Pour remplir l’obligation du taux de 25% de logement social, la Ville de Paris a fait usage du droit de préemption urbain puis du Droit de Préemption Urbain Renforcé (DPUR). Par une délibération des 15, 16 et 17 décembre 2014, le Conseil de Paris a étendu le DPUR à 257 adresses soumis au régime de la copropriété représentant environ 8.000 logements.
L’objectif de la Ville de Paris est de développer le parc de logement social dans le secteur diffus. Outre cet objectif quantitatif, elle poursuit également un objectif qualitatif mentionné dans l’exposé des motifs de la délibération, de « rééquilibrage géographique de l’offre par une politique de mixité sociale fine à l’échelle de l’immeuble ».
Fondement de la dĂ©libĂ©ration – Pour franchir cette nouvelle Ă©tape dans la politique du logement, la Ville de Paris s’appuie sur une disposition du Programme local de l’Habitat (PLH) aux termes de laquelle, pour ĂŞtre soumis au DPUR, les immeubles doivent prĂ©senter une triple caractĂ©ristique : ĂŞtre sous le rĂ©gime de la copropriĂ©tĂ©, dans une zone de dĂ©ficit en logement social et remplir les critères d’appartenance au « parc social de fait » tels qu’établis par l’association « l’Atelier parisien d’urbanisme » (APUR) dans une Ă©tude de 2013.
La méthode se base sur une approche en deux temps : le repérage des quartiers populaires où résident les ménages éligibles à un logement social, puis, au sein de ces quartiers, l’identification des immeubles d’habitat privé les plus modestes. Pour les identifier, l’APUR utilise deux indicateurs : la forte présence de demandeurs de logement sociaux (15% de ménages inscrits au fichier des demandeurs de logement social) et la prédominance de petits logements locatifs (sont concernés les immeubles qui regroupent plus de 70 % de logements de 1 ou 2 pièces et plus de 70 % de logements occupés par un locataire).
Une annulation partielle
L’intĂ©rĂŞt Ă agir – Un Syndicat des CopropriĂ©taires, inclus dans la liste des 257 adresses dĂ©signĂ©es par la dĂ©libĂ©ration Ă©tendant le DPUR, a contestĂ© la dĂ©libĂ©ration du Conseil de Paris Ă fin d’obtenir son annulation. La Cour administrative d’appel Ă©nonce que la qualitĂ© de contribuable de la Ville ne saurait donner intĂ©rĂŞt Ă agir au requĂ©rant dès lors que la dĂ©libĂ©ration en elle-mĂŞme, n’entraĂ®ne pas de dĂ©penses supplĂ©mentaires pour le budget de la Ville. Elle considère en revanche que le syndicat a qualitĂ© pour agir sur le fondement de l’article 15 de la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut des immeubles en copropriĂ©tĂ© des immeubles bâtis qui prĂ©cise qu’un syndicat de copropriĂ©taires ne peut agir qu’en vue de la sauvegarde des droits affĂ©rents Ă l’immeuble.
L’intérêt à agir de la copropriété contre la délibération est reconnu, mais seulement en ce qu’elle porte sur son immeuble.
Le moyen retenu – Cette copropriĂ©tĂ© contestait l’application des critères de l’APUR Ă son immeuble. La Cour a retenu le bien-fondĂ© de la requĂŞte en jugeant qu’il avait Ă©tĂ© fait usage d’une inexacte application des critères de choix retenus par la Ville de Paris pour identifier un immeuble appartenant au « parc social de fait ».
En effet, l’immeuble ne remplissait pas le critère tenant à la présence de plus de 70% de locataires et la Ville n’établissait pas que l’autre critère alternatif relatif à l’existence de 15% de demandeurs de logement sociaux, était rempli. Or, en reprenant à son compte la méthode de l’APUR, laquelle ne revêt aucune autorité juridique, la Ville de Paris était, en vertu de l’adage patere legem quam ipse fecisti, tenue d’appliquer les critères qu’elle s’était elle-même fixée.
