A la veille du 30ème anniversaire de la loi qui porte votre nom sur les droits et obligations des fonctionnaires, quel bilan tirez vous de son application ?
En 1983, les agents publics des collectivités territoriales sont devenus fonctionnaires et le sont restés depuis. Mais il y a eu dénaturation : par exemple, la loi Galland du 13 juillet 1987 a introduit la notion de cadre à la place de celle de corps en vigueur dans le statut. Elle a substitué une liste d’aptitude par ordre alphabétique à la liste par ordre de mérite à l’issue d’un concours. Elle a aussi encouragé le recours possible aux contractuels. L’architecture juridique de 1983-1984 est debout. Il n’y a pas eu de remise en cause du statut mais de multiples régressions. Trente ans après, le bilan est malgré tout positif.
Quelles mesures préconisez-vous pour revenir sur cette situation ?
Si l’on veut aujourd’hui rétablir l’unité des fonctionnaires dans le respect de leur diversité, il faut d’abord abroger les dispositions de la loi Galland. Cela ne coûte rien. En revanche, cela a sans doute une influence sur les prérogatives des élus en touchant notamment à leur pouvoir de nomination. Certains d’entre eux pensent sans doute qu’en 1983, j’avais poussé le curseur un peu loin. En 1987, ils ont repris la main et la réaction syndicale a été faible.
Au regard des évolutions récentes de la FPT, quels sont les vrais enjeux pour les agents ?
Dans la situation actuelle de perte des repères, il faut mettre l’accent sur les valeurs. En premier lieu, le principe d’égalité d’accès des citoyens aux emplois publics sur la base de l’article 6 de la Déclaration des droits de 1789. Ensuite, le principe d’indépendance fondé sur la séparation du grade et de l’emploi pour éviter la pression politique, économique ou l’arbitraire administratif. Enfin, le principe de responsabilité par lequel le fonctionnaire doit rendre compte de l’exécution de sa mission. C’est la conception du fonctionnaire citoyen opposée à celle du fonctionnaire sujet. Ces valeurs sont fondatrices et constituent la meilleure garante de la pérennité de la conception française de la fonction publique.
Pourquoi le débat se focalise-t-il aujourd’hui sur la déontologie ?
Les récentes affaires politiques expliquent sans doute cela pour partie, mais plus généralement la crise de civilisation que nous connaissons. Il ne faudrait pas donner l’impression que les codes de déontologie concurrencent le statut. Car, ou bien il apparaît que le statut présente des lacunes, alors il faut le compléter, ou bien certaines de ses dispositions sont insuffisamment précises et il faut les expliciter par des décrets et des circulaires. Mais au delà de la règle écrite, une nouvelle fois ce sont les valeurs et la responsabilité du fonctionnaire qu’il faut mettre au centre. Et si des expressions courantes comme « le principe hiérarchique », « le devoir d’obéissance » ou « l’obligation de réserve » correspondent à une certaine réalité, on remarquera qu’aucune ne figure expressément dans la loi Le Pors.
Etes-vous optimiste concernant l’avenir du statut?
Je pense qu’il faut ouvrir des chantiers à caractère structurel tels que la gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences . Dans ce domaine, tout peut être paramétré, voire modélisé. Il faut aussi se pencher sur la mobilité que j’ai voulue comme « une garantie fondamentale » et non comme une obligation. Ce n’est pas le cas jusqu’à présent. L’égal accès des femmes et des hommes aux emplois supérieurs des fonctions publiques mérite de devenir un vrai cheval de bataille. Les syndicats comme l’administration doivent se situer dans l’optique où le 21e siècle sera celui de l’âge d’or du service public en raison de la montée des exigences de coopérations et de solidarités mondiales. La mauvaise attitude consisterait à camper sur la seule défense des acquis, fut-ce le statut.
Comment les fonctionnaires doivent-ils réagir face aux attaques régulières de leur statut ?
Si l’on veut combattre cette idée (1) de fonctionnaires «privilégiés » en élevant le débat, il faut que les personnels à statut se préoccupent des travailleurs sans statut. Il convient pour cela de renforcer la base législative du privé, à travers le code du travail, permettant une meilleure sécurisation des parcours professionnels tout au long de la vie. Sur ce sujet, l’actuel leader de la CGT Thierry Lepaon, ne me semble plus utiliser l’expression de «nouveau statut du travail salarié», qui ne spécifiait pas suffisamment l’intérêt général que servent les fonctionnaires, mais celle de «sécurité sociale professionnelle » qui m’apparaît plus pertinente.
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