Quels objectifs vise l’ONU en organisant cette année internationale de la coopération dans le domaine de l’eau(1) ?
L’événement vise d’abord à montrer à tous les acteurs qu’ils ont besoin les uns des autres et qu’aucun ne détient, individuellement, la solution : Etats, autorités locales, opérateurs, organisations non gouvernementales et organismes de financement doivent collaborer. La France a une riche expérience de la coopération entre acteurs : au sein des comités de bassin, créés en 1964, décideurs publics et usagers de l’eau échangent, apprennent à comprendre les besoins des autres et à trouver des compromis sur la ressource en eau.
Ce sont des actions collectives qui doivent se déployer face aux quatre problèmes majeurs qui se posent à l’échelle mondiale : la gestion quantitative de la ressource, l’accès à l’eau potable et à des toilettes décentes, les pollutions et les inondations (la France n’étant concernée que par ces deux derniers sujets). Ces problèmes sont aggravés par le changement climatique, leur résolution passera par la mobilisation des acteurs de tout type.
Quel rôle peuvent jouer les collectivités locales dans le débat mondial ?
Jusqu’à présent, elles peinent à trouver leur place, qu’elles n’ont commencé à occuper qu’en 2006, au Forum mondial de l’eau d’Istanbul. Depuis, tous les forums leur accordent une large place, car elles sont un maillon indispensable entre les Etats centraux et les acteurs locaux. Pourtant, nous avons un mal fou à les faire venir à ces rencontres et les y faire peser. Il n’y avait quasiment pas de représentants de collectivités locales françaises à la réunion de préparation du prochain Forum mondial, tenue en mai dernier à Daegoo (Corée du Sud, ville qui accueillera le prochain Forum en avril 2015), à laquelle participait toutefois Henri Bégorre (2), président du Partenariat français pour l’eau (3).
En pratique, il est certes très difficile pour les collectivités de dégager du temps et des ressources pour le champ international, du fait des responsabilités qu’elles assument sur leur territoire. Mais il y a un grand besoin que les autorités locales, qui exercent bien plus de compétences que les Etats dans le domaine de l’eau, s’investissent dans les travaux internationaux. Ce qui n’est pas naturel aux collectivités françaises, qui ont l’habitude d’échanger avec leurs homologues d’autres pays mais pas avec les autres acteurs. Elles sont très actives auprès du Parlement français mais ne font pas assez pour peser dans les enceintes internationales, ne serait-ce qu’à Bruxelles.
En matière de coopération, le système du « 1 % pour l’eau » (4), instauré par la loi Oudin-Santini de 2005, trouve tout de même un écho à l’étranger …
Le Programme des Nations Unies pour le développement en fait la promotion, les Pays-Bas l’ont copié et le sujet sera abordé au Forum de Daegoo. Sur la scène internationale, les collectivités françaises ont tendance à beaucoup parler de coopération décentralisée, un registre d’action tout à fait intéressant. Mais le rôle des autorités locales va bien au-delà : la gestion de l’eau étant décentralisée en France, ce sont avant tout leurs compétences de gestionnaires, les politiques et les partenariats qu’elles développent qui intéressent. Leur intervention dans les débats internationaux aiderait à combattre certaines idées fausses (il faut ainsi souvent rappeler que c’est l’autorité publique qui est le donneur d’ordre, non l’opérateur du réseau et des ouvrages) et à recentrer les échanges sur les vrais problèmes. Les diplomates ont besoin du regard de praticiens de terrain.
Les compétences des collectivités sont sollicitées au-delà du strict domaine de l’eau. Dans les villes des pays en développement, la croissance démographique est bien plus soutenue que celles des infrastructures urbaines (notamment en matière d’eau et d’assainissement) : leur apport portera aussi sur l’urbanisme et l’aménagement.
Les collectivités françaises ne risquent-elles pas d’apparaître comme les faire-valoir des grands groupes nationaux spécialistes de l’eau et de l’assainissement ?
La ville de Paris ne parle pas exactement au nom de ces groupes et il y a en France beaucoup d’autres régies. L’autorité organisatrice a besoin au quotidien d’un opérateur, interne (dans le cas d’une régie) ou externe (délégation de service public en France ou partenariat public-privé (PPP) à l’international). C’est l’autorité locale qui définit les objectifs du service, les tarifs, le mode de relation avec les usagers et qui contrôle le travail de l’opérateur.
Ce dernier a besoin d’instructions affirmées et d’un contrôle fort pour accomplir correctement sa mission. Les collectivités qui se sont complètement déchargées sur leur opérateur se sont trompées : c’est cette attitude qui explique l’échec des PPP. Il n’y a pas d’opérateur qui réussit ou qui échoue tout seul, la bonne marche d’un contrat nécessite que chacun joue son rôle. En France, il y a de nombreux cas où ce partenariat fonctionne bien, pour la collectivité comme pour l’opérateur. D’où l’image positive donnée à l’observateur étranger.
Quels seront les prochains grands rendez-vous onusiens ?
Fin 2015, doivent être définis les « objectifs de développement durable », dans la continuité des « objectifs pour le millénaire », fixés en 2000 pour l’horizon 2015. Il y sera encore question d’accès à l’eau potable et à des toilettes décentes. Cet objectif s’abordera désormais au regard du nouveau droit humain d’accès à l’eau potable et à l’assainissement, reconnu en juillet 2010 par l’Assemblée générale des Nations Unies. La définition de ce droit inclut la délivrance de ce produit de première nécessité à un prix abordable. Les réflexions françaises sur la tarification sociale de l’eau présentent donc un intérêt certain. Pour illustrer encore la nécessité d’un travail multi-acteurs, on peut rappeler qu’à la fin des années 90, la France a mis en place un système de financement des impayés associant l’Etat, les conseils généraux, les communes et les opérateurs.
Les futurs objectifs porteront aussi sur la collecte et le traitement des eaux usées, urbaines et industrielles (à l’échelle mondiale 80 % des effluents sont rejetés dans le milieu naturel sans traitement) et sur la gestion efficace de la ressource. Des préoccupations auxquelles les collectivités ne sont pas étrangères.
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Thèmes abordés
Notes
Note 01 Gérard Payen est également auteur de l’ouvrage « De l’eau pour tous ! Abandonner les idées reçues, affronter les réalités », Armand Colin, avril 2013. Retour au texte
Note 02 Maire (UMP) de Maxéville (Meurthe-et-Moselle), premier vice-président du Grand Nancy. Retour au texte
Note 03 Plate-forme d’échanges et de réflexion sur la gouvernance et la gestion des ressources en eau créée en 2007, fédérant les acteurs français de l'eau intervenant à l’international : ministères, ONG, entreprises, collectivités territoriales, établissements publics, associations, organismes de bassin, organisations scientifiques et techniques. Retour au texte
Note 04 Qui permet aux collectivités d’allouer jusqu’à 1 % de leurs recettes à des actions d’aide à l’accès à l’eau et à l’assainissement. En 2010, le dispositif a mobilisé 24 millions d’euros. Aujourd’hui mis en œuvre par plus de 200 collectivités, il collecterait 67 millions d’euros par an s’il était généralisé, selon l’Agence française de développement. Retour au texte