Le GĂ©nĂ©ral de Gaulle lâutilisait sur sa voiture prĂ©sidentielle dans les annĂ©es 1960. Il Ă©tait aussi le symbole du combat de nombreux français contre la barbarie nazie, celui de la rĂ©sistance durant lâOccupation et vĂ©ritable Ă©tendard de la « France libre ». RĂ©cemment, le drapeau français ornĂ© de la croix de Lorraine, pavoisĂ© Ă la fenĂȘtre de son domicile par un habitant de la commune de Sainte-Terre, a créé la polĂ©mique.
En effet, le maire de cette petite commune de Gironde, Guy Marty, « estime que cet affichage est ostentatoire au sein dâune commune qui se veut paisible »(1). Ainsi, « lâĂ©lu envisagerait (âŠ) de prendre un arrĂȘtĂ© pour interdire ce drapeau surplombant le domaine public »(2), ce que lâhabitant conteste.
LâalinĂ©a 2 de lâarticle 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 rappelle que « l’emblĂšme national est le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge ». Pour autant, lâutilisation dâautres emblĂšmes par les citoyens nâest pas rĂ©ellement encadrĂ©e par un texte lĂ©gislatif ou rĂ©glementaire. Des maires sont ainsi amenĂ©s Ă prendre des arrĂȘtĂ©s en la matiĂšre.
Le maire est chargĂ©, selon le Code gĂ©nĂ©ral des collectivitĂ©s territoriales (CGCT), de la police municipale sur le territoire de sa commune(3). Cependant, la proportionnalitĂ© et la nĂ©cessitĂ© des mesures quâil adopte sont Ă©tudiĂ©es par le juge administratif en cas de contentieux.
Le contentieux de l’interdiction de certains drapeaux
Le contentieux le plus cĂ©lĂšbre est lâinterdiction faite Ă la mairie de la commune de Sainte-Anne, en 2005, de remplacer le drapeau français par le drapeau « indĂ©pendantiste » de Martinique sur le fronton de son hĂŽtel de ville. Le Conseil dâEtat (4) considĂšre « que le principe de neutralitĂ© des services publics s’oppose Ă ce que soient apposĂ©s sur les Ă©difices publics des signes symbolisant la revendication d’opinions politiques, religieuses ou philosophiques ».
Pour le juge administratif, « le drapeau rouge, vert et noir, s’il n’est pas l’emblĂšme d’un parti politique dĂ©terminĂ©, est le symbole d’une revendication politique exprimĂ©e par certains mouvements prĂ©sents en Martinique ».
En 2014, le maire de la ville de Nice, Christian Estrosi avait, quant Ă lui, interdit « l’utilisation ostentatoire des drapeaux Ă©trangers »(5) durant la Coupe du monde de football. Un arrĂȘtĂ© municipal (6) contestĂ© devant le juge administratif par plusieurs associations dont la Ligue des droits de lâHomme.
Un maire ne peut  prendre une mesure comme lâinterdiction de drapeaux eÌtrangers qui nâest pas, en elle-mĂȘme, neÌcessaire ni proportionneÌe aÌ la sauvegarde de lâordre public et de la tranquilliteÌ publique
Suspendant lâexĂ©cution de ce texte litigieux dĂ©s le 4 juillet, le tribunal administratif de Nice (7) sâest prononcĂ© au fond quelques mois plus tard sur lâannulation de cet arrĂȘtĂ©.
Il a considĂ©rĂ© que « les restrictions que les autoriteÌs de police peuvent eÌdicter, afin de concilier lâexercice des liberteÌs fondamentales comme la liberteÌ de rĂ©union, la liberteÌ dâexpression ou la liberteÌ de circulation avec les exigences de lâordre public, doivent eÌtre strictement neÌcessaires et proportionneÌes aÌ ces exigences ». Il rappelle que le maire ne peut ainsi « prendre une mesure comme lâinterdiction de drapeaux eÌtrangers qui nâest pas, en elle-meÌme, nĂ©cessaire ni proportionneÌe aÌ la sauvegarde de lâordre public et de la tranquilliteÌ publique ».
