« La transition écologique ne pourra pas se faire sans les territoires » : cette affirmation d’un membre du comité de pilotage du Débat national sur la transition énergétique (DNTE), Bruno Rebelle, est partagée par l’ensemble des participants de la troisième session, mardi 4 février 2014, à Paris, des Mardis de l’avenir, un cycle de débats organisé par le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone.
Cas concrets – Des opérations présentées ensuite illustrent son propos. Le projet Tiper dans les Deux-Sèvres : un parc développé sur d’anciens terrains militaires associant activités de production d’énergies renouvelables (méthanisation, éolien, solaire) et de sensibilisation de la population ; l’équipement des écoles de Besançon (Doubs) en chaufferies bois et son accompagnement pédagogique auprès des enfants.
Pas d’angélisme – « Mais je ne voudrais pas qu’on soit trop angélique, tempère Bruno Rebelle. Oui, il y a des tas d’initiatives qui marchent, mais elles sont encore le fait de POTEs (pionniers ordinaires de la transition énergétique). Nous ne sommes pas à la maille du changement qu’il faut opérer. Il reste à faire sauter des verrous. »
« Le rôle de l’Etat est à réinventer » – « Trente ans après le début de la décentralisation, le rôle de l’Etat est à réinventer », tranche la ministre de l’Egalité des territoires et du Logement, Cécile Duflot. En ligne avec le programme de son parti, Europe Ecologie Les Verts (EELV), elle met en avant les régions, « de très bons laboratoires de l’innovation, notamment grâce à leur jeunesse administrative, ce qui leur permettra d’être les fers de lance de la transition énergétique ».
« Pas de guerre des territoires » – « Il n’y aura pas de guerre des territoires », prédit le délégué général d’Amorce, Nicolas Garnier. Il envisage une place pour chaque niveau : les communes, les intercommunalités, les départements et les régions.
« La transition écologique est un jeu d’équipes, approuve le premier vice-président de la région Pays de la Loire, Christophe Clergeau (PS). Il ne peut pas y avoir une collectivité qui dirige les autres. » Il voit néanmoins régions et intercommunalités en « chefs d’orchestre territoriaux »…
« De grâce, modernisons notre pays » – D’autres sont plus radicaux. Comme le secrétaire national de l’Assemblée des communautés de France (AdCF) et président de la communauté d’agglomération de Mantes-en-Yvelines (Yvelines), Dominique Braye (ex-UMP). « On parle du problème du millefeuille administratif depuis 40 ans et on n’a pas avancé, s’emporte-t-il. Vous avez aujourd’hui des Plans Climat Energie Territoriaux (PCET) communaux, intercommunaux, départementaux, etc. De grâce, modernisons notre pays. Et regardons du côté des pays de l’Europe du Nord. »
Qui fait quoi ? – L’Allemagne ou encore… Bruxelles-capitale, sont d’autres exemples étrangers évoqués par le délégué général d’Energy Cities, Gérard Magnin.
« Les pays qui nous montrent le chemin sont ceux où le pouvoir local est fort », assure-t-il. « Si on attribue une compétence à une collectivité, elle l’assume, complète le président de la région Aquitaine et de l’Association des régions de France (ARF), Alain Rousset (PS). Mais le problème de la France est qu’on ne sait pas qui fait quoi. »
Vers un nouveau modèle… – « La loi sur la transition énergétique ouvrira la voie à un nouveau modèle, pour consommer, produire et aussi pour gouverner, proclame le ministre de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie Philippe Martin (PS), en clôture du débat. C’est la raison pour laquelle elle comportera un volet décentralisation très important avec une nouvelle répartition des rôles, dans la complémentarité et non la compétition. Et il n’y aura pas de modèle unique. »
… mais les arbitrages encore en cours – Mais il n’en dira pas plus. Ni sur le fond ni même sur le calendrier, alors que des rumeurs font état de sa présentation en avril devant le Conseil économique, social et environnemental (CESE), pour un débat parlementaire au début de l’été… ou de l’automne. Car les discussions sont manifestement vives et les arbitrages ne sont pas réalisés.
