Quentin Léon, analyste financier et fiscal à la Société des grands projets
A l’approche des élections municipales de 2026, la fiscalité locale s’impose de nouveau comme un enjeu central. La taxe foncière sur les propriétés bâties, qui assure près de 42 milliards d’euros de recettes, constitue la principale ressource à pouvoir de taux du bloc communal. Elle repose toutefois sur une assiette dépassée : les valeurs locatives cadastrales fixées en 1970 et, depuis lors, très imparfaitement actualisées. Le constat de leur obsolescence est ancien ; l’enjeu n’est plus de le rappeler, mais d’en mesurer les effets, tant sur l’égalité entre contribuables que sur la répartition des concours financiers de l’Etat.
Assiette cadastrale
Le premier effet est d’ordre distributif. Dans une même commune, deux logements de surface et de valeur marchande comparables peuvent aujourd’hui être imposés de manière très différente, du seul fait que leur assiette cadastrale reflète la photographie d’un marché locatif vieux de plus d’un demi-siècle. Cette situation alimente des inégalités d’autant plus contestables qu’elles ne procèdent pas d’une décision politique assumée, mais d’un mécanisme technique figé.
Le second effet concerne directement les relations financières entre l’Etat et les collectivités. Le calcul des dotations repose sur les notions de « potentiel fiscal » et d’« effort fiscal », elles-mêmes déterminées par ces bases anciennes. Certaines communes apparaissent artificiellement défavorisées car leurs valeurs locatives sont faibles, alors même que leur marché immobilier est devenu dynamique ; ces mêmes communes peuvent afficher des taux d’imposition élevés pour obtenir un produit comparable aux communes jadis jugées plus dynamiques ; se trouvant paradoxalement avantagées dans l’attribution des dotations. Ces distorsions brouillent la lecture des inégalités territoriales et fragilisent la légitimité des mécanismes de péréquation.
Les ajustements législatifs récents n’ont apporté aucune réponse de fond. La suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales, compensée par des transferts de fiscalité nationale, a certes permis de préserver les équilibres comptables, mais sans corriger les biais structurels. Elle a même ajouté une strate à un édifice déjà fragilisé, rendant l’ensemble plus opaque pour les contribuables comme pour les élus locaux.
Rétablir la cohérence de l’impôt local
Deux scénarios de réforme peuvent être envisagés. Le premier, plus pragmatique, consisterait en une révision générale des valeurs locatives, accompagnée de mécanismes de lissage et de neutralisation afin d’éviter des transferts trop brutaux de ressources. Le second, plus ambitieux, relèverait d’un véritable « grand soir » de la fiscalité locale : substituer à ces bases anciennes une assiette contemporaine et lisible – par exemple, une imposition assise sur le mètre carré construit – et redéfinir parallèlement le calcul des dotations à partir d’indicateurs mieux adaptés aux réalités territoriales, tel le revenu médian d’un territoire.
Qu’il s’agisse d’un ajustement progressif ou d’une refonte plus radicale, la finalité demeure identique : rétablir la cohérence de l’impôt local, redonner de la crédibilité aux mécanismes de solidarité et restaurer la confiance entre citoyens, élus et Etat.
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