Depuis plusieurs dĂ©cennies, dans les reprĂ©sentations communes, percevoir un salaire Ă©levĂ© serait corrĂ©lĂ© Ă une plus grande valeur sociale. La logique des « premiers de cordĂ©e » incarne cette conception Ă©litiste. Or, la crise rĂ©vèle une dynamique inverse : ce sont aujourd’hui ces invisibles qui semblent rĂ©ellement « utiles Ă la Nation », en assurant des actes essentiels pour garantir, Ă l’écrasante majoritĂ© confinĂ©e, des conditions de vie dignes.
L’épreuve collective actuelle serait-elle l’occasion de redonner ses lettres de noblesse Ă l’article 1 de la DĂ©claration des droits de l’Homme et du Citoyen disposant que « les distinctions sociales ne peuvent ĂŞtre fondĂ©es que sur l’utilitĂ© commune » ?
Aux côtés de la symbolique « caissière », les agents territoriaux poursuivent leurs missions au service de l’intérêt général. Certains esprits chafouins seraient tentés d’observer que les fonctionnaires ont la chance de voir leur rémunération maintenue à taux plein contrairement aux salariés du privé. Rappelons qu’au vu des différentiels structurels de rémunération en défaveur du secteur public, l’argent n’est pas la principale source de l’engagement des agents publics.
Pour autant, un premier enseignement de cette crise consiste à réinterroger les politiques salariales à l’aune de leur utilité pour notre société et donc de la valeur que nous accordons à tout travail méritant un juste salaire.
Atermoiements
Quant au statut de la fonction publique, souvent dĂ©criĂ© comme surannĂ©, il permet aujourd’hui aux employeurs publics d’assurer le niveau de services requis, sans risquer de droit de retrait. Une facilitĂ© qui s’étend au temps de travail, lĂ aussi loin des clichĂ©s. Le statut permet en effet de mobiliser, redĂ©ployer, voire rĂ©quisitionner des agents afin d’assurer les missions urgentes, souvent au bĂ©nĂ©fice des citoyens les plus fragiles… d’agir vite pour Ă©viter une crise dans la crise.
Un deuxième enseignement est donc de cesser de considérer le service public et ses agents comme un coût, pour y voir plutôt une protection de notre modèle social.
Pis, c’est comme si cette incomprĂ©hension se rĂ©pandait jusque dans les plus hautes sphères de l’Etat. Face Ă la nĂ©cessitĂ© de doter rapidement les employeurs publics des outils juridiques adĂ©quats, Ă l’instar des dispositifs offerts immĂ©diatement aux entreprises, nous avons assistĂ© Ă une valse d’hĂ©sitations gouvernementale : crĂ©ation tardive d’une autorisation spĂ©ciale d’absence, atermoiements sur la suspension du jour de carence ou l’imposition possible de jours de congĂ©s, doutes sur l’attribution d’une prime exceptionnelle, ou encore reconnaissance limitĂ©e du Covid 19 en tant que maladie professionnelle.
Cela n’est pas sans rappeler le dernier débat sur les retraites, dont l’une des évolutions visait à réduire le nombre de métiers relevant des catégories actives bénéficiant de conditions plus favorables : agents de la voie publique, personnels médico-sociaux, chargés de collecte des ordures ménagères et…. un professionnel sur deux du secteur hospitalier.
En somme, ceux qui sont aujourd’hui en première ligne de la crise sanitaire. Parmi eux, figurent une écrasante majorité de femmes dans les métiers du « care », parfois exercés à temps partiel subi voire en horaires décalés.
Risque de creuser les inégalités
Autre enseignement de la crise, la généralisation du « télétravail pour tous », qui dans les faits concerne avant tout les fonctions dites de bureau, pendant que les invisibles doivent continuer à intervenir sur le terrain. L’accélération du télétravail bénéficiera dans le monde « d’après » principalement aux cadres, aux mieux formés et payés, dont 70% souhaitent déjà poursuivre ce home office, libérateur de certaines contraintes comme les temps de trajets.
Les autres reprendront leur poste comme avant ou presque, avec le risque de creuser encore davantage les inégalités entre les in et les out de la « révolution digitale ».
L’après-11 mai porte assurĂ©ment le risque d’un monde Ă deux vitesses accentuant les inĂ©galitĂ©s du travail et renforçant les dĂ©calages existants entre « visibles » et « invisibles », une fois la verve des remerciements passĂ©e.
Il est dĂ©sormais de la responsabilitĂ© des employeurs d’assurer un retour Ă la normale qui fasse ressortir le meilleur de cette Ă©preuve. C’est un dĂ©fi managĂ©rial, Ă l’image de cette crise inĂ©dite qui a remis en lumière l’importance de la cohĂ©sion, des solidaritĂ©s et de la nĂ©cessitĂ© de garder le lien. C’est aussi plus globalement un dĂ©fi sociĂ©tal : celui de mettre en place des compensations, qui permettront de retrouver un nouvel Ă©quilibre, gage d’un vivre ensemble harmonieux.
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