« Nous sommes dans une situation de totale illégalité qui remet en cause les fondements mêmes de notre droit », constate Olivier Le Mailloux, avocat et professeur de droit constitutionnel à Marseille.
« Nul ne peut se faire justice soi-même. Le passage de la justice privée à la justice institutionnelle marque la différence entre la sauvagerie et l’Etat de droit. L’absence de violence n’implique pas l’absence de délit, puisqu’il y eu des menaces, des accusations sans preuves et peut-être de l’incitation à la haine », ajoute-t-il en s’étonnant de l’inaction des pouvoirs publics, lors des incidents du 27 septembre à Marseille.
Cinq jours après l’installation de familles roumaines sur un terrain vague jouxtant un immeuble promis à la démolition, des manifestants les ont contraints au départ en présence de policiers.
Selon le ministère de l’Intérieur, ces derniers avaient été appelés par les roms craignant des débordements. « Depuis le début de l’année, ces familles ont été évacuées six fois de différents sites à Marseille et à Aix, mais toujours par les forces de l’ordre à la suite de décisions de justice », constate Jean-Paul Kopp, président de l’association Rencontres tsiganes.
Dans le contexte extrêmement tendu de Marseille où se développent des polémiques autour des campements roms et des phénomènes locaux d’insécurité, l’affaire a déclenché de multiples réactions.
Zones d’ombres – Quelques zones d’ombres subsistent dans l’établissement des faits. Qui étaient les manifestants, beaucoup plus nombreux que les habitants de l’immeuble voisin ?
Deux heures après le départ des roms, un incendie est signalé sur le site. Sont-ce des détritus brûlés par soucis d’hygiène ou vandalisme d’affaires oubliées dans la précipitation ?
Ce point n’est pas véritablement attesté.
Les accusions de vols et de dégradations portées contre les roms n’ont pas été plus confirmées que les accusations d’être armés portant sur les manifestants.
Responsabilité des collectivités – Les seuls points avérés sont l’inaction des collectivités et l’action de l’Etat limitée à une simple surveillance durant les 5 jours qu’a duré l’installation sur le site.
Selon un document remis le 18 septembre par la préfecture aux participants de la table ronde « sur la problématique des roms dans les Bouches-du-Rhône », deux procédures auraient dû être déclenchées dès le constat d’un nouveau campement.
Prévenues au moment même de l’arrivée des premières familles, les forces de l’ordre auraient pu procéder pendant 48 heures à l’évacuation des occupants sans droit ni titre dans le cadre d’une procédure de flagrance.
A défaut de cette mesure, la préfecture des Bouches-du-Rhône a confié aux collectivités et aux services d’insertion la responsabilité de mettre en œuvre les mesures d’accompagnement prévues dans le cadre de la circulaire du 26 août.
Celle-ci prévoit notamment l’information et la médiation avec les riverains du campement. A juste titre, les manifestants ont donc justifié moralement leur action par l’inaction des pouvoirs publics.
Néanmoins, cette défaillance des pouvoirs publics ne limite pas la responsabilité juridique des manifestants qui encourent des peines d’amendes voire de prison pour menaces et incitations à la haine raciale (menaces article 222-17 du Code pénal, incitation publique à la haine raciale article 24 de la loi du 29 juillet 1881).
Craignant que cette affaire ne fasse boule de neige, des associations s’interrogent sur la suite juridique à donner. « Nous ne voulons pas nous en prendre directement aux manifestants, qui sont des personnes en difficulté qui s’en prennent à de plus pauvres qu’eux, mais nous étudions dans quelle mesure nous pouvons attaquer la responsabilité des collectivités et de la préfecture qui par leur inaction porte toute la responsabilité de ce dérapage extrêmement dangereux », remarque Jean-Paul Kopp.
« Il faut donner un coup d’arrêt à cette montée du racisme car il n’y a plus de limites. Après les roms, les gens du voyage et peut-être d’autres catégories de citoyens deviendront les cibles de manifestants », déclare Alain Daumas, président de l’Union française des associations tsiganes, qui constate ces dernier mois une augmentation des incidents ayant parfois débouché sur des violences.
Banalisation des violences privées – En juillet dernier, trois personnes ont été blessées à Dambach la-ville (Bas-Rhin) lors de l’attaque d’un groupe de grands passages par des engins agricoles.
En août, dans l’Aveyron, un autre groupe a essuyé des coups de fusils. En mars, à Nantes, les employés d’un supermarché ont « déménagé de force » une famille roumaine stationnée à côté du magasin.
De leur côté, la Voix des Rroms et Romeurope tiennent la longue listes des incendies de campements roms dont certains se sont avérés être d’origine criminelle.
Evacuation mardi 2 octobre
La police a procédé mardi 2 octobre 2012 à l’évacuation en urgence dans les quartiers nord de Marseille de la trentaine de Roms installés sur un parking géré par la ville après leur fuite jeudi, a indiqué la préfecture.
« La police nationale a procédé à l’évacuation du campement en exécution d’un arrêté municipal d’expulsion motivé par la dangerosité du site », précise la préfecture dans un communiqué.
Elle indique que ces familles « ont décliné » l’aide au retour qui leur a été proposée par les services de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) et refusé « une formule d’hébergement en hôtel pour 48 heures » présentée « aux familles des 13 enfants présents sur le site ».
La mairie de Marseille avait déposé plainte dès leur installation dimanche « pour occupation illicite et dégradation de bien public ».
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