Les consultants n’ont pas bonne presse en ce moment. Le livre-enquête de Caroline Michel-Aguirre et Matthieu Aron « Les infiltrés » accusent les cabinets de conseils d’avoir mené « un putsch rampant » pour s’installer « dans toutes les failles de l’Etat » et de le pousser à un « suicide assisté ». Ce brûlot vient en complément d’une commission d’enquête du Sénat qui, depuis son installation le 25 novembre dernier, cherche à mettre en évidence « l’influence croissante des cabinets de conseils privés sur les politiques publiques ».
Bien qu’elle dénonce des « débats simplistes », la ministre de la Transformation et de la Fonction publique Amélie de Montchalin a reconnu qu’un tel recours « a parfois été trop systématique et mérite d’être encadré et réfléchi » avant d’annoncer une réduction des dépenses dédiées à ces études de 15 % et une circulaire destinée à mieux encadrer ces pratiques.
Des consultants à tous les étages locaux
Au niveau local, la Gazette avait déjà enquêté sur le recours accru au consulting dans les collectivités en montrant l’intérêt d’y recourir, mais aussi leurs limites. Le rôle des consultants dans les finances locales n’est pas anodin : ils sont très présents au moment de faire des audits de fin ou début de mandat, mais ont dû monter en compétence ces dernières années pour accompagner les acteurs locaux dans leurs efforts d’optimisation des dépenses, de recherches de marges de manœuvres et d’accompagnement dans le changement.
La baisse des dotations, la politique de contractualisation, les lois NOTRe et Maptam avec leurs conséquences sur le redécoupage territorial aux niveaux régional et intercommunal n’y sont pas pour rien. Ils ont travaillé, souvent avec célérité et indépendance, avec une valeur ajoutée variable, mais fréquemment avec une tendance préoccupante à la standardisation de la gestion financière du secteur public local.
La crise actuelle a gelé les enjeux extra-sanitaires et a également réduit temporairement le champ d’action des cabinets, dans un contexte bancaire figé par des taux négatifs reléguant la gestion active de la dette locale au second rang. Aujourd’hui l’activité est bien repartie, mais avec des préoccupations qui dépassent désormais le seul champ financier.
Restructuration naissante
Premier symptôme de cette évolution : le début de la consolidation du marché du consulting en finances locales. Après Finance Active racheté en avril 2021 par le groupe canadien de logiciel et de conseils Altus Group, c’est au tour de Ressources Consultants Finances, acteur historique du conseil en finances locales fort d’une trentaine de salariés, de rejoindre en début d’année le groupe Espelia, un major du secteur qui se définit lui-même comme « l’expert historique des organisations et de l’économie des services publics ».
Dans un communiqué, il précise qu’il réunit 150 consultants compétents « dans les métiers du conseil (stratégie, organisation, conduite du changement, concertation, économie, finances, droit) et les expertises sectorielles de toutes les politiques urbaines ».
Ce groupe, qui assure pouvoir travailler « sur l’ensemble du cycle de conception et de déploiement des politiques publiques », prévoit avec l’intégration de Ressources Consultants Finances dans son giron (1) de multiplier les synergies entre filiales et pôle d’activité.
Autre situation : la fintech Simco, issue de l’incubateur de Finance Active et qui édite un logiciel SaaS de gestion budgétaire et financière vient d’annoncer l’acquisition – via la holding ANV Capital – du cabinet Orféor, une structure d’une dizaine d’experts en gestion de dette, de trésorerie et de financement des projets locaux : « Cette acquisition va donner lieu à la plateforme de gestion financière dédiée au secteur public la plus complète du marché : prospective, dette, dotations, fiscalité, RH et préparation budgétaire, assure Jonathan Dahan, co-fondateur et DG de Simco qu’il a créée en 2014 après s’être affranchi, sur le plan opérationnel, de Finance Active.
En offrant un service complet « nous pourrons démarcher de plus grosses collectivités et tous types d’organismes publics et passer de 3 à 10 millions de chiffre d’affaires d’ici 2025 », ambitionne-t-il. Simco est d’ailleurs déjà en recherche de nouvelles opérations externes.
Solutions globales à prix réduits
Selon les propres objectifs des acquéreurs, ces consolidations ont pour but d’englober les experts finances locales dans des entités de service global, capables de répondre à tous types de besoins : « Les appels d’offres ont évolué vers des demandes plus complexes regroupant des compétences finances, mais aussi techniques et juridiques, tels que des passages en délégation de service public », constate un acteur du secteur.
« On n’a aucune chance d’obtenir ces marchés si nous ne sommes pas capables de répondre en groupe », poursuit-il. Les synergies ainsi opérées font en effet baisser les prix du conseil. C’est aussi ce que veulent les collectivités qui n’hésitent parfois pas à renoncer à une plus grande technicité pour un conseil plus « généraliste » et moins onéreux.
La digitalisation des opérations financières est un autre enjeu des collectivités soucieuses d’améliorer la performance de leurs services tout en réduisant leurs coûts. Les cabinets qui savent développer des produits maison en complément de conseils experts à moindre prix trouveront ainsi leur place dans un marché saturé.
Mutualiser tous les besoins pour réduire les coûts, c’est finalement ce que les consultants ont prôné depuis quelques années aux collectivités qui les appliquent désormais à leur dépens. C’est ce qu’on appelle l’effet boomerang.
Cet article fait partie du Dossier
La République des consultants
Sommaire du dossier
- Les consultants, acteurs incontournables des politiques publiques
- Pourquoi les cabinets de conseil en finances locales s’imposent
- Restructuration boomerang chez les consultants finances
- Michel Klopfer : « Distinguer le bon du mauvais usage des consultants dans les collectivités »
- Nicolas Mathieu, les cadres de la mairie et les cracks du consulting
- Finances locales : des consultants à tous les étages !
- Les cabinets de conseil RH font leur nid dans la territoriale
- Quand les avocats troquent la robe pour le col blanc
- Consultants en aménagement : redonner du sens au millefeuille des documents de planification
- « La standardisation des méthodes contribue à la standardisation des résultats »
- Les cabinets d’intelligence économique ne connaissent pas la crise
- « Les consultants façonnent l’action publique locale » – Romain Pasquier
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