L’un des objectifs de la loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010 était l’achèvement de la carte intercommunale à fiscalité propre. 2012 a vu le début de sa mise en œuvre, avec 92 fusions, et 2013 devrait être l’année de sa finalisation. Pour y arriver, y compris en contraignant des communes ou des communautés à fusionner, l’Etat avait octroyé des pouvoirs exceptionnels aux préfets. Ces derniers, dès la fin 2012, ne se sont pas privés de les utiliser, dans certains départements en tout cas.
La date limite étant le 1er juin, les derniers arrêtés préfectoraux tombent depuis quelques semaines. Premier bilan pour l’Assemblée des communautés de France (ADCF) ? « Ce n’est ni tout blanc ni tout noir, assure le délégué général, Nicolas Portier. Dans certains départements, les efforts se sont concentrés sur les seuils et l’achèvement de la carte, avec les derniers rattachements et quelques créations ex-nihilo. Dans d’autres, a plutôt opéré une logique d’optimisation et fusions. » Il poursuit : « Le nombre de communautés est en baisse, en 2013 il y en a 2 456, alors qu’en 2009 on en comptait 2 610. »
Farouche opposition – Selon Eric Kerrouche, président de la communauté de communes Maremne Adour côte sud (23 communes, 56 400 hab., Landes), l’aboutissement de la carte intercommunale « est une bonne chose. Une fois que le territoire sera couvert, il sera possible de prendre des décisions concernant tout le pays ». Mais il souligne que, à travers l’intercommunalité, la France ne tranche pas vraiment sur la rationalisation de l’échelon local : « Les pays européens, à l’exception de la France et de l’Italie, ont réduit leur nombre de communes. Certains ont choisi des solutions radicales. Le Danemark, par exemple, a diminué ce nombre de 80 % en cinquante ans. »
Cependant, les innombrables recours devant les tribunaux administratifs, référendums locaux et démissions massives d’élus montrent que l’amère pilule des « mariages contre tous » dictés par l’Etat ne passe pas, en zone rurale notamment. « On n’est plus dans la coopération intercommunale, mais dans une mutation de l’action publique, de plus en plus technocratisée. Quand l’interco saura gérer des espaces aussi grands, c’est que les communes auront disparu, et ça n’ira pas dans le bon sens », fulmine le conseiller général de la Loire (748 900 hab.) Jean Bartholin, ancien président d’une communauté de communes absorbée par Roannais agglomération.
Economies d’échelle – Leader de la grogne qui a poussé 179 élus locaux de la Loire à démissionner en janvier, Jean Bartholin a accueilli dans sa commune de Saint-Haon-le-Châtel (600 hab.), le 6 avril, une réunion nationale de frondeurs : 90 élus de 24 départements ont préparé une proposition de loi pour « rétablir le libre choix des communes de s’associer ou de se dissocier librement dans le cadre de la coopération intercommunale » et lancé une pétition, déjà signée par quelque 500 élus.
« Nous reprochons au système de vouloir faire notre bonheur malgré nous. Beaucoup de regroupements n’ont pas été réalisés dans une logique d’optimisation mais de concentration, avec les économies d’échelle pour moteur, en donnant la préférence à la strate urbaine supérieure », peste Vanik Berberian, président de l’Association des maires ruraux de France (ADMR), qui dispose d’une longue liste de mécontents des quatre coins de l’Hexagone.
Sièges à répartir – Maintenant, c’est à la redistribution de sièges que l’on s’attelle dans la plupart des intercos. En effet, la loi « Richard » du 31 décembre 2012 relève de 10 % à 25 % la marge d’augmentation possible du nombre de délégués prévu par le tableau d’effectifs de la réforme des collectivités de 2010. Evidemment, ceux qui avaient consenti des sacrifices avant la promulgation ont demandé à renégocier les places. La date limite de révision de la répartition a été repoussée à la fin août. « Nous avons sollicité ce délai car les nouvelles communautés définies début juin avaient droit à une prolongation de trois mois pour délibérer sur la distribution des sièges », indique Nicolas Portier.
Les nouveautés de la loi électorale du 17 mai 2013 (listes paritaires à partir de 1 000 hab., fléchage des conseillers communautaires, représentation des oppositions municipales) rendront d’autant plus difficiles les pronostics sur la composition des intercos après les municipales. « La répartition entre villes principale et périphériques sera un jeu à plusieurs bandes, sachant que la dose de prise en compte de la démographie n’est pas fixée par la loi », note le délégué général de l’ADCF. « Toutes les modifications électorales vont dans le même sens, on déprécie et on minore la dimension du territoire pour accentuer celle de la population », déplore Vanik Berberian. Quant à la « parité stricte, y compris au niveau intercommunal, elle va apporter un renouveau au personnel politique local », se félicite Eric Kerrouche.
