Qu’elle fasse directement partie de leurs missions ou pas, la lutte contre la corruption et les manquements Ă©thiques repose en grande partie sur les agents. On pense bien sĂ»r d’emblĂ©e Ă leur possibilitĂ© de recours Ă Âl’article 40 du code de procĂ©dure pĂ©nale.
Toutefois, la sociĂ©tĂ© civile s’empare Ă©galement elle-mĂŞme de la question depuis longtemps. Tour d’horizon de quatre catĂ©gories Âd’acteurs indispensables Ă cette lutte, de leurs mĂ©thodes et de leurs moyens, parfois limitĂ©s.
Les citoyens
S’il peut sembler difficile, en tant que simple citoyen, de s’attaquer Ă un problème aussi explosif et technique que la corruption, certains s’y attellent. Raymond ÂAvrillier est l’un d’eux. Il est Ă l’origine de rĂ©vĂ©lations ayant entraĂ®nĂ© la mise en examen puis la condamnation, en 1996, d’Alain Carignon, ancien ministre et ancien maire de Âla ville de Grenoble. « Dans ce combat, il ne faut pas ĂŞtre seul, nuance le septuagĂ©naire. L’engagement individuel est important, mais il faut surtout crĂ©er un mouvement oĂą d’autres volontĂ©s peuvent s’agrĂ©ger. »
A travers des outils très concrets, comme les demandes adressĂ©es Ă la commission d’accès aux Âdocuments administratifs – que n’importe quel administrĂ© peut Âsaisir –, l’infatigable militant anticorruption prĂ´ne « la reprise en main des affaires publiques » afin de passer de consommateurs Ă de vrais citoyens.
Les associations
A chaque association sa ligne de conduite : alors qu’Anticor, qui a pour le moment perdu Âl’agrĂ©ment lui permettant de se constituer partie civile dans des affaires de corruption, est très active sur le plan judiciaire, Transparency International France occupe plutĂ´t le crĂ©neau de l’accompagnement, que ce soit des collectivitĂ©s ou des citoyens qui veulent porter plainte. « Dans un petit nombre de cas, on va jusqu’au contentieux. C’est assez rare », dĂ©taille KĂ©vin ÂGernier, chargĂ© de plaidoyer.
Un travail de lobbying qui a notamment contribué aux nombreuses lois sur le sujet votées ces dernières années. « Plusieurs indices montrent que la culture de la déontologie progresse », se réjouit Kévin Gernier. Même si le sujet est moins porteur que pendant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron. « Pour que ça marche, il faut qu’il y ait une vraie demande de la part des élus », rappelle-t-il.
La presse
Du côté de la presse, l’enquête au niveau local n’est pas toujours facile. Les sources sont plus proches et les portes se ferment après une investigation qui déplaît. Les organes locaux ont donc parfois abandonné ce champ journalistique.
Ce n’est pas le cas du mĂ©dia en ligne spĂ©cialisĂ© dans l’enquĂŞte locale « ÂMediacitĂ©s », qui tente de renverser la tendance depuis sa crĂ©ation, en 2016. Son directeur de la publication, ÂJacques Trentesaux, dĂ©plore « une dissymĂ©trie entre les justiciables qui nuit au rĂ´le de contre-pouvoir de la presse ». En effet, les Ă©lus incriminĂ©s contre-attaquent de manière systĂ©matique judiciairement et bĂ©nĂ©ficient Âsouvent d’une protection fonctionnelle, tandis que « ÂMediacitĂ©s » n’est jamais remboursĂ© des coĂ»ts engagĂ©s dans les procès, mĂŞme en cas de victoire. Ce qui complique son Ă©quilibre financier : malgrĂ© ses multiÂples rĂ©vĂ©lationsÂ, le mĂ©dia cherche 1 500 nouveaux abonnĂ©s d’ici Ă la fin de l’annĂ©e et espère ainsi continuer Ă fonctionner…
Les élus d’opposition
Ils sont au cĹ“ur de la vie d’une ville et peuvent eux aussi ĂŞtre Ă l’origine d’un signalement. Les Ă©lus d’opposition ont un rĂ´le très important en matière de lutte contre la corruption. Jean-Paul Lefebvre, prĂ©sident de l’ÂAssociation nationale des Ă©lus locaux d’opposition, en est persuadĂ© : « Le pouvoir absolu corrompt absolument. Il faut donc que les maires se sentent contrĂ´lĂ©s : cela leur permet de mieux agir. L’opposition sert Ă Ă©viter de faire des bĂŞtises, voire pire. »
Pour que ce contre-pouvoir fonctionne, il souhaiterait revoir la prime majoritaire, de manière que l’opposition soit plus Ânombreuse ÂnumĂ©riquement. « Cela faciliterait sa participation Ă toutes les commissions et Âson examen tous les Âdossiers », indique-t-il. l
Transparence MĂŞme s’il est, par essence, très difficile de mesurer la corruption, les pays nordiques figurent toujours parmi les bons Ă©lèves des tentatives de classement, notamment la Suède. Selon l’indice de perception de la corruption de Transparency International, 83 % des ÂSuĂ©dois estiment que leur secteur public est peu corrompu. La France est assez loin derrière, avec 72 %. « Pourtant, du point de vue des lois et des institutions, la Suède est très Ă la traĂ®ne, explique Sofia Wickberg, professeure assistante Ă l’universitĂ© d’ÂAmsterdam et auteure d’une thèse sur les politiques anticorruption en Europe. Il n’y a pas de haute autoritĂ© comme en France, le financement des partis politiques n’est pas très encadrĂ© et le lobbying ne l’est pas du tout. »
La Suède Ă la pointe de l’anticorruption ?
La transparence semble être le moteur de cette confiance. Le royaume de 10 millions d’habitants est le premier à avoir établi une loi sur le sujet, en 1766, qui donne le droit à tout citoyen d’accéder aux documents publics. La presse ne s’en prive pas. Des enquêtes ont révélé qu’une ministre n’a pas déclaré la nounou de ses enfants, qu’une autre a utilisé sa carte bleue professionnelle pour des achats personnels…
Ce dernier cas est souvent cité en France. La ministre, dit-on, aurait démissionné pour l’achat de deux barres chocolatées. La réalité est un peu différente, la somme atteignant 8 500 euros, selon un comptage effectué par « Libération », mais la conclusion reste la même : les citoyens suédois rejettent plus qu’ailleurs les écarts avec l’argent public.
La situation n’est pas rose pour autant : « Il semble aussi qu’il y ait une infiltration du crime organisé de plus en plus forte dans le pays, précise Sofia Wickberg. Ainsi qu’une culture du silence dans l’administration qui peut poser problème, notamment au niveau local, un échelon moins surveillé par la presse et les citoyens. »
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