« Le Canard Enchaîné » a allumé la mèche dans son édition du 14 décembre. D’après le volatile, le départ de la préfète d’Indre-et-Loire Marie Lajus est du à son opposition à un projet d’incubateur de start-ups porté par les édiles du cru. Une construction programmée dans une zone aujourd’hui inconstructible dans un parc accueillant un monument historique, le château de la Vallière.
Interrogé en marge d’une visite à Mayotte, le 1er janvier, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’inscrit en faux. L’opération de la Vallière dépendait en tout premier lieu du veto de l’architecte des bâtiments de France. Une autorité qui n’est pas soumise à la tutelle préfectorale.
L’explication serait ailleurs. « Un représentant de l’Etat doit être inattaquable et respectable et lorsque ce n’est pas le cas, je prends mes responsabilités », glisse Gérald Darmanin, sans en dire plus. Soumise au devoir de réserve, Marie Lajus ne peut répondre à ces insinuations. Les causes de son départ pour le conseil d’administration de l’Agence nationale de cohésion des territoires restent opaques.
Sur un siège éjectable
Mais une chose est sûre : il y avait bel et bien de la friture sur la ligne entre la préfète et les élus locaux depuis son arrivée à l’été 2020.
Témoin, un communiqué publié en septembre dernier sous le double label de l’association des maires d’Indre-et-Loire et de l’association des maires ruraux d’Indre-et-Loire. Les élus dénonçaient le manque d’écoute de l’Etat. Ils se plaignaient de ne pas avoir été reçus en préfecture depuis quinze mois.
Le président LR du conseil départemental Jean-Gérard Paumier ne cachait pas non plus son agacement.
Pas de quoi crier au loup pourtant, selon Pierre Monzani, haut fonctionnaire au ministère de l’Intérieur et ancien préfet de l’Allier et de Seine-et-Marne. « C’est une non affaire. Un préfet exerce une fonction politique au sens le plus noble du terme. Il est à la disposition du gouvernement. » Le successeur de Marie Lajus en Indre-et-Loire, Patrice Latron ne dit pas autre chose : « On est révocable ad nutum, c’est-à-dire d’un signe de tête. »
Tout préfet est assis sur un siège éjectable. Il peut être démis à chaque conseil des ministres. « Notre mandat est de sept jours renouvelables », confirme Bernadette Malgorn, ancienne secrétaire générale du ministre de l’Intérieur. Marie Lajus a exercé ses fonctions deux ans et demi en Indre-et-Loire, ce qui correspond à une durée moyenne.
Un minimum de doigté
Pour autant, n’a-t-elle pas été victime d’une cabale des élus locaux ? Comme l’explique Pierre Monzani, un préfet n’a guère intérêt à se mettre à dos les collectivités avec lesquelles il doit œuvrer en faveur de la transition écologique ou du développement économique.
Si le représentant de l’Etat fait l’unanimité chez les élus, ce n’est pas forcément un bon point pour lui non plus. Paris aura tendance à considérer qu’il privilégie les positions locales au détriment des instructions gouvernementales. La fonction d’incarnation du gouvernement, de l’Etat et du territoire exige un savant mélange d’autorité et de doigté.
« Remis en selle par la crise sanitaire, le couple maire-préfet doit reposer sur des liens de confiance », juge Gil Averous, maire LR de Châteauroux et nouveau patron de Villes de France. « Dans son évaluation à 360 degrés des préfets, l’Etat sollicite l’avis des élus », précise d’ailleurs Bernadette Malgorn, à l’origine de cette procédure.
Est-ce à dire que les principaux édiles d’un département ont leur mot à dire en amont de la nomination du représentant de l’Etat ? Officiellement, non. « Nous sommes simplement informés par SMS quelques heures avant la nomination en conseil des ministres », indique Gil Averous.
Le préfet du Rhône à la trappe
« Seuls le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur ont leur mot à dire sur le représentant de l’Etat dans leur département », complète Pierre Monzani. Place Beauvau, Gérard Collomb ne s’est pas privé de cette prérogative. Comme le souligne Vincent Aubelle, fin observateur du monde des collectivités, le ministre de l’Intérieur et élu lyonnais LREM Gérard Collomb a « limogé manu militari le préfet du Rhône en 2017 », invoquant des dysfonctionnements liés à une affaire de terrorisme. « Je ne représenterai plus l’Etat. Mon uniforme pourra aller au feu », avait réagi l’intéressé Henri-Michel Comet.
Moins en cour dans la capitale, certains édiles auraient bien voulu voir le représentant de l’Etat mettre les voiles. Cela a été le cas en 2019 du maire de Pointe-à-Pitre Jacques Bangou (Divers gauche). A la suite de la mise en cause de sa gestion par la chambre régionale des comptes en raison d’un déficit abyssal, il a remué ciel et terre pour échapper à la procédure de révocation déclenchée par le préfet de la Guadeloupe, Philippe Gustin. Il a fait chou blanc.
En conflit ouvert avec le préfet de la Vienne dans une affaire de subvention à une association prônant la désobéissance civile, la maire EELV de Poitiers Léonore Moncond’huy doit en rabattre. Le représentant de l’Etat Jean-Marie Girier reste accroché à son fauteuil. Cet ancien collaborateur de Gérard Collomb a, il faut dire, dirigé la campagne d’Emmanuel Macron en 2017.
Plaintes des parlementaires
Loin de ces passes d’armes très médiatiques, la plupart des élus préfèrent des stratégies souterraines. Lors des séances de questions au gouvernement, des députés et des sénateurs transmettent des petits mots au locataire de la place Beauvau pour se plaindre de leur préfet.
« Des élus qui grognent, c’est notre lot commun », dédramatise Bernadette Malgorn, ancienne préfète de Lorraine et de Bretagne. « Ce qui faisait la force des maires, c’est qu’ils étaient aussi parlementaires. La fin de leur double casquette a desserré la contrainte sur les préfets », jauge Vincent Aubelle.
Mais le disparition du corps préfectoral pourrait inverser ce rapport de force. « C’est la remise en cause d’un métier et d’une vocation qui s’exerce 24 heures sur 24 », désapprouve Bernadette Malgorn.
La baisse drastique des effectifs et des compétences des services préfectoraux, pointée dans un rapport du sénateur Eric Kerrouche (PS) et de sa collègue Agnès Carrayer (Apparentée LR), affaiblit d’autant plus les représentants de l’Etat. Les maires de grandes villes disposent de moyens autrement plus étoffés. L’Etat a besoin d’eux pour boucler ses plans de financement dans une multitude de domaines.
Cela n’empêche pas les préfets de l’Isère et du Rhône de guerroyer contre les premiers magistrats EELV de Grenoble et Lyon, Eric Piolle et Grégory Doucet, accusés de laxisme en matière de sécurité.
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