1 – Procéder à de nouveaux assouplissements
Dans un contexte financier contraint, le statut est-il un frein pour les collectivités territoriales et l’Etat ?
Anicet Le Pors : Nous connaissons une crise financière, une crise qui touche aussi bien d’autres dimensions de la société. Les services publics, les fonctionnaires, le statut n’y sont pour rien ! Il est assez étrange de demander des comptes aux agents alors qu’ils n’en sont pas la cause. Le gouvernement s’apprête à ponctionner 11 milliards d’euros sur les collectivités. Cette politique, qui fait suite à d’autres du même type, est seule responsable. Un secteur public étendu est un facteur de chances, un « amortisseur social », du point de vue de l’emploi, du pouvoir d’achat, de la protection sociale, du système de retraite et également éthique. Nous disposons d’une fonction publique moralement irréprochable. C’est un espace d’intégrité qui tranche avec l’immoralité des marchés financiers en temps de crise. Le procès qui est fait aux fonctionnaires est injuste.
François Sauvadet : En quarante à cinquante ans, le monde et la pratique des métiers dans la fonction publique ont changé. Nous avons un défi à relever et la responsabilité majeure de ne pas laisser s’accumuler des déficits que nos enfants auront la charge d’assumer. En période de mutations profondes, nous devons réfléchir à ce que doit être une fonction publique modernisée. Sinon, nous mettrons tous les fonctionnaires dans l’impasse. Avec 5,4 millions d’agents, il faut réfléchir à la pertinence de notre organisation territoriale – c’est le cas avec les réformes engagées, même si je ne les partage pas – et au périmètre de la fonction publique d’Etat.
Certains métiers doivent rester sous statut, comme la justice ou la police, mais, pour d’autres, le statut doit évoluer parce qu’il n’est pas protecteur et constitue même une menace pour l’avenir. La fonction publique pèse dans le budget de l’Etat à hauteur de 120 milliards d’euros, c’est une chance mais aussi une charge ! La République s’est décentralisée, pourtant les effectifs de l’Etat sont restés stables. Il faut s’attaquer d’urgence aux phénomènes de doublons, estimés entre 700 000 et 800 000 agents. Cette situation n’est pas tenable, ne serait-ce que du point de vue des finances publiques. L’évolution du statut n’est pas une menace pour les fonctionnaires.
https://www.dailymotion.com/video/x2cljqkFaut-il continuer à faire évoluer le statut, comme c’est le cas depuis trente ans ?
A. L. P. : Oui. Il s’agirait, par exemple, de supprimer les dispositions de la loi « Galland » du 13 juillet 1987, ainsi que les effets de l’amendement « Lamassoure » concernant la réglementation du droit de grève. Il faudrait continuer à réaliser l’inventaire de ce type de mesures.
Quelles solutions préconisez-vous ?
A. L. P. : Parmi les chantiers structurels à lancer pourraient figurer ceux de la gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences, ainsi que de la mobilité. Le fait d’avoir réduit le nombre de corps est, en outre, une très bonne chose. Il faudrait poursuivre dans cette voie. Les multicarrières constituent un autre enjeu. Dans une fonction publique où la durée de vie professionnelle augmente, se posera de plus en plus la question des séquences successives constituant la carrière. Un tel chantier suppose un système de formation continue beaucoup plus développé. Enfin, il faudrait revoir la définition du contractuel.
F. S. : Il faut effectivement simplifier les corps et remettre de l’équité. Les compétences, les missions et les moyens constituent une question centrale et préalable. Un statut rénové doit permettre la mobilité dans l’ensemble de la fonction publique ainsi que des passerelles avec le privé. Sous statut, vous embauchez une personne pour en moyenne quarante-quatre ans de carrière, vingt-cinq ans de retraite et quinze ans de pension de réversion. Certains métiers peuvent tout à fait être externalisés. Ils doivent « sortir » du statut et relever du privé.
https://www.dailymotion.com/video/x2clkc92 – Adapter l’action publique et le nombre d’agents
La France compte-t-elle trop de fonctionnaires, malgré les effets de la révision générale des politiques publiques ?
F. S. : Oui. Il faut avoir le courage de dire qu’il y a trop de fonctionnaires en France. Continuer à embaucher n’est pas raisonnable. Je préconiserais plutôt de donner aux agents en place les moyens de mieux travailler. L’Etat doit se recentrer sur ses missions régaliennes. Je suis partisan d’une véritable remise à plat. Le gouvernement fait croire que le nombre de fonctionnaires d’Etat va augmenter dans les grandes régions et les départements, mais ce n’est pas ce qui va être opéré. J’appelle à un véritable management opérationnel, qui passe par la redéfinition des missions et de ce que l’on attend d’une fonction publique aujourd’hui.
