Les députés ont terminé l’examen du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique, dit « Asap », le 2 octobre. Il sera voté dans son ensemble en première lecture ce mardi 6 octobre. Un texte – déjà adopté par le Sénat en mars – qui ne contenait initialement que des mesures de simplification administrative.
Désormais, ce texte est également considéré par le gouvernement comme un support pour certaines mesures de relance économique. Il contient ainsi différentes dispositions qui viennent modifier le cadre de la commande publique.
Une dérogation pour motif d’intérêt général
La plus controversée d’entre elles ajoute l’intérêt général comme motif de recours à la passation de marchés sans publicité ni mise en concurrence. Cette mesure est inscrite à l’article 44 quater, à l’initiative du gouvernement.
Dans l’exposé des motifs de son amendement, ce dernier explique que cette disposition vise notamment à « sécuriser juridiquement les évolutions réglementaires qui pourraient intervenir pour simplifier la conclusion de certains marchés, notamment dans des secteurs confrontés à des difficultés économiques importantes ou constituant des vecteurs essentiels de la relance économique. »
Une explication qui n’explique pas grand chose ! Selon maître Nicolas Lafay, avocat spécialiste en marchés publics, « l’intérêt général, ça peut vouloir dire beaucoup de choses. On peut même considérer que tout marché public est d’intérêt général. »
Arnaud Latrèche, adjoint au directeur de la commande publique du conseil départemental de la Côte-d’Or, considère lui aussi que cette nouvelle mesure est floue. « La notion d’intérêt général est susceptible de recevoir une acception à géométrie variable selon que l’on soit acheteur, opérateur n’ayant pas été sollicité pour la passation du marché en cause ou encore instance de contrôle de l’acheteur (préfecture, juge administratif, chambre régional des comptes…). »
Le flou règne également sur la compatibilité de cette mesure avec le droit de l’Union européenne : « Au-delà des seuils européens, les cas permettant de conclure un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables sont limitativement définis par les directives européennes. Or, à ce jour, l’intérêt général n’est pas un motif en tant que tel consacré par le droit européen : la question se pose donc de l’eurocompatibilité de ce nouveau cas de recours à une procédure dérogatoire du droit commun pour les achats de seuils communautaires », estime Arnaud Latrèche.
Du côté de Transparency International et d’Anticor, la mesure a du mal à passer. « Un élu local ou un agent public pourraient ainsi conclure un contrat de plusieurs millions d’euros avec l’entreprise de leur choix sans mise en concurrence préalable, s’ils estiment que le délai nécessaire à cette procédure serait manifestement contraire à un motif d’intérêt général. Le code de la commande publique inclut pourtant déjà une palette de situations justifiant de passer outre cette procédure essentielle pour éviter le risque de favoritisme et le potentiel surcoût pour la communauté (urgence impérieuse, première procédure infructueuse, etc.). L’ajout de cette référence – très large – à l’intérêt général pourrait faciliter la signature de contrats opaques avec une dimension clientéliste ou même d’enrichissement personnel, et pourrait exposer également des acheteurs publics de bonne foi à une condamnation pour favoritisme en cas de lecture restrictive de la notion d’intérêt général par un juge », expliquent les deux associations dans un communiqué de presse.
Soutien aux entreprises en difficulté et aux PME
Ce même article 44 quater renforce l’accès aux marchés publics des entreprises en redressement judiciaire, en autorisant expressément les entreprises qui bénéficient d’un plan de redressement à se porter candidates à ces contrats. Elles n’auront ainsi plus à démontrer qu’elles ont été habilitées à poursuivre leur activité pendant la durée prévisible du contrat.
L’article permet également de réserver une partie des marchés globaux aux PME et aux artisans afin de stimuler le tissu industriel de proximité. Actuellement, les dispositions du code de la commande publique prévoient l’obligation pour un acheteur qui passe un marché de partenariat de prévoir une part minimale de l’exécution du contrat que le titulaire s’engage à confier à des petites et moyennes entreprises ou à des artisans, et de tenir compte de cette part dans les critères d’attribution. Or, les marchés de conception-réalisation, les marchés globaux de performance ou les marchés globaux sectoriels ne sont pas concernés aujourd’hui par ce dispositif incitatif de sous-traitance au profit des PME. Avec cet amendement, le gouvernement a pour objectif « de généraliser à tous les contrats globaux du code de la commande publique le dispositif en faveur des PME prévu pour les marchés de partenariat », selon l’exposé des motifs de l’amendement.
Seuil temporaire à 100 000 euros pour les marchés de travaux
Le projet de loi vient renforcer une mesure prise par un décret du 22 juillet, par lequel, jusqu’au 10 juillet 2021 inclus, les acheteurs publics peuvent conclure un marché de travaux sans publicité ni mise en concurrence préalables pour répondre à un besoin dont la valeur estimée est inférieure à 70 000 euros HT.
Les députés ont décidé de relever à 100 000 euros le seuil de dispense de publicité et de mise en concurrence pour la conclusion des marchés publics de travaux jusqu’au 31 décembre 2022. Selon les députés auteurs de l’amendement, cela permettra aux acheteurs de « contracter plus rapidement avec des entreprises et notamment des PME grâce au maintien de l’obligation d’allotissement ».
Pour garantir l’indispensable exigence de transparence, les acheteurs demeurent toutefois soumis à l’obligation de publier des informations sur les marchés conclus dès 25 000 euros.
Des dispositions pérennes pour les périodes exceptionnelles
Lui aussi adopté en commission spéciale, l’article 44 quinquies vient inscrire dans le code de la commande publique un dispositif pérenne qui pourra être mis en œuvre lors de la survenance de circonstances exceptionnelles (telles que, notamment, une guerre, une épidémie ou une pandémie, une catastrophe naturelle ou une crise économique majeure), « afin de pouvoir réagir plus rapidement », selon le gouvernement, là aussi auteur de l’amendement. « Les différents articles de ce dispositif ont pour effet d’adapter le droit de la commande publique pour permettre aux acteurs de la commande publique, en cas de nouvelle crise, de pouvoir poursuivre les procédures de passation et l’exécution de leurs contrats. Ce dispositif de crise prévoit ainsi la possibilité d’aménager des modalités alternatives de mise en concurrence, les conditions de prolongation du contrat et des délais d’exécution ainsi que la neutralisation des pénalités de retard et autres sanctions. »
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