DĂ©jĂ quelques annĂ©es auparavant, lâĂ©lu avait pris un arrĂȘtĂ© pour interdire lâutilisation de drapeaux dans les cortĂšges de mariage. Dans dâautres villes de France, comme Ă AngoulĂȘme, des chartes ont Ă©tĂ© adoptĂ©es contre lâusage des drapeaux et le bruit lors de tels cortĂšges.
Le drapeau de la France libre, lâabsence de caractĂšre vĂ©ritablement ostentatoire ?
Le contentieux administratif existe donc en la matiĂšre, le juge ne privilĂ©giant pas lâinterdiction de lâusage des drapeaux sur la voie publique. La volontĂ© du maire de Sainte-Terre dâinterdire le pavoisement dâun drapeau tricolore ornĂ© de la croix de Lorraine porte rĂ©ellement atteinte Ă la libertĂ© dâexpression garantie constitutionnellement – notamment par lâarticle 10 de la DĂ©claration des droits de lâHomme et du citoyen – Ă chaque citoyen français.
Aussi, contrairement Ă lâaffaire que le Conseil dâEtat avait Ă©tĂ© amenĂ© Ă connaitre, sur le drapeau indĂ©pendantiste pavoisĂ© en Martinique, le drapeau tricolore Ă croix de Lorraine – qui peut certes sâapparenter Ă lâidĂ©ologie « gaulliste » – ne flotte pas sur un bĂątiment public, mais Ă la fenĂȘtre dâune habitation privĂ©e, ne portant donc pas atteinte au principe de neutralitĂ© du service public.
Peu de doutes subsistent sur la gravitĂ© du trouble que lâaffichage du drapeau Ă croix de lorraine Ă une fenĂȘtre peut engendrer
Enfin, quant au trouble Ă lâordre public et Ă la tranquillitĂ© qui peut ĂȘtre allĂ©guĂ© par la commune et son premier magistrat, il ne semble pas ĂȘtre rĂ©ellement caractĂ©risĂ©. Peu de doutes subsistent sur la gravitĂ© du trouble que lâaffichage dâun tel drapeau Ă une fenĂȘtre peut engendrer. Ce drapeau symbole de la rĂ©sistance durant la Seconde guerre mondiale ne prĂ©sente pas, bien au contraire, un caractĂšre ostentatoire ou une idĂ©ologie extrĂ©miste, nĂ©gationniste, rĂ©primĂ©e par la loi pĂ©nale.
Il nâen aurait Ă©videmment pas Ă©tĂ© de mĂȘme si lâhabitant avait, par exemple, accrochĂ© Ă sa fenĂȘtre un drapeau nazi, puisque le Code pĂ©nal prĂ©voit dĂ©jĂ en outre lâinterdiction de « porter ou d’exhiber en public un uniforme, un insigne ou un emblĂšme rappelant les uniformes, les insignes ou les emblĂšmes qui ont Ă©tĂ© portĂ©s ou exhibĂ©s soit par les membres d’une organisation dĂ©clarĂ©e criminelle » (8). Cette interdiction potentielle ne semble donc pas proportionnĂ©e et nĂ©cessaire – une exigence pour quâelle demeure lĂ©gale.
Domaines juridiques
Notes
Note 01 Stéphane Kovacs, « Ce drapeau de la France libre qui dérange un maire socialiste », Le Figaro, 17 mai 2018. Retour au texte
Note 02 « Gironde : un maire demande à un de ses habitants de retirer son drapeau de la France Libre », 20 Minutes, 18 mai 2018. Retour au texte
Note 03 Articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du CGCT Retour au texte
Note 04 CE 27 juillet 2005, Commune de Sainte-Anne, req. n° 259806 Retour au texte
Note 05 « Mondial : Estrosi interdit l'utilisation ostentatoire de drapeaux étrangers », Le Figaro, 30 juin 2014. Retour au texte
Note 06 ArreÌteÌ municipal n° 2014-02781 du 30 juin 2014, Ville de Nice. Retour au texte
Note 07 TA Nice, 3 mars 2015, Association Ligue des Droits de lâHomme et Association pour la DĂ©mocratie Ă Nice et dans les Alpes-Maritimes c/. Ville de Nice, n° 1402823 Retour au texte