A. L. P. : Je suis tout à fait prêt à relever le défi d’un examen critique, contradictoire, du nombre et de la qualité des fonctionnaires. Mais cet examen, personne ne le réalise. Selon certains, il y aurait trop de fonctionnaires en général mais pas assez en particulier ! Personne ne se prononce sur les services à écrémer. Les plus audacieux citent le cas des administrations centrales. Mais cela ne concerne que 45 000 agents sur 5,4 millions ! La question du nombre constitue simplement un argument polémique. Supprimer un fonctionnaire sur deux, par exemple, est un raisonnement simpliste.
https://www.dailymotion.com/video/x2clkn6Pourquoi le débat sur le périmètre de l’action publique n’a-t-il pas lieu ? Et faut-il s’inspirer des autres pays européens ?
F. S. : Comparaison n’est pas raison. Nous disposons en France d’un modèle social et de santé auquel nous sommes attachés. Mais sa modernisation est la plus grande garantie de son avenir. Je me désespère qu’il soit extrêmement difficile d’engager la haute fonction publique dans ce chemin d’une nouvelle stratégie d’Etat. Face à cette résistance des grands corps au changement, les politiques ont opté pour le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite car il fallait réduire le nombre d’agents et obliger à cette réorganisation. Cette réforme n’a concerné que la présence territoriale de l’Etat. La France s’est arrêtée à mi-chemin. Aujourd’hui, chacun est amené à gérer dans son coin la situation de crise créée par l’absence de gestion globale de la fonction publique.
Parleriez-vous aussi de « résistance » de la haute fonction publique ?
A. L. P : Je ne peux qu’abonder dans ce sens. Les grands corps montrent effectivement un certain conservatisme, qui est tout à fait critiquable. Durant mon mandat ministériel, j’ai tenté d’élaborer une charte des relations entre l’administration et les usagers sur la base d’une codification des lois, en matière de motivation des actes administratifs et d’accès aux documents administratifs. Cette initiative s’est traduite par un décret illisible. En matière de modernisation, la fonction publique peut progresser. Et nous devons y associer les usagers sur des points précis. Pour ce qui est de s’inspirer des autres pays, je signale que la Grande-Bretagne embauche à nouveau à tour de bras…
3 – L’heure de la modernisation
Quel regard portez-vous sur l’action de Marylise Lebranchu ?
F. S. : Le gouvernement mène la fonction publique dans l’impasse.
A. L. P. : Je vous rejoins sur ce point.
F. S. : En effet, il n’exerce pas sa responsabilité qui est de redonner du sens et de fixer un vrai cap pour les agents. La remise en cause de la légitimité de la fonction publique par une certaine frange de l’opinion est inquiétante. Le fonctionnaire ne doit pas devenir un bouc émissaire. J’invite aussi les syndicats à ne pas rester dans des postures défensives.
Comment, concrètement, la fonction publique doit-elle se réformer ?
F. S. : Ce sont les agents exerçant des fonctions d’encadrement intermédiaire qui feront bouger la fonction publique. Je rêve également d’un vrai grand ministère de la Fonction publique qui puisse opérer des harmonisations, dans le respect des diversités, et repenser la gestion des ressources humaines. Il est nécessaire, enfin, de récompenser les agents qui se montrent innovants. J’étais très attaché à la prime de fonctions et de résultats.
A. L. P. : Je n’utilise pas le terme de management pour le public. Il appartient à la mode actuelle dans laquelle le paradigme est l’entreprise privée. Et où, pour être considéré, il faut être manager. Le management est une notion quelque peu dépassée pour la gestion publique. Le but du service public n’est pas la rentabilité, mais la recherche de l’efficacité sociale. Or cette dernière n’est pas seulement monétaire.
F. S. : Animer des équipes dans un contexte de crise violente ne se fait pas spontanément après un concours et l’accès à des responsabilités. La gestion d’équipe est une dimension extrêmement importante dans les temps de crise que nous traversons. Certains peuvent se retrouver en difficulté et en souffrance dans l’exercice de responsabilités.