A la suite d’une proposition de l’Association des maires de France (AMF), la carte de l’intercommunalité pourra être révisée après les municipales, en 2015, puis tous les six ans. Une raison de plus pour que la thématique intercommunale – et les mariages forcés – devienne un sujet des campagnes électorales locales.
« Il existe un problème d’inégalité de traitement par les préfets »
Eric Kerrouche, politologue, directeur de recherches au CNRS, président de Maremne Adour côte sud (23 communes, 56 400 hab., Landes)
« La loi de 1999 avait laissé la parole aux territoires. Celle de 2010 a ajouté un peu de contrainte. Mais avoir autant de schémas de coopération qu’il y a de départements a provoqué un problème d’inégalité de traitement par les préfets concernant les fusions. Certains ont poussé très loin les concentrations, d’autres ont été très conservateurs. Il n’existe pas de périmètre idéal mais, si l’on veut plus de services, il faut davantage de population. Le but est de chercher la taille correspondant à la meilleure délivrance possible du service public. La question n’est pas celle des économies d’échelle. Il existe une tension permanente entre dynamique d’efficacité et dynamique démocratique. Là où l’élaboration de la carte s’est mal passée, les blessures mettront plus longtemps à cicatriser. »
Témoignages
Naissance d’une agglomération – Roannais agglomération (Loire) • 40 communes • 101 400 hab.
Une direction chargée de la relation avec les communes
Née le 1er janvier 2013 du mariage forcé de la communauté d’agglomération Grand Roanne (6 communes) avec quatre communautés de communes (côte Roannaise, Ouest Roannais, pays de la Pacaudière, pays de Perreux) et une commune isolée, Roannais agglomération devait panser les plaies dès le début. « La préfète avait signé l’arrêté le 18 décembre, nous avons eu peu de temps. Mais les agents ont assuré la continuité des services avec une grande responsabilité, explique le DGS, Christian Marquet. Compte tenu de cette situation particulière, une direction des territoires et de la proximité a été créée. Elle constitue un point d’entrée pour les problématiques rurales. A elle de faire l’interface avec l’agglo sur les transports en commun et scolaires, l’aménagement, la voirie, les sports… » Par ailleurs, une vice-présidente, Marie-France Beroud, est chargée de la relation avec les communes. Enfin, la nouvelle agglo compte d’autres services « décentralisés », comme l’action culturelle et l’agriculture.
Avortement d’un projet de fusion – CC Varennes-Forterre (Allier) • 14 communes • 9 700 hab.
Quand le statu quo provoque des regrets
La communauté de communes Varennes-Forterre réfléchissait depuis huit ans à une fusion avec sa voisine, la CC du pays Saint-Pourcinois (16 200 hab.). Cela aurait créé le quatrième pôle de l’Allier, après les agglos de Moulins, Montluçon et Vichy. « Pour consolider les territoires ruraux et éviter l’hémorragie vers les villes, la réflexion sur une fusion était allée très loin. Des études chiffrées avaient été réalisées. Nous aurions bénéficié d’une dotation de 900 000 euros », assure Xavier Cadoret, président de l’interco. Mais un changement de préfet et des dérogations permettant de ne pas respecter le seuil de 5 000 habitants ont suffi pour que tout reste en l’état. « Des forces d’inertie sont apparues, basées sur le fait que les petites intercos perdraient des dotations. Maintenant, nous le regrettons. Nous restons enfermés dans nos petites chapelles, les élus locaux participent à ce système. C’est du gâchis. Le département prend du retard. Nous allons continuer nos projets à notre échelle, mais c’est un frein au développement. »
Disparition d’une communauté rurale – CC du pays de Corps (Isère) • 13 communes • 1 800 hab.
Une fusion forcée jugée irréfléchie
Fin mai, l’arrêté préfectoral entérine l’obligation faite à deux communautés de communes – pays de Corps et vallées du Valbonnais (10 communes) – de fusionner avec celle de la Matheysine (11 communes) et 10 communes isolées. En janvier 2014 doit voir le jour une nouvelle interco pour 19 000 habitants. Ce sera sans la DGS, Marie-Jeanne Pérot, qui prend sa retraite fin juin. « J’ai passé treize ans au service de la mairie de Corps. Puis vingt ans dans la coopération intercommunale. Je ne veux pas œuvrer à la destruction de tout ce travail. Les élus attaquent l’arrêté au tribunal administratif et je suis d’accord avec eux. La zone de montagne n’a pas été prise en compte. Certains devront faire une heure de route pour aller à La Mure, la ville-centre ! On colle des territoires sans discuter d’abord des compétences. On a mis vingt ans pour inculquer aux habitants l’idée du territoire, maintenant on leur dit stop, vous changez d’intercommunalité. Pas étonnant qu’ils s’éloignent du monde politique. »
Cet article est en relation avec le dossier
Thèmes abordés