La dĂ©cision rendue – La Cour Administrative d’Appel de Paris a annulĂ© la dĂ©libĂ©ration du Conseil de Paris mais seulement en tant qu’elle procède Ă l’extension du DPUR Ă l’immeuble requĂ©rant. Cependant, il est fort possible que parmi les immeubles visĂ©s par la dĂ©libĂ©ration, la Ville de Paris ait fait une inexacte application du « parc social de fait » Ă certains d’entre eux.
Quels recours encore possibles ?
L’exception d’illĂ©galité ? – Si l’exception d’illĂ©galitĂ© des actes rĂ©glementaires est perpĂ©tuelle, s’agissant d’un acte non rĂ©glementaire, l’exception n’est revanche recevable que si l’acte n’est pas devenu dĂ©finitif Ă la date Ă laquelle elle est invoquĂ©, sauf dans le cas oĂą l’acte et la dĂ©cision ultĂ©rieure constituent les Ă©lĂ©ments d’une mĂŞme opĂ©ration complexe, l’illĂ©galitĂ© dont l’acte serait entachĂ© peut ĂŞtre invoquĂ©e en dĂ©pit du caractère dĂ©finitif de cet acte.  C’est donc sur le terrain de l’opĂ©ration complexe que se joue la possibilitĂ© d’exciper l’illĂ©galitĂ© d’un acte non rĂ©glementaire après l’expiration du dĂ©lai contentieux.
Reste donc à savoir si une délibération instituant le DPUR est ou non de nature réglementaire et si elle s’intègre dans une opération complexe.
Par un arrĂŞt du 10 mai 2017, (StĂ© Avenir Bois Habitat, req. n° 398736), le Conseil d’Etat a affirmĂ© qu’il ne peut ĂŞtre excipĂ© de l’illĂ©galitĂ© de l’acte dĂ©limitant le droit de prĂ©emption urbain Ă l’occasion d’un recours contre une dĂ©cision de prĂ©emption, compte tenu de son caractère non rĂ©glementaire ; les liens entre la dĂ©libĂ©ration instituant le droit de prĂ©emption urbain et une dĂ©cision de prĂ©emption ne sont pas constitutifs d’une opĂ©ration administrative complexe.
Concernant les délibérations instituant le DPUR, la Cour administrative d’appel de Marseille (29 juin 2015 req.  n° 14MA01447, 14MA01667) a déclaré recevable l’exception d’illégalité d’une telle délibération en raison de son caractère non règlementaire et de son appartenance à une opération complexe, alors que la Cour administrative d’appel de Versailles a donné un caractère réglementaire de cette délibération (13 juin 2016, n°14VE03429).
Dès lors, faute de décision, à notre connaissance, du Conseil d’Etat relative à la nature de la libération instituant le DPUR et à son appartenance ou non à une opération complexe, il serait peut-être  possible, d’exciper de l’illégalité de la délibération des 15, 16 et 17 décembre 2014 à l’appui d’un recours contre la décision de préempter un appartement situé dans les 256 immeubles parisiens concernés
La demande d’abrogation ? – Si le juge administratif venait Ă considĂ©rer que cette dĂ©libĂ©ration est de nature rĂ©glementaire, il pourrait ĂŞtre envisagĂ©, sur le fondement de l’article L 243-2 du Code des relations entre le public et l’administration, d’en demander l’abrogation soit en raison de son illĂ©galitĂ© initiale, soit pour changement dans les circonstances de fait dès lors qu’il n’existe aucune obligation pour la Ville de Paris de mettre Ă jour l’étude de l’APUR, qui date de 2013, et donc les critères ayant servi Ă lister les immeubles devant relever du DPUR.
En revanche, si elle est non réglementaire, dès lors qu’elle est créatrice de droit, une telle démarche ne pourra pas être envisagée.
Le caractère réglementaire ou non de la délibération des 15,16 et 17 décembre 2014 est donc déterminant pour les futures décisions de préemption de la Ville de Paris dans les 256 immeubles concernées.
Références
Domaines juridiques