A. L. P. : Les fonctionnaires ne sont pas des privilégiés. Face à ce constat, il y a en réalité deux solutions : leur retirer des garanties pour qu’ils soient soumis au marché et généraliser la convention collective dans la fonction publique, ou réfléchir à la mise au point d’un statut des salariés du privé. Il ne s’agirait pas de « fonctionnariser » tous les travailleurs, mais de renforcer la base législative du code du travail, de manière à assurer une sécurisation des parcours professionnels. L’objectif serait de faire progresser et de conserver ses droits tout au long de sa carrière.
Dans trente ans, le statut existera-t-il toujours ?
A. L. P. : Le XXIe siècle sera l’âge d’or du service public. Pour la première fois, l’homme prend conscience de la finitude de la planète. Nous allons, de plus, vers une unité de destin du genre humain. De nombreuses questions, comme celles relatives à l’eau et à l’énergie, ne pourront être résolues que grâce à plus d’interdépendance, de coopération et de solidarité. Ces trois mots ont un sens en France : le service public. Je suis très confiant dans l’avenir du service public et de la fonction publique dans notre pays qui, d’une certaine manière, a anticipé sur ce besoin international.
F. S. : Nous sommes face à des mutations profondes, avec une aspiration réelle à conserver un modèle, et à des perspectives de croissance qui ne permettront sans doute pas de le conserver si l’on ne reprécise pas ensemble ce que nous attendons de la fonction publique. L’idée même de réforme, qui est souvent perçue comme une menace, est notre seule chance pour l’avenir du pays.
Une divergence de fond sur le jour de carence
Si, aux yeux de François Sauvadet, son instigateur, le délai de carence est « une mesure de justice », il existe « des questions plus importantes » selon Anicet Le Pors, ancien ministre communiste de la Fonction publique. « C’est un peu humiliant pour les fonctionnaires, dénonce ce dernier. Quand un agent sait pour quoi il travaille, quand il a une justification personnelle de ce qu’il fait, les problèmes de carence ne se posent pas. » « Il est juste de ne pas être rémunéré lorsque l’on est absent une journée de son travail, affirme François Sauvadet (UDI). Si l’on veut que la fonction publique soit légitimée à nouveau, il faut être équitable. » Des parlementaires UMP tentent d’ailleurs actuellement d’instaurer trois jours de carence dans le secteur public.
Cet article fait partie du Dossier
Le statut de la fonction publique, flexible malgré tout
Sommaire du dossier
- Le statut de la fonction publique, flexible malgré tout
- 40 ans de la loi « Le Pors » : retour aux sources d’un « statut » qui résiste
- « Opérons une transformation progressiste de la fonction publique »
- En Europe, les régimes des agents de droit privé et public coexistent
- Détricotage ou évolution ? Les mutations du statut font débat
- Emploi : le contrat de projet dans la fonction publique en 10 questions
- Le statut : 40 ans d’adaptations, en un clin d’œil
- Avenir de la fonction publique : les associations de territoriaux recadrent le débat
- Une médaille de la fonction publique qui en cache d’autres
- Avenir du statut de la fonction publique : l’analyse de Stéphane Pintre, président du SNDGCT
- Evolution du statut de la fonction publique : les douze propositions de l’ADGCF
- Avenir du statut de la fonction publique : le point de vue de Claude Soret-Virolle, ADT-Inet
- Avenir de la fonction publique : les évolutions du statut selon Jean-Charles Manrique, président de DGC
- Avenir du statut de la fonction publique, les demandes d’Emmanuelle Dussart, présidente de 2ACT
- « Le pays a besoin de fonctionnaires et de collectivités libres d’agir », Fabien Tastet, président de l’AATF
- Le statut de la fonction publique en voie de rénovation
- Quel avenir pour le statut et les fonctionnaires ? Face à face Le Pors – Sauvadet
- « Il faut sortir d’une vision budgétaire de la fonction publique »
- « Trois catégories, cela ne correspond plus aux besoins de l’administration » – Bernard Pêcheur
- Rapport « Pêcheur » : de bonnes propositions, des sujets à controverses mais aussi des manques
- « Le statut est un facteur de souplesse. Il faut en retrouver les fondements » – Arnaud Freyder
- « L’architecture juridique du statut est toujours debout » – Anicet Le Pors, ancien ministre de la Fonction publique
- « Le statut n’a rien à voir avec la question des effectifs » – Didier Jean-Pierre, professeur de droit public
- Atout ou fardeau ? Le statut vu par les administrateurs
- Pourquoi certains élus veulent casser le statut
- Avenir de la fonction publique : une nouvelle lecture du statut