune ?â, sâinterroge-t-il. Le clichĂ© du âdigital nativeâ a encore du succĂšs⊠Le quadragĂ©naire rĂ©ussit tout de mĂȘme Ă avancer sur son petit prĂ© carrĂ© : la refonte du site, le recrutement dâun community manager, lâapplication, pour laquelle il fait le lien avec la technique, la commission sur la dĂ©matĂ©rialisationâŠ
A Perpignan, la notion ne figure dans aucun intitulĂ©. En plein mois dâaoĂ»t, la non-rĂ©ponse du service communication est Ă©loquente : âJe ne sais pas sâil y a un Ă©lu en charge du numĂ©rique, je ne peux pas vous le dire, appelez monsieur le maire dĂ©but septembre.â De mĂȘme Ă Villeurbanne, oĂč spontanĂ©ment, le service communication ne sait pas vers quel Ă©lu renvoyer, et pense au dĂ©but que je souhaite parler dâinformatique. RĂ©action interloquĂ©e encore Reims Ă notre question âPourquoi il nây a pas dâĂ©lu en charge du numĂ©rique ?â âPourquoi ? Et pourquoi pas ?â.
Transfert à la métropole
Dâautres villes ont un Ă©lu dĂ©diĂ© mais placĂ© bas dans la hiĂ©rarchie, comme Ă Toulouse, oĂč Bertrand Serp, est conseiller municipal dĂ©lĂ©guĂ© en charge de lâinnovation et du numĂ©rique, des TIC, et de lâinformatique de la mairie. LâĂ©lu, prĂ©sident dâune entreprise de communication, estime quâil ne faut pas en tirer des conclusions : âLe numĂ©rique n’est pas seulement une compĂ©tence municipale, mais une compĂ©tence mĂ©tropolitaine, et d’ailleurs mes qualitĂ©s de vice-prĂ©sident de la mĂ©tropole charge du numĂ©rique, dĂ©montrent bien la volontĂ© de notre prĂ©sidente-maire d’en faire une prioritĂ© du mandat. Le fait que le mĂȘme Ă©lu occupe cette fonction Ă la mairie et Ă la ville dĂ©montre notre cohĂ©rence et notre efficience.âEt dâĂ©grainer les actions : label French Tech, âsmart cityâ, laboratoire des usages, etc. Il omet juste de prĂ©ciser quâil est 19Ăšme vice-prĂ©sident, sur 20 vice-prĂ©sidences.
Il arrive donc aussi que les compĂ©tences soient partagĂ©es avec la mĂ©tropole, en particulier le dĂ©veloppement Ă©conomique qui relĂšve de la mĂ©tropole. PionniĂšre de l’Internet « citoyen », Brest explique ainsi que âla ville est sur une dĂ©marche dâappropriation citoyenne des usages des nouvelles technologies. Brest mĂ©tropole est sur les amĂ©nagements et infrastructures numĂ©riques et sur du dĂ©veloppement Ă©conomique – actuellement dĂ©marche labellisation French Tech.â
âNouvelles techniques (sic) dâinformation et de communicationâ
Les termes des intitulĂ©s vĂ©hiculent une certaine vision du sujet. Beaucoup comportent plusieurs termes autour du numĂ©rique. LâĂ©lu nâa parfois que ce thĂšme en charge, dans dâautres cas celui-ci est inclu dans un groupe. Ces dĂ©lĂ©gations composites semblent cohĂ©rentes dans lâensemble. Au passage, on se rĂ©jouira que le terme âdigitalâ soit quasiment absent : ce florissant anglicisme est incorrect, puisquâen français il signifie âqui a trait aux doigtsâ.
Certains fleurent bon le 20Ăšme siĂšcle, comme âTIC ou ânouvelles technologiesâ, voire ânouvelles techniques (sic) dâinformation et de communicationâ (Dunkerque) : lâInternet grand public a explosĂ© Ă partir de 1995, un Français sur deux possĂšde un smartphone, nos grands-parents sont sur Facebook… Le terme apparaĂźt curieusement dans lâintitulĂ© de la dĂ©lĂ©gation de Rennes, qui est pourtant loin dâĂȘtre novice en matiĂšre numĂ©rique.
âSystĂšme dâinformation et de communicationâ, âDSIâ, âinformatiqueâ (Saint-Etienne, Toulon, Toulouse, Aix-en-Provence, Poitiers, Tourcoing…) renvoie Ă lâapproche mĂ©tier de la matiĂšre, davantage quâaux politiques publiques. Ils paraissent du coup un peu obsolĂštes car ils font Ă©cho Ă une Ă©poque oĂč le numĂ©rique Ă©tait surtout une affaire de professionnels et pas une question de politiques publiques. Ils sont parfois dans des portefeuilles relevant de la gestion : Ă Poitiers, (âpersonnel, finances, informatique, parc automobile et bĂątiments), Tourcoing (âchargĂ© des affaires administratives et militaires, police funĂ©raire, laĂŻcitĂ©, communication, informatique, tĂ©lĂ©communications, service intĂ©rieur, affaires juridiquesâ)… Toutefois, il arrive que cette approche mĂ©tier soit complĂ©tĂ©e dâun volet politique publique. Ainsi Ă Poitiers, Jean-Daniel Blusseau est en charge du dĂ©veloppement du numĂ©rique.
