Où se déplacent les ministres ? Pour le savoir, il suffit de suivre leurs comptes Twitter sur lesquels ils ne manquent pas de communiquer leurs déplacements. Une manière très simple de montrer qu’ils sont en lien permanent avec les territoires.
Mais pas n’importe lesquels… Car bien souvent, les ministres se déplacent chez eux. C’est ce qu’il ressort de notre analyse des comptes Twitter de 17 ministres (1) entre le 1er septembre 2022 et le 6 janvier 2023.
Ainsi, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, élu député du Nord puis maire de Tourcoing, s’est rendu au moins cinq fois dans ce département en quatre mois. Olivier Klein, ministre délégué chargé de la Ville et du logement, ancien maire de Clichy-sous-Bois, cumule au moins dix visite en Seine-Saint-Denis.
On dénombre par ailleurs six visites en Loir-et-Cher pour le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, auparavant élu député dans ce département ; six aussi pour le ministre du Travail, Olivier Dussopt, en Ardèche où il a été élu député ; sept pour Dominique Faure, ministre déléguée aux Collectivités territoriales en Haute-Garonne, élue dans ce département ; ou huit déplacements en Loire-Atlantique pour la secrétaire d’Etat chargée de la Jeunesse, Sarah El Haïry, précédemment élue députée dans ce département et conseillère municipale à Nantes.
Les ministres semblent donc se déplacer plus aisément dans les territoires qui ne leurs sont pas méconnus. « C’est assez classique, mais de manière paradoxale, c’est plutôt en contradiction avec l’esprit de la Ve République basé sur la déconnexion entre le pouvoirs exécutif et le pouvoir législatif, estime l’historien Jean Garrigues. Il est donc intéressant de voir qu’en dépit de cette séparation les ministres restent très attachés à leur circonscription électorale. »
Lien politique et affectif
Plusieurs raisons peuvent expliquer cela. La première est politique bien sûr. « Quand on est ministre, qu’on connait bien son territoire, on profite de sa connaissance pour mettre en avant les réalisations et les dossiers en lien avec son territoire et son portefeuille ministériel, explique Emeric Bréhier, directeur de l’observatoire de la vie politique de la Fondation Jean-Jaurès. Aussi, si on regarde les déplacements de Marc Fesneau en Loir-et-Cher, ou d’Olivier Klein, en Seine-Saint-Denis, cela paraît logique compte tenu de leur portefeuille. Le choix du lieu de déplacement permet aussi d’entretenir son réseau d’élus. Enfin, l’avantage est que vous pouvez vous adresser à la presse quotidienne régionale ce qui renforce le sentiment de connaissance, de proximité et de disponibilité vis-à-vis de la province. »
Ces visites peuvent aussi être liées à des ambitions futures. « Les ministres peuvent envisager un retour dans leur terre d’élection, comme l’a fait Edouard Philippe », avance Jean Garrigues.
Enfin, « il peut y avoir un lien affectif qui n’est pas simplement cyniquement électoraliste, poursuit l’historien. C’était le cas de Jacques Chirac et de François Hollande, très attachés à la terre de la Corrèze alors que ni l’un ni l’autre n’en étaient originaires. Il y a un ancrage de cœur et de carrière qui résulte d’une expérience politique et d’un cursus. »
Facilité ou pragmatisme ?