« Tant qu’on donnera aux élus le choix de s’organiser entre eux, ça ne bougera pas »
Philippe Plisson, député-maire (PS) de Saint-Caprais-de-Blaye
Le député-maire PS de Saint-Caprais-de-Blaye (Gironde) Philippe Plisson, également président d’une communauté de communes et conseiller général, a écrit le 22 janvier 2014 à François Hollande et à Jean-Marc Ayrault pour leur demander d’organiser un référendum sur une nouvelle organisation territoriale. Ce serait le moyen de contourner « les fortes résistances des élus concernés par les évolutions éventuelles », soutient-il. Il s’en explique à La Gazette.
Avez-vous reçu une réponse à votre « note sur le devenir de l’organisation territoriale » envoyée au chef de l’Etat et au Premier ministre ?
Non, mais à vrai dire, je n’en espère pas. C’est une bouteille jetée à la mer. Le sujet est tellement épineux et compliqué que personne ne veut le prendre à bras-le-corps.
Tout le monde se dit d’accord sur le constat (le millefeuille administratif, ndlr) mais, dès que vous voulez toucher à quoi que ce soit, celui qui est concerné directement s’arc-boute. Chacun défend son pré carré.
Que ce soit au niveau local ou national, c’est exactement le même syndrome : on se heurte aux baronnies, aux intérêts particuliers, chacun défend la collectivité dont il est l’élu, veut garder ses pouvoirs… et ses indemnités. Les sénateurs ont peur de perdre les voix de leurs électeurs, qui sont les maires ; les députés sont très sensibles à la musique de leurs territoires. Et donc, tant qu’on donnera aux élus le choix de pouvoir s’organiser entre eux, ça ne bougera pas.
D’où votre idée d’un référendum…
Je propose en effet un référendum à tiroirs posant des questions simples sur l’avenir des communes, des intercommunalités, des départements, des régions, du Sénat, du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Les Français seront ainsi placés devant leurs responsabilités et ils ne pourront ensuite plus se plaindre qu’il y a trop d’élus ! Car, regardez ce qui s’est passé en Alsace, quand il a été envisagé de regrouper les deux départements et la région : les gens ont voté contre.
Que répondriez-vous à ces questions ?
Pour moi, l’avenir est, d’une part, au regroupement des intercommunalités à une échelle suffisante pour qu’elles soient en capacité de prendre en main leur destin, de l’autre, à la montée en puissance des régions.
Je préconise donc des binômes région/interco, car on a là des interlocuteurs naturels. Ils seraient le pendant des métropoles qui sont, elles, en train de s’organiser, ce à quoi je suis d’ailleurs très favorable (loi Maptam, ndlr). Sans cela, on creusera encore plus les inégalités entre l’urbain et le rural. Au premier, la concentration de la richesse et des services, au second, la misère.
Quid des communes ?
Je suis maire depuis 31 ans d’une commune qui compte maintenant 550 habitants et, franchement, même si ça fait mal de le dire, les petites communes sont inopérantes. Elles doivent être fédérées à une échelle à déterminer – l’Insee dit 3 500 habitants, tout cela se discute.
Mais je pense que les petites communes n’ont plus d’autre intérêt que celui de la nostalgie, de la sympathie et de ce qu’on peut aimer du terroir et de son passé. C’est le simple bon sens et il faut faire abstraction de tout sentimentalisme.
Les départements ?
Je suis conseiller général et j’aime beaucoup mon président, mais le problème est qu’aujourd’hui, les départements n’ont plus de moyens. Ils ne gèrent plus que le social, les routes et les collèges. Et compte tenu de la diminution des ressources se pose la question de leur place. Alors, je me dis que les compétences sociales et les routes, on peut les transférer aux intercommunalités, et que les collèges, il faut les donner à la région, qui a déjà les lycées.
Que faites-vous du Sénat et du CESE ?
Le CESE sert surtout à distribuer des postes… Et on peut réfléchir à une évolution du Sénat. On pourrait envisager de fondre les compétences de ces deux instances. Ah ! Et je suis aussi favorable à la suppression des sous-préfectures.
Vaste programme…
Ce pays est bloqué, verrouillé par un conservatisme qui l’enterre. Et, tant que le territoire est aussi inorganisé et dans cet état d’émiettement, je me demande même parfois s’il ne vaut finalement pas mieux que l’Etat garde toutes les prérogatives…