En pleine négociation Etat-syndicats sur la précarité dans la fonction publique, et quelques jours après que François Fillon eut jugé « franchement inutile » le débat lancé par Christian Jacob sur « l’emploi à vie des fonctionnaires », la proposition de loi du député de l’Oise, Jean-François Mancel (UMP) a tout de la provocation.
Le texte, enregistré par l’Assemblée nationale le 13 janvier, vise à réserver le statut de la fonction publique aux seuls agents exerçant une fonction régalienne.
L’exposé des motifs part du principe que le poids de la fonction publique, en France, « en arrive à nuire à l’efficacité de l’Etat, malgré la valeur de ses agents ». Il poursuit en affirmant que « la France est aujourd’hui le seul grand pays développé où il existe encore une séparation totalement étanche entre le statut des fonctionnaires et celui des salariés du secteur privé ».
Un argument pour le moins contestable à l’heure où l’ensemble des acteurs – gouvernement, employeurs, syndicats – reconnaît le poids disproportionné des contractuels dans les collectivités locales et les services de l’Etat et où le CDI se développe.
Soulager les dépenses publiques ? – Autre élément avancé pour justifier cette proposition de loi, celui du poids des traitements des fonctionnaires sur les finances publiques : « cette réforme du statut aurait un impact non négligeable sur les dépenses publiques au sein desquelles les dépenses de personnel représentent près de la moitié du budget de l’État ».
Là encore, l’argument surprend, d’une part parce que, de statut public ou privé, il faudra bien rémunérer les agents devenus salariés, d’autre part parce que la « garantie de l’emploi » attachée au statut de fonctionnaire a justifié, dès sa création, des rémunérations moindres, à fonction équivalente, pour les fonctionnaires que pour les salariés du privé. Revenir au droit commun aurait donc sans doute pour conséquence, au contraire, d’augmenter les salaires. Enfin, il est admis aujourd’hui que la fonction publique peine à recruter les compétences dont elle a besoin, tant les différences de salaires sont importantes entre le privé et le public.
Il faudra donc attendre une éventuelle étude d’impact de ce texte pour mesurer l’ampleur des économies attendues.
Evaporation du service public – Déroulant sa ligne de pensée, Jean-François Mancel explique ensuite, dans son exposé des motifs, que le statut se justifie d’autant moins aujourd’hui que « les contraintes qui pesaient sur les agents publics au nom du service de l’intérêt général et qui justifiaient les droits spécifiques liés au statut ont perdu beaucoup de leur importance d’origine ».
L’auteur de la proposition de loi ne semble pas avoir fait le lien entre les récentes affaires de pantouflage, de conflits d’intérêt, et la notion de service public ou d’intérêt général. De même, il évacue ainsi d’un trait de plume les obligations et devoirs des fonctionnaires : devoir de réserve, obligation de neutralité, discrétion, confidentialité et secret professionnel, mais aussi devoir de désobéissance et de dénonciation des crimes et délits, sans expliquer davantage pourquoi ils ne seraient plus pertinents.
Un texte en creux – La proposition de loi de Jean-François Mancel, ancien président du conseil général de l’Oise, et par ailleurs administrateur civil de la fonction publique est constituée de 3 articles, qui réforment les premiers articles de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. La rédaction de ces articles est tout sauf claire.
Le changement opéré porte sur l’introduction, dans les articles 2 et 3 de la loi de 1983 du membre de phrase suivant : « qui ont vocation à occuper les emplois définis à la seconde phrase du premier alinéa de l’article 5 bis » [de la même loi].
Cette « deuxième phrase du premier alinéa de l’article 5 bis », qui a trait aux ressortissants des Etats de l’UE, stipule que les citoyens européens
n’ont pas accès aux emplois dont les attributions soit ne sont pas séparables de l’exercice de la souveraineté, soit comportent une participation directe ou indirecte à l’exercice de prérogatives de puissance publique de l’Etat ou des autres collectivités publiques.
Il faut alors revenir sur l’article premier de la proposition de loi et comprendre que, à l’exclusion des fonctionnaires des assemblées parlementaires et des magistrats de l’ordre judiciaire, tous « les autres agents sont régis par le droit du travail ».
Cette « modification » ne s’appliquerait qu’aux nouveaux entrants dans la fonction publique. Cependant, un droit d’option, à définir par décret, serait ouvert à ceux des fonctionnaires actuels qui voudraient « bénéficier du nouveau régime ».
Le 20 janvier 2011, ce texte n’était pas inscrit à l’ordre du jour de la commission des lois vers laquelle il a été renvoyé.
Références
- Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires
- Proposition de loi visant à réserver le statut de la fonction publique aux agents exerçant une fonction régalienne
Cet article est en relation avec les dossiers
- Déontologie des fonctionnaires : décryptage de la loi de 2016
- Déontologie des fonctionnaires : droits et obligations
- Quelle réforme de la fonction publique
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