Ces déplacements en terres connues ne sont-ils pas synonymes de facilité ? « Il est certain qu’il est plus confortable, y compris sur le plan de la communication, d’avoir un accueil a priori favorable », convient Jean Garrigues. Mais cela peut se révéler aussi piégeux. Si un ministre se rend dans un endroit où il est censé être bien accueilli et que ce n’est pas le cas, cela peut vite être remarqué…
Au-delà de ces considérations politiques, le choix des déplacements peut aussi tout simplement être guidé par le pragmatisme des cabinets ministériels. « Les ministres ont des agendas extrêmement compliqués, souligne Emeric Bréhier. Lorsque l’on organise leurs déplacements, on fait en sorte qu’ils leur permettent de revenir chez eux, ou bien de pouvoir retourner facilement au ministère. Ainsi, on ne s’éloigne pas trop de Paris. Le Val-de-Marne, la Seine-Saint-Denis, la Seine-et-Marne ou les Yvelines permettent de faire l’aller-retour dans la journée. »
Des raisons pratiques donc, dont l’ancien ministre Dominique Bussereau peut témoigner : « J’ai toujours privilégié, sauf contraintes, que mes fins de semaine se déroulent dans le département où j’étais élu, la Charente-Maritime. Cela permettait de rentrer chez soi et de pouvoir retourner facilement à Paris en cas d’urgence. »
Mais la politique n’est jamais bien loin. « Lorsque j’étais ministre de l’Agriculture, poursuit-il, il n’y avait pas de meilleur marqueur que les responsables agricoles du département. Dans ces moments, que je ne considérais pas comme des déplacements ministériels, les gens vous parlent en toute liberté. C’est un réseau d’information très précieux. »
La Seine-Saint-Denis et les Bouches-du-Rhône, objets de toutes les attentions
Plus globalement, il ressort de notre carte que les deux départements les plus visités depuis septembre sont la Seine-Saint-Denis et les Bouches-du-Rhône. Ainsi, 22 visites ont été enregistrées dans le 93, dont dix d’Olivier Klein, et trois de la Première ministre, Elisabeth Borne. Dans les Bouches-du-Rhône, on comptabilise quinze visites.
Une attention particulière qui s’explique par la situation sociale et politique de ces deux départements, estime Jean Garrigues : « Ce sont des territoires où il y a des problématiques majeures autour de la sécurité, de l’intégration sociale. Ce sont aussi des territoires où la majorité gouvernementale a été très affaiblie lors des dernières élections. Occuper le terrain peut donc répondre à un objectif de reconquête. »
« Inflation ministérielle »
Outre les départements, certaines régions cumulent aussi de nombreuses visites. C’est le cas du Centre – Val de Loire, où l’on en dénombre au moins 21 depuis le 1er septembre. La région jouit en effet d’une bonne réputation, comme l’explique Charles-Eric Lemaignen, adjoint au maire d’Orléans : « Les visites chez nous ont toujours été nombreuses pour des raisons très simples. D’une part, vous pouvez faire l’aller-retour depuis Paris dans la journée car la région est bien reliée, d’autre part, c’est un territoire considéré comme représentatif de ce qu’est la France des régions. Ici, il y a une douceur de vivre. Les ministres savent qu’ils seront bien accueillis. »
Mais pour combien de temps encore ? Récemment, le président du département d’Indre-et-Loire, Gérard Paumier, s’est agacé de cette « inflation ministérielle ». En cause notamment, la charge que cela implique pour les élus locaux. « Aujourd’hui, les cabinets ministériels préviennent qu’un déplacement va avoir lieu quarante-huit heures à l’avance. Ce n’est pas correct. On ne peut pas demander à des élus de bouleverser leurs programmes de travail pour être présents sur une photo », estime Dominique Bussereau.
Un avis partagé par Charles-Eric Lemaignen, qui met en avant le temps et l’énergie consommés pour ces événements. « S’il y a des annonces intéressantes ou la mise en valeur de nos actions, c’est très bien. Mais si c’est juste de la communication, cela devient lassant. »
Thèmes abordés
Notes
Note 01 Elisabeth Borne, Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, Eric Dupont-Moretti, Olivier Dussopt, Pap Ndiaye, Marc Fesneau, Christophe Béchu, Agnès Pannier-Runacher, François Braun, Stanislas Guerini, Clément Beaune, Olivier Klein, Dominique Faure, Olivia Grégoire, Roland Lescure et Sarah El Haïry Retour au texte