Si l’exercice du pouvoir de police administrative a toujours suscité des débats animés ainsi qu’un contentieux nourri, c’est principalement en raison des intérêts en jeu : d’une part l’exercice de libertés individuelles, certaines fondamentales, et d’autre part, la nécessaire préservation de l’ordre public.
L’année 2014 a été riche en la matière, l’affaire « Dieudonné » ayant donné lieu à une prise de position historique du juge des référés du Conseil d’Etat(1), réitérée plusieurs fois au cours du mois de janvier 2014(2) , au sujet de l’interdiction d’un spectacle humoristique. La liberté d’expression était alors sacrifiée au nom de la préservation d’une composante ô combien protéiforme de l’ordre public : la dignité humaine.
Pour certains, ces ordonnances du Conseil d’Etat constituent de pures décisions d’espèce, n’ayant pas vocation à être réitérées, pour d’autres le Juge Suprême a tiré les conséquences logiques d’un arrêt célèbre précédemment rendu en la matière (3) , l’arrêt dit « du lancer de nains », dans le cadre duquel la notion de dignité humaine avait été érigée en composante de l’ordre public.
Prise de position radicale
Qu’elle qu’ait été l’intention première du juge des référés du Conseil d’Etat, sa prise de position radicale du mois de janvier 2014 a galvanisé certains élus soucieux de préserver leur propre conception d’un ordre public devenu moral. C’est ainsi que certains élus locaux ont souhaité, comme cela a été le cas dans plusieurs villes en 2014, interdire sur leur territoire la représentation du nouveau spectacle de Dieudonné, « la Bête immonde », forts de l’interdiction du spectacle « le Mur » confirmée par le Conseil d’Etat.
La position de ces élus était assez compréhensible : le spectacle « le Mur » avait été interdit en raison de son contenu, jugé contraire au principe du respect de la dignité humaine. Il n’était alors plus nécessaire, pour motiver un arrêté d’interdiction, de démontrer le risque d’affrontements et autres rixes autour du spectacle, ni de toute autre manifestation matérielle du trouble : les mots susceptibles d’être prononcés pendant le spectacle pouvaient à eux seuls être considérés comme attentatoires à la dignité humaine.
Cependant, la position du Conseil d’Etat de janvier 2014 n’était pas automatiquement transposable à un autre spectacle, en 2015. En effet, en 2014, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur un spectacle dont le contenu était connu, et dont certains extraits avaient donné lieu à des condamnations pénales.
« Le » critère d’atteinte à l’ordre public
En 2015, le nouveau spectacle n’a donné lieu à aucune condamnation pénale. Si l’humoriste a fait parler de lui en début d’année avec des propos peu recommandables, notamment après la marche républicaine du 11 janvier 2015, le contenu du spectacle n’avait quant à lui posé aucune difficulté particulière.
Le juge administratif ne s’y est pas trompé, notamment à Clermont-Ferrand (4), confirmé par le Conseil d’Etat le 6 février 2015 (5) : aucun élément produit par la commune concernée ne permettait de démontrer que le contenu du spectacle était en lui-même susceptible de porter atteinte à l’ordre public.
Cette affaire rappelle que le principe reste l’exercice plein et entier de la liberté d’expression, la mise en œuvre d’une mesure de police attentatoire à cette liberté demeurant l’exception. En outre, ladite mesure doit être motivée par un risque réel et sérieux de trouble à l’ordre public, et non par la volonté de réduire au silence un artiste aux multiples condamnations pénales, aussi regrettables soient ses propos antérieurs.
Domaines juridiques
Notes
Note 01 CE 9 janvier 2014, req. n° 374508 Retour au texte
Note 02 CE 10 janvier 2014, req. n° 374528 et CE 11 janvier 2014, req. n° 374552 Retour au texte
Note 03 CE 27 octobre 1995, req. n° 136727 Retour au texte
Note 04 TA Clermont-Ferrand, 5 février 2015, n° 1500221 Retour au texte