Vous préconisez de changer notre manière d’appréhender le droit pour gérer au mieux cette crise. Comment procéder ?
En période de crise, notre droit prévoit qu’en certaines circonstances, la légalité normale devient tellement inadaptée qu’il faut lui substituer provisoirement une légalité d’exception. Il faut alors alléger les procédures et le respect des textes inutiles dont notre droit ne manque pas. L’état d’urgence sanitaire se situe dans ce contexte.
Je propose d’aller encore plus loin, d’en profiter pour trancher un sujet lancinant qui ralentit voire parfois empêche l’action publique. Par une ordonnance qui ne comporterait qu’un article unique, le gouvernement pourrait ordonner qu’en période d’urgence sanitaire, tout ce qui n’est pas explicitement interdit peut être expérimenté, avec une évaluation ex-post.
En droit privé, personne ne conteste le bien-fondé de ce principe. Or il l’est en droit public. Beaucoup d’agents publics pensent ainsi ne pouvoir faire que ce qui est explicitement autorisé, ce qui a pour effet de faire peser sur eux une crainte permanente d’agir dans l’illégalité, d’engager leur responsabilité. Il en résulte une forme d’inertie ou de retard dans la réponse aux situations de crise.
Ma proposition n’est en rien révolutionnaire, elle exprime une évidence : que sauver des vies, protéger la population, répondre à ses besoins de première nécessité n’obligent pas un agent public à attendre la parution d’un arrêté, ni à s’épuiser à vérifier que la montagne de lois existantes ne dit pas le contraire dans un texte quelconque. C’est la situation actuelle et personne ne veut le reconnaître. C’est pourquoi je propose d’affirmer ce principe.
Cette nĂ©cessitĂ© de faciliter le droit vaut-elle Ă©galement en « pĂ©riode normale » ? Le CNEN pourrait-il jouer un rĂ´le ?
Le droit est devenu un ensemble de règles tellement nombreuses et complexes qu’il devient impossible de les respecter, et cela bloque le pays. Je suggère donc qu’on en revienne à une juste proportion du droit dans la vie des Français pour qu’ils se sentent vivre dans un pays de liberté et non dans un univers kafkaïen qui les paralyse.
C’est au moment où le droit est en train de s’écrire qu’il est possible d’agir. Pour les textes qui concernent les collectivités territoriales, le CNEN pourrait jouer le rôle de tiers dans le dialogue et les négociations qui se jouent entre administrations centrales et collectivités. Car depuis la décentralisation, les administrations centrales élaborent un droit kafkaïen pour les collectivités, lequel devient pire que la tutelle.
Le CNEN ne cesse d’insister sur la nécessité d’un dialogue plus interactif et plus confiant entre le central et le local pour que le citoyen ne soit la victime collatérale d’une bataille administrative. Il est tout à fait possible de concilier les intérêts de l’Etat et ceux des collectivités, car au final, il y a un même contribuable et un même usager.
Vous utilisez beaucoup le mot discernement. Vous allez jusqu’à proposer une loi « 4D » pour intĂ©grer ce mot au texte portĂ© par le gouvernement …
Il faut arrêter avec les lois qui frappent les collectivités locales : elles n’en peuvent plus. Une récente loi « engagement et proximité » a été adoptée, elle n’a réalisé que des avancées microscopiques. Bâtir une nouvelle loi n’a de sens que si on veut sincèrement sortir de l’ornière dans laquelle nous sommes.
Le titre « 3D » choisi par le gouvernement fleure déjà la communication. Car « décentralisation déconcentration » existent déjà , et « différentiation » est un vocable incertain qui cherche à démontrer que l’on peut préserver son unité tout en reconnaissant la diversité. Cela va de soi concernant les personnes, mais il faut donc le souligner dans une loi pour les collectivités. C’est l’aveu d’une défiance maladive de l’Etat central à l’égard des collectivités.
Je propose « discernement » car c’est un mot positif et non restrictif, il exprime simplement que les administrations locales bĂ©nĂ©ficient d’une prĂ©somption de capacitĂ© Ă juger clairement et sainement des compĂ©tences qu’on leur a confĂ©rĂ©es. C’est un concept qui existe dĂ©jĂ largement en droit comme Ă©tant la facultĂ© d’apprĂ©cier avec justesse les situations ; c’est exactement ce que l’on attend d’une administration Ă qui on a confiĂ© une mission d’intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral. C’est un minimum de lui reconnaĂ®tre son honnĂŞtetĂ©, sa loyautĂ©, et sa capacitĂ© Ă juger des situations dont la diversitĂ© est telle qu’elle ne peut ĂŞtre listĂ©e dans une loi, sauf Ă tomber dans un rĂ©gime totalitaire.
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