A Mordelles, en Bretagne, la municipalité a pris la décision, à la faveur de l’arrivée à échéance du contrat qui la liait, de retirer les panneaux publicitaires implantés sur son espace public. L’objectif n’était pas ici de faire des économies d’énergie, mais bien de ne plus accepter certains messages dans ses rues. Le maire, Thierry Le Bihan, l’explique ainsi : « Quand on s’est demandé si on allait renouveler ou pas ce contrat, la place de la publicité dans l’espace public nous a interrogés vis-à-vis de notre politique menée depuis plusieurs années en faveur des transitions ». Et Mordelles ne souhaite pas s’arrêter là : la municipalité a écrit à la métropole pour que le contrat concernant la publicité sur les abribus ne soit pas renouvelé non plus.
Pour Yvon Goutal, avocat spécialiste des collectivités, une commune peut très bien décider de ne plus abriter des publicités sur les équipements dont elle est propriétaire, qu’il s’agisse de mobilier urbain, ou des murs des bâtiments publics. « Evidemment, dans ces cas-là, elle doit respecter les contrats qu’elle a préalablement conclus : elle ne peut le faire qu’aux termes du contrat avec l’afficheur, car elle doit respecter les contrats encore en cours, au risque de devoir payer des indemnités correspondant au manque à gagner ». La seule difficulté consiste à vérifier à qui revient la charge du retrait des panneaux.
Pas si simple
« Est-ce aux collectivités locales d’autoriser sur les espaces publics, des messages publicitaires, qui, la plupart du temps, mettent en avant la surconsommation, en visant les jeunes publics, qu’il s’agisse d’alcools, de restauration rapide, de jeux… ? Pour nous, ce n’est plus possible. On a donc décidé d’enlever ces trente affichages », poursuit le maire. « Ces messages sont transmis à la radio ou à la télévision, mais dans ce cas, c’est un choix du citoyen de les écouter ou de les regarder. Dans l’espace public, ces discours s’imposent, or nous pensons que les habitants doivent pouvoir vivre dans leur commune sans sur sollicitation de ce genre ».
Aujourd’hui, les règlements locaux de publicité, renforcés récemment par la loi « Climat et Résilience » du 22 août 2021, permettent au maire de réglementer les publicités sur le domaine privé. « Mais c’est incroyable de se dire que les élus oublient le domaine public, se désole Thierry Le Bihan. On n’y mène aucune action car il y a un intérêt pécuniaire derrière ».
Yvon Goutal distingue en effet bien deux situations. Sur les panneaux qui n’appartiennent pas à la collectivité, celle-ci n’a pas d’autre pouvoir que celui que lui confère le règlement local de publicité, qui encadre seulement la liberté qui est laissée aux propriétaires d’afficher de la publicité sur leurs biens. Cela signifie que la municipalité ne pourra pas interdire toute la publicité dans toute la commune. Mais le fait qu’elle soit soumise à un règlement local de publicité, même intercommunal, n’empêche pas une commune de procéder au retrait des panneaux qui lui appartiennent.
Sans aller jusqu’à retirer purement et simplement ses panneaux, une commune peut donc encadrer le type des publicités qui y sont affichées. Pour l’avocat, c’est possible mais pas si simple : « on peut le prévoir dans le contrat, mais dans la pratique, c’est compliqué, parce que le mode de gestion de ces panneaux, pour les sociétés d’affichage, n’est pas différencié en fonction d’un territoire, mais d’un type de panneaux ». La difficulté ne s’arrête pas là, car la rédaction même de ces règles spécifiques s’avère compliquée aussi : « C’est un travail très fin de déterminer quelles sont les limites qu’on fixe à l’affichage, pour que ce ne soit pas complètement discrétionnaire ». Faire vivre de telles règles serait une autre difficulté, pour l’avocat, car il n’est pas évident de définir des modalités de contrôle, avec par exemple un examen en amont de ce que propose l’afficheur, et une réponse dans un délai de 48heures.
« Valeurs de transition »
Cette affaire amène à se demander si c’est aux élus locaux de jouer un rôle actif dans le ralentissement de la surconsommation. Pour Thierry Le Bihan, cela ne fait aucun doute. « Pour moi, les élus se sont laissés entrainer dans des logiques de contreparties par les sociétés privées concernées, mais le prix des addictions, notamment des jeunes, et qui se répercutent dans nos politiques sociales, et de la surconsommation ne devrait pas faire l’objet de ces arrangements financiers. En tout cas, cela va à l’encontre de nos valeurs de transitions mises en place de longue date sur la commune ».
En parlant de contrepartie, il se trouve qu’à Mordelles, une partie de l’espace de ces panneaux était réservée à la communication municipale et à celle des associations locales. Cela représentait à peu près neuf panneaux sur trente. Le retrait de ces panneaux a donc obligé la commune à compenser cette absence : elle a donc commandé le même nombre de panneaux, qui seront gérés directement par la municipalité, pour afficher uniquement des informations communales ou associatives. « Nous nous sommes engagés dans une démarche vertueuse, avec des panneaux en bois local, qui s’insèrent dans l’environnement ». D’après le contrat arrivé à échéance, c’était à la société de supporter le coût du retrait des anciens panneaux et de remettre en état la chaussée. « Pour garder de l’espace d’information, nous avons évidemment dû financer nos nouveaux panneaux, estimée dans notre budget 2023 à environ 60 000 euros. C’est le prix de notre indépendance et de notre opposition face à la surconsommation ».
Pour le maire, ce nouvel investissement, en cette période d’inflation, peut refroidir d’autres communes qui voudraient aussi ne pas reconduire leur contrat. Mais l’édile mise plutôt sur l’action des habitants : « Qu’ils aillent convaincre leurs décideurs publics de ne plus cautionner ces messages de surconsommation qui saturent l’espace public. Nous avons eu beaucoup de retours, venus de l’ensemble de la France, de gens qui espèrent que leur collectivité prendra la même décision. »
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