A lâautre bout du spectre temporel, le terme smart city/ville intelligente apparaĂźt, alors quâil y a fort Ă parier quâil Ă©tait absent des intitulĂ©s du mandat prĂ©cĂ©dent : issu du marketing, il a fleuri rĂ©cemment. De mĂȘme la notion de âville connectĂ©eâ (Besançon), Ă mettre en relation avec lâengouement pour les objets connectĂ©s, qui sont eux-mĂȘmes une composante de la smart city.
Numérique = innovation
Le numĂ©rique est assez frĂ©quemment liĂ© Ă lâinnovation (Angers : âĂ©conomie numĂ©rique et lâinnovationâ ; Bordeaux : âcitĂ© digitale et innovation dans la villeââŠ), jusquâĂ ĂȘtre engloutie par cette notion consensuelle, comme lâanalysait le chercheur Evgeny Morozov. Cette remarque de lâattachĂ©e de presse de Nice nâest pas anodine : âLe terme Innovation comprend bien sur le numĂ©rique, il lâenglobe mĂȘme.â Selon elle, les deux termes sont indissociables, alors quâil est possible dâinnover sans numĂ©rique, et de faire du numĂ©rique sans innover. Il est vrai que les deux termes sont souvent prĂ©sentĂ©s comme un tout, au grand dĂ©sespoir des promoteurs d’autres formes dâinnovation.
Moins sexy que la smart city mais trĂšs regardĂ©e par les citoyens, la modernisation de lâadministration, appuyĂ©e par le numĂ©rique ressort dans beaucoup de dĂ©lĂ©gations : Ă Dijon (âmodernisation du service public et informatiqueâ), Avignon (âe-administrationâ)…
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Le dĂ©veloppement Ă©conomique est aussi un axe fort du numĂ©rique, ce dernier Ă©tant souvent prĂ©sentĂ© comme un facteur de croissance. Câest dâailleurs tout lâobjet de la mission French Tech et de son label, auquel une partie des villes a concouru, souvent avec succĂšs.
La montĂ©e en puissance des collectivitĂ©s dans les Ă©quipements numĂ©riques des Ă©coles se traduit aussi par des dĂ©lĂ©gations thĂ©matiques. Ainsi Ă NĂźmes, lâĂ©lue sâoccupe des âtechnologies de l’information et des Ă©coles NumĂ©riquesâ, Ă Roubaix, de âlâĂ©ducation et du numĂ©rique dont le dĂ©veloppement des usages du numĂ©rique dans le cadre scolaire et pĂ©ri-scolaire et du dĂ©veloppement des usages du numĂ©rique auprĂšs des parentsâ.
Bien portĂ©e politiquement au niveau national, lâopen data apparaĂźt timidement : seules Avignon et Grenoble ont une Ă©lue explicitement sur le sujet. Il va pourtant falloir que toutes les collectivitĂ©s de plus de 3500 habitants sây mettent⊠Grenoble est aussi lâunique ville du panel Ă mettre en avant les âlogiciels libresâ.
De mĂȘme, le (trĂšs) haut dĂ©bit, un sujet rĂ©current des politiques publiques numĂ©riques territorialesâ, nâest prĂ©sent que deux fois. Il est vrai que les grandes villes, dĂ©jĂ bien Ă©quipĂ©es, nâen font plus une prioritĂ©.
On relĂšve aussi quelques termes relatifs Ă la citoyennetĂ©, Internet Ă©tant perçu comme un facteur de rĂ©gĂ©nĂ©ration de la dĂ©mocratie locale : outre Nantes, il y Avignon (âe-democratieâ) et Le Mans (âInitiatives citoyennes et Internet citoyen (suivi des initiatives de quartier, participation des habitants, relations avec les mouvements d’Ă©ducation populaire, internet citoyen)â).
Un truc d’hommes
De façon gĂ©nĂ©rale, bien malin qui peut dire Ă la lecture de lâintitulĂ© si la ville est de droite ou de gauche : comme dans dâautres champs des politiques publiques, on observe une tendance Ă lâuniformisation. Signalons lâexistence dâun club des Ă©lus numĂ©riques, dont le site ne tĂ©moigne pas dâune folle activitĂ© : la derniĂšre actualitĂ© remonte Ă fĂ©vrier 2015. Quant Ă son compte Twitter, il semble avoir Ă©té⊠piratĂ©.
Regrettons enfin que le numĂ©rique semble ĂȘtre majoritairement une affaire de mĂąle. Nous avons comptĂ© une dizaine de femmes, contre une quarantaine dâhommesâŠ
Méthodologie
Nous avons relevĂ© dans les conseils municipaux la place dans lâorganigramme de ou des Ă©lu.es en charge du sujet, le cas Ă©chĂ©ant. Nous avons complĂ©tĂ© ce travail par des Ă©changes avec certaines communes. Ce premier tableau demanderait Ă ĂȘtre encore approfondi, il ne s’agit pas d’un travail sur le long tel qu’un chercheur pourrait l’effectuer. Câest pourquoi nous nâavons pas tirĂ© de conclusions chiffrĂ©es de façon prĂ©cise. Vous pouvez accĂ©der Ă notre base de travail ici. Si vous souhaitez nous aider Ă le complĂ©ter, envoyez un mail Ă sabine.blanc@groupemoniteur.fr
ThÚmes abordés
Notes
Note 01 l'entretien a eu lieu avant qu'Olivier Carré soit nommé maire d'Orléans et que Mathieu Langlois devienne adjoint en charge du numérique, ndlr Retour au texte










