Il y a, chez ces chefs de village, dressés en 1971 contre les technocrates pompidoliens qui veulent mettre la France au carré à coups de fusions massives de communes, évidemment beaucoup d’Astérix. Au sein de la nouvelle Fédération nationale des maires ruraux (FNMR), ces Gaulois réfractaires parviennent à tuer dans l’œuf la loi du tout-puissant ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin. Un coup d’éclat qui en annonce d’autres.
Ces petits poucets servent d’aiguillon à l’enterrement de première classe du rapport « Guichard » de 1976. Exit, les 3 600 communautés de communes et 750 communautés d’agglomération en lieu et place des 36 000 clochers…
« Les gens de droite nous prennent pour des anarchistes, les gens de gauche pour des extrémistes », dit le leader des maires ruraux entre 1983 et 1999, François Paour. Mais la vérité, pour lui, est ailleurs : « Les maires des petites communes se partagent en deux catégories. Ceux qui baissent les bras et espèrent que la population comprendra qu’ils n’ont pas les moyens de faire mieux et ceux qui se retroussent les manches. »
Jacqueries à répétition
La plus remuante des associations d’élus ne s’embarrasse pas des discours protocolaires qui font l’ordinaire des grands-messes d’élus locaux. Convoqué à la préfecture dans un dossier d’ordures ménagères, son futur président entre 1999 et 2008, Gérard Pelletier, menace le secrétaire général de s’attacher au radiateur de son bureau avec des menottes. « Il s’est montré tout de suite plus arrangeant. Il n’avait visiblement pas trop envie de louper sa partie de tennis et son dîner entre amis ! » se plaît-il alors à raconter.
En 1987, les maires ruraux mènent la jacquerie contre le projet de loi « Galland » qui exclut du statut de l’élu les 24 500 premiers magistrats de communes de moins de 500 habitants. En 1996, c’est la bronca quand le pouvoir chiraquien raye d’un trait de plume la franchise communale exonérant les municipalités de frais postaux. Les maires ruraux renvoient tout leur courrier destiné à l’Etat à l’Elysée !
Gouailleurs à souhait, ils s’affranchissent des appareils politiques. Cela leur vaut quelques solides inimitiés dans les grandes associations d’élus. Durant son mandat à la tête des maires ruraux, Gérard Pelletier évacue vite le sujet : « Il n’y a pas plus de concurrence entre l’Association des maires de France et nous qu’entre un médecin généraliste et un ophtalmo. » En 2003, la FNMR devient l’Association des maires ruraux de France (AMRF). Mais garde, chose étonnante, ses bureaux à Lyon plutôt qu’à Paris. Sa ligne ne varie guère non plus.
Confronté en 2014 à la très libérale directrice de l’Ifrap Agnès Verdier-Molinié, partisane d’une France de 5 000 super-communes, le successeur de Gérard Pelletier, Vanik Berberian, bout littéralement. « Pourquoi 5 000 ? Et pourquoi pas 6 002 ou 10 007 ? Votre vision systémique ne correspond pas à la réalité des communes rurales. Notre dotation globale de fonctionnement est déjà deux fois moins élevée qu’en milieu urbain. L’aménagement du territoire national est complètement oublié. Résultat, nos populations votent de plus en plus pour le FN. »
« A portée d’engueulade »
Vanik Berberian se fait le champion du combat contre « les normes ruralicides » et la réforme territoriale arrêtée par François Hollande et confirmée par Emmanuel Macron. Cela ne l’empêche pas de s’ouvrir les portes des palais nationaux.
Les 96 heures passées par Emmanuel Macron en 2019 à répondre aux interpellations des édiles sont une idée du président de l’AMRF, glissée lors d’une entrevue à l’Elysée. A l’occasion de la disparition de Vanik Berberian, au printemps 2021, le chef de l’Etat ne manque d’ailleurs pas de saluer les adhérents de l’AMRF, ces élus « à portée d’engueulade » qui luttent contre « l’extension du domaine de la ville ».
Michel Fournier* : « On ne lâche rien avant la présidentielle »
« N’oublions pas que le règlement de la crise des gilets jaunes a commencé quand nous, adhérents de l’Association des maires ruraux de France, avons mis des cahiers de doléance à disposition de nos habitants. Avec le Covid-19, le regard sur nos territoires change. On s’aperçoit qu’il vaut mieux être confiné dans un pavillon à la campagne que dans un 9 mètres carrés dans une tour. A l’occasion des dernières vacances d’été, beaucoup de Français ont découvert nos communes. Grâce au télétravail, l’exode urbain peut devenir une réalité. En attendant, on ne lâche rien. On souhaite que les candidats à la présidentielle s’engagent sur une idée à la fois simple et forte : la reconnaissance dans la Constitution du critère d’espace dans les politiques publiques afin que nos administrés ne pâtissent plus des sempiternels seuils de nombre de population. »
*Président de l’association des maires ruraux de France et premier magistrat des Voivres dans les Vosges (360 habitants), en photo
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