Au Danemark, la décentralisation énergétique est déjà en marche. Les 98 collectivités de ce royaume se livrent même à ce qui apparaît comme un sport national : être les plus performantes en matière de politique énergétique et de développement durable.
Pour cela, chaque territoire cherche à composer un mix énergétique dépendant de ses ressources locales, même si on y retrouve souvent les mêmes ingrédients : le vent, le soleil, la biomasse et les déchets.
Thisted est l’une des références en la matière. Cette structure intercommunale qui regroupe plusieurs villes (1) s’est lancée depuis le début des années 80 dans le développement des énergies renouvelables.
Mettant en route sans cesse de nouvelles installations au cours des trente dernières années, Thisted affiche des résultats impressionnants. « Nous produisons aujourd’hui plus de 100 % de l’électricité que nous consommons et 85 % de l’énergie nécessaire au chauffage (2) de nos 46 000 habitants », explique, avec une certaine fierté, Torben Juul-Olsen, directeur technique de la « kommune » de Thisted.
Un rendement optimal – La production de chaleur provient principalement – Ă hauteur de 70 % – de l’incinĂ©ration des dĂ©chets. Un taux de recyclage exceptionnel (97 %) permet d’en collecter 52 000 tonnes, qui fournissent chaque annĂ©e, par cogĂ©nĂ©ration, 107 gigawattheures (GWh) de chaleur et 26 GWh d’électricitĂ©.
« Il faut savoir que l’incinération de 4 tonnes de déchets produit autant d’énergie que celle de 1 tonne de pétrole », précise Torben Juul-Olsen. Durant la période de froid, qui s’étale de septembre à mai, une unité d’incinération de paille est utilisée en complément. Elle apporte 30 GWh supplémentaires (soit 20 % du total), grâce à la combustion de 8 700 tonnes de paille cultivée localement.
Enfin, la géothermie fournit les 15 GWh restant (10 %).
En parcourant le site où ont été construites successivement l’installation géothermique (en 1984), l’unité d’incinération des déchets (en 1991) et celle de paille (en 2005), le visiteur constate que les ingénieurs locaux ont cherché à récupérer chaque source potentielle d’énergie dans le process.
Résultat : le rendement énergétique de l’usine atteint 95 %.
RĂ©duction notable de la facture – A la pĂ©riphĂ©rie du site, on dĂ©couvre un Ă©trange alignement de miroirs concaves. « Il s’agit d’une installation-pilote de production d’énergie solaire par concentration, d’une capacitĂ© de 500 MWh », explique Torben Juul-Olsen.
Certes, le Danemark n’est pas le pays le plus ensoleillé d’Europe, et donc pas le plus adapté à ce type de technologie, mais il s’agit d’un site d’expérimentation d’une entreprise danoise. L’opération est donc blanche pour la collectivité, qui récupère au passage les 500 MWh en question.
Durant l’été, Thisted produit également 5 GWh de froid pour la climatisation des bâtiments, grâce à des pompes à chaleur à absorption qui réalisent un échange thermique avec les eaux souterraines.
Quant à la chaleur que génère toute l’année l’incinération des déchets, elle est utilisée, à la belle saison, par une brasserie industrielle reliée au site par pipeline.
Ces efforts concourent à réduire fortement la facture énergétique, d’autant que les installations et réseaux sont détenus par des sortes de coopératives appartenant à la collectivité et ses habitants.
Les gains réalisés sont redistribués en partie aux usagers. Et cette politique est payante : « Au final, le coût du chauffage pour un foyer est trois fois moins élevé que si l’on produisait cette énergie à partir du pétrole », se félicite Torben Juul-Olsen.
En ce qui concerne l’électricitĂ©, Thisted se prĂ©vaut d’être autonome Ă 100 % en Ă©nergie, mĂŞme s’il s’agit d’une notion virtuelle car l’électricitĂ© produite – qui ne peut ĂŞtre stockĂ©e – est envoyĂ©e sur le rĂ©seau national de distribution.
84 % de la consommation électrique de ses 46 000 habitants et 1 700 entreprises proviennent de ses 226 éoliennes qui produisent 270 GWh par an. Leur installation a commencé en 1992, Thisted étant la première ville danoise à s’être lancée dans l’énergie éolienne.
Les 16 % restants sont apportés par l’incinération des déchets et par 11 unités de biogaz. A noter que les habitants se sont également équipés de près de 1 900 panneaux photovoltaïques et d’une centaine de petites éoliennes.
