Pendant que l’attention est focalisée sur le projet gouvernemental de réforme ferroviaire, en grande partie centrée sur la transformation de la SNCF, la préoccupation des élus est ailleurs. Écarté des discussions actuellement menées par l’exécutif , le devenir des petites lignes continue d’être un sujet de vigilance.
L’onde de choc Spinetta
Il n’a suffi que de quelques heures pour que de nombreux élus fassent connaître leur désapprobation concernant le rapport Spinetta. Rendu le 15 février, ce document avait pour mission de nourrir les réflexions du gouvernement sur la réforme du ferroviaire français ; il préconisait notamment de réétudier la pertinence du réseau de dessertes fines – appelé dans le jargon le réseau UIC 7 à 9.
Les élus conviennent que ses résultats ne sont pas satisfaisants. Pour autant, remettre en question ces lignes découle selon eux d’une vision purement comptable. Le dossier devient vite un casus belli. Le gouvernement a senti monter la grogne. La ministre des Transports a d’abord tenté de rassurer les élus, en recevant leurs associations les unes après les autres, sans grand succès. Puis le 26 février, Edouard Philippe a choisi de mettre le dossier de côté. Celui-ci ne figure donc pas au programme de la réforme ferroviaire. Mais les élus ne sont pas rassurés pour autant.
Vers un transfert aux régions
La position du gouvernement sur le dossier se résume désormais en une phrase : « on décide pas la fermeture de 9000 km de lignes depuis Paris sur des critères administratifs et comptables ». En réalité, sous-couvert d’une prise en compte des situations de chaque territoire, le gouvernement renvoie la balle aux élus locaux. Et tous les acteurs du secteur interrogés sont unanimes : on se dirige probablement vers un transfert de propriété de ces « petites lignes » aux régions. Selon nos informations, un groupe de travail va d’ailleurs être mis en place sur ce sujet, rassemblant notamment SNCF Réseau, les services du ministère des Transports et Régions de France.
Côté régions justement, la plupart sont très prudentes. Mais d’autres sont loin d’être fermées à l’idée. David Valence, vice-président de la région Grand-Est en charge des infrastructures et des transports résume le sentiment collectif : « nous sommes prêts à discuter ». Mais au delà de ce message général, les régions ont déjà des idées en tête et envisagent de poser trois conditions à une potentielle reprise en main d’une partie des lignes capillaires.
Obtenir des marges de manœuvre financières
D’abord, ce transfert doit s’accompagner d’un transfert d’une recette dynamique afin de leur donner les moyens de gérer ces lignes. A défaut, le transfert ne serait qu’un écran de fumée permettant à l’Etat de se défausser, et se destinerait à faire porter la responsabilité des fermetures de lignes aux élus régionaux .
Deuxième exigence : que l’Etat pousse la SNCF à faire évoluer ses standards de maintenance. Les collectivités régionales estiment que l’entretien de ces lignes pourrait être bien moins coûteux en modifiant des normes techniques jugées trop strictes. Des obligations en terme de choix de ballast pèsent par exemple sur les factures. Ailleurs en Europe, les procédures sont moins rigides et la maintenance coûte 20 à 30 % moins chers, sans remettre en question la sécurité, d’après plusieurs bons connaisseurs du dossier.
Ouvrir à la concurrence les trains … et les infrastructures !
La troisième demande est la plus explosive. Les régions souhaitent discuter de la possibilité de recourir à d’autres entreprises que SNCF Réseau pour l’entretien du réseau qu’elles auraient récupéré. En d’autres termes, il s’agit de demander l’ouverture à la concurrence de ce volet. Une suggestion que devraient peu goûter les syndicats de la SNCF, déjà récalcitrants à propos de l’ouverture à la concurrence pour l’exploitation des lignes. A l’inverse, les régions voient majoritairement la libéralisation d’un bon œil. D’ailleurs, SNCF Réseau externalise déjà une partie de ces chantiers. Et plusieurs sources nous indiquent que les entreprises sollicitées affirment être capables de réaliser les mêmes travaux, là encore pour des factures 20 à 30 % inférieures à celles réclamées par SNCF Réseau. Certaines régions pourraient aussi être tentées de recourir à des régies publiques.
Ces trois propositions ont été présentées à Elisabeth Borne. La ministre se serait montrée particulièrement attentive, sans faire connaître son sentiment. De toute façon, pour un expert du dossier, « si le gouvernement veut vraiment transférer le dossier aux régions, il sera bien obligé de leur lâcher du lest ».
Le gouvernement continue de dévoiler son projet de loi de réforme ferroviaire
Lors du conseil des ministres du 14 mars, Elisabeth Borne a présenté le texte d’habilitation à prendre des ordonnances pour la future réforme ferroviaire. Sans surprise, celui-ci se concentre essentiellement sur 4 objectifs :
- la transformation de la nature juridique de la SNCF,
- la suppression du statut pour les nouveaux embauchés,
- la mise en place d’un projet d’entreprise plus performant,
- la définition des conditions de l’ouverture à la concurrence.
Le détail des évolutions à venir fait toujours l’objet d’une concertation engagée début mars et qui court jusqu’à fin avril. Chaque sujet faisant l’objet d’un accord des parties prenantes sera introduit par amendement dans le texte législatif. En cas de désaccord, le gouvernement conservera la main via les ordonnances. D’ores et déjà, Elisabeth Borne a précisé quelques points. L’ouverture à la concurrence du TGV se fera en open access et non en franchise. De nouveaux opérateurs pourront donc proposer leurs services sur les mêmes liaisons que la SNCF. Quant à l’ouverture à la concurrence sur le TER, elle sera permise aux régions qui le souhaitent dès 2019. Le texte fait en revanche l’impasse sur le devenir des petites lignes donc, écarté de la réforme, mais aussi sur celui de la dette de l’entreprise ferroviaire.
Thèmes abordés