Grosse passe d’armes ces derniers mois entre élus et magistrats financiers. Jean-Claude Gaudin, le maire (UMP) de Marseille a estimé cet été que les magistrats se sont érigés « en juge d’opportunité » dans leur dernier rapport.
Colère également de Michel Vauzelle, président (PS) du conseil régional PACA, en septembre, pour qui « le principe du contradictoire » n’a pas été respecté.
Ou encore accusations virulentes au printemps de Christian Bourquin, président (UMP) de Languedoc-Roussillon, contre la CRC qui a dénoncé certaines pratiques de sa collectivité.
Pourquoi le sang de certains élus ne fait-il qu’un tour à la lecture des rapports d’observations des juridictions financières chargées de contrôler l’état de leur gestion ? Partial, l’avis des CRC ? Entre fausses vérités et rumeurs, la Gazette s’est penchée sur la façon de travailler de ces organismes de contrôles des deniers publics.
Comment la Chambre régionale des comptes choisit les collectivités contrôlées ?
Les procédures de contrôles font l’objet d’une programmation annuelle. Les plus grosses collectivités doivent être contrôlées tous les 4 à 5 ans. Pour gagner en efficacité, certaines régions, comme le Nord-Pas-de-Calais, l’Ile-de-France, ou Paca, ont adopté la règle du « contrôle permanent » : un contrôle régulier, effectué tous les deux ans, avec un focus sur deux ou trois thèmes à chaque fois (aide à l’enfance, apprentissage, etc.).
La programmation inclut aussi des contrôles communs que demande la Cour des Comptes. Enfin, le choix est dicté par les signalements faits par le Parquet judiciaire, le préfet ou les particuliers.
« L’an dernier, nous avons reçu 80 courriers signalant des dérives de toutes sorte émanant de particuliers. Nous n’en utilisons pas énormément mais cela montre que c’est une préoccupation croissante de nos concitoyens », indique Danielle Lamarque, présidente de la CRC Paca, qui sort, à titre d’exemple, une trentaine de rapports par an. Un rapport peut demander jusqu’à 18 mois de travail.
Comment se déroule un contrôle ?
L’équipe est composée d’au moins deux personnes – un magistrat et un assistant – mais peut monter jusqu’à 5 magistrats pour les gros contrôles.
Le travail commence dans les locaux de la CRC par une analyse financière à partir de la presse, des comptes de la collectivité, des lettres reçues, etc. Le choix des thématiques – en général trois ou quatre – se dégage. L’équipe rédige un plan sur 5 à 10 pages. Le contrôle est alors ouvert.
Les magistrats se déplacent dans la collectivité et s’appuient aussi sur des spécialistes externes. Un rapport provisoire est rédigé. Il est soumis à la collégialité de la CRC. Ce rapport provisoire est ensuite envoyé à l’ordonnateur (la collectivité) et aux tiers mis en cause (associations, agents..) qui ont deux mois pour apporter leurs observations.
Le rapport définitif est alors rédigé et envoyé de nouveau à la collectivité, qui a un mois pour répondre.
Le rapport définitif – relu in fine par le président de la CRC – intègre ensuite la réponse de la collectivité. « La procédure s’est complexifiée et offre de plus en plus de garanties à l’ordonnateur : le rapport est rédigé dans la collégialité et l’instruction est contradictoire à plusieurs stades », assure Jean-Yves Bertucci, président de la CRC Ile-de-France.
Comment est prise en compte la réponse de la collectivité ?
Depuis la réforme du 21 décembre 2001, la réponse de la collectivité est introduite telle quelle dans le rapport définitif. La collectivité est donc entièrement libre dans sa façon de rédiger sa réponse.
« Il m’est arrivée de téléphoner à une collectivité car la réponse était très agressive mais c’est rare. Certaines aussi nous renvoie des annexes très volumineuses, ce qui n’est pas publiable, nous en discutons donc ensemble », dit Danielle Lamarque.
Les élus ont aussi la liberté de contester les mesures préconisées par les magistrats. «La collectivité peut contester une des décisions prises par la chambre devant le tribunal administratif, en arguant que cette décision fait grief », ajoute Vincent Sivré, président du nouveau syndicat des juridictions financières unifié. Dans les faits, ce genre de plaintes est rare.
Comment garantir au maximum la confidentialité des rapports ?
Depuis la loi du 15 janvier 1990, les observations définitives doivent être rendus publiques dans les instances délibérantes des collectivités locales. Or, les fuites dans la presse, parfois en amont, sont souvent à l’origine des polémiques.
« Nous essayons de sécuriser au maximum nos propres envois. J’ai l’assurance que les fuites ne viennent pas de nous mais de la collectivité. Cela dépend de l’état de tension qui existent en son sein », déclare Danielle Lamarque.
« Nous ne pouvons rien y faire. A la différence de la Cour des Comptes, nous ne maitrisons pas la communication, puisque c’est la collectivité qui fixe la date de l’assemblée délibérante et qui convoque », glisse Jean-Yves Bertucci, président de la CRC Ile-de-France. En revanche, les magistrats financiers tentent au maximum d’anonymiser les observations des rapports.
La période de réserve pré-électorale fait débat
A partir de la fin novembre, les maires vont souffler. Aucun rapport ne sortira en vertu de la période de réserve de trois mois. Cette période de statu-quo précédant une élection générale est d’origine coutumière.
« Elle a été utilisée pour la première fois pendant les élections municipales de 1995, puis est devenue une règle d’usage », explique Jean-Yves Bertucci, président de la CRC d’Ile-de-France.
Elle a été rendue obligatoire par la loi du 21 décembre 2001, en ces termes : «Le rapport d’observation ne peut être publié ni communiqué à ses destinataires ou des tiers à compter du premier jour du troisième mois précédent le mois au cours duquel il doit être procédé à des élections pour la collectivité concernée (..) » (article L.243-5 du code des juridictions financières).
Cette disposition fait toutefois débat. Les élus réclament régulièrement que cette période soit allongée de trois à six mois. C’est ce que prône le sénateur Jacques Mézard (RDSE) dans un rapport de janvier 2012 (1).
Les magistrats sont contre. « Cela représente une moitié d’année. C’est trop long, il y aura un décalage par rapport aux éléments de gestion analysées », répond Danielle Lamarque.
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