Le transport comme seule ombre au tableau – Continuellement, Thisted lance de nouveaux projets : en 2008, elle a dĂ©veloppĂ© une politique d’efficacitĂ© Ă©nergĂ©tique, en 2009, elle a accueilli une plateforme de test de rĂ©cupĂ©ration de l’énergie de la houle et, trois ans plus tard, le centre national de test pour les grandes Ă©oliennes.
Seule ombre au tableau, qui va compliquer sa mue en une ville « carbone-neutre » : l’énergie utilisée pour le transport. Des initiatives vont être lancées pour favoriser l’utilisation de véhicules électriques et l’emploi de biogaz pour les bus, mais Torben Juul-Olsen reconnaît que cela prendra du temps.
Dans l’immédiat, Thisted s’est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 3 % par an jusqu’en 2025.
Stocker dans le sol
La ville de Brædstrup (3 000 hab.) dispose d’une installation de chauffage urbain plutôt innovante. Celle-ci repose principalement sur un parc solaire de 8 000 MW qui ne fonctionne pas en hiver. Un ingénieux système de stockage dans le sol de l’énergie produite permet de la conserver pendant plusieurs mois. Une trentaine de collectivités sont venues visiter ce site pionnier, « dont certaines du Sud de la France », révèle le directeur du site, Bjarne Brendstrup.
« Le Danemark a choisi, par référendum, de ne pas s’engager dans le nucléaire »
Frede Hvelplund, professeur à l’université d’Aalborg
« Le Danemark a pris conscience de sa très forte dĂ©pendance au pĂ©trole en 1973 et a choisi par rĂ©fĂ©rendum, en 1985, de ne pas s’engager dans le nuclĂ©aire. Le choix a alors Ă©tĂ© fait de sortir d’une organisation très centralisĂ©e, avec des grosses centrales thermiques fonctionnant au charbon ou au fuel, pour construire localement de plus petites unitĂ©s. On compte ainsi aujourd’hui près de 665 centrales de cogĂ©nĂ©ration – produisant de la chaleur et de l’électricitĂ© – et 230 unitĂ©s de chauffage urbain. Mais nombre de ces dernières consomment des matières fossiles, principalement du charbon. Le gouvernement danois a donc dĂ©cidĂ© de s’affranchir de ces matières fossiles et a pris, en 2011, plusieurs engagements forts : il s’agit notamment d’atteindre dès 2020 une part de 35 % d’énergies renouvelables dans la consommation totale (Ă©lectricitĂ©, chauffage et transports) et de 50 % d’éolien dans la production Ă©lectrique. En 2050, toute l’énergie devra ĂŞtre produite Ă partir d’énergies renouvelables . Dans le mĂŞme temps, la maĂ®trise de la consommation Ă©lectrique jouera un rĂ´le important et les Ă©missions de gaz Ă effet de serre devront ĂŞtre rĂ©duites de 40 % par rapport Ă leur niveau de 1990. »
Cet article fait partie du Dossier
Energies renouvelables : les collectivités locales mettent le turbo
7 / 8
Sommaire du dossier
- Energies renouvelables : les collectivités locales mettent le turbo
- Des collectivités motivées, malgré les difficultés
- Les collectivitĂ©s mettent le cap sur l’Ă©olien offshore
- Hydroélectricité, géothermie, énergies marines, éolien terrestre : zoom sur quatre exemples
- Ortaffa (Pyrénées-Orientales, 1 300 hab.) : requalifier des exploitations agricoles grâce à un projet photovoltaïque
- Pour aller plus loin
- « Un vrai enjeu pour les entreprises publiques locales » – Alexandre Vigoureux, juriste Ă la FĂ©dĂ©ration des entreprises publiques locales
- Energies renouvelables : Thisted, ville-témoin de la créativité danoise
Thèmes abordés
Notes
Note 01 Thisted (46 000 habitants, 1 700 entreprises) est une structure intercommunale créée en 2007, dans le cadre de la grande réforme danoise de l’intercommunalité. Elle regroupe les villes de Thisted - sa capitale -, Hanstholm, Sydthy et Thyholm. Retour au texte
Note 02 Les 15 % restants sont liés aux installations des particuliers qui utilisent principalement du gaz naturel et, dans une moindre mesure, des pompes à chaleur. Retour au texte








