Le 8 décembre, à 17 heures, Notre-Dame de Paris rouvrira officiellement ses portes aux visiteurs, après une série de cérémonies religieuses commencée la veille.
40 000 visiteurs par jour attendus
Dès le 9 décembre, une foule venue du monde entier devrait se presser sous les voûtes du joyau gothique parisien. Lors de la première année de réouverture, 15 millions de visiteurs sont attendus, au rythme de 40 000 par jour, selon des estimations du service des publics de la cathédrale.
Qu’il vienne prier, assister à un office ou contempler les beautés de la cathédrale restaurée, aucun visiteur ne paiera pour franchir le porche de la cathédrale. Jusqu’à quand ?
Tout dépendra de ce qu’il adviendra du projet ardemment défendu par la désormais ex-ministre chargée de la Culture Rachida Dati, à savoir instaurer un droit d’entrée pour les touristes, comme elle l’avait expliqué lors de ses auditions en commissions « culture » de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Qu’elle se succède à elle-même ou que la Rue de Valois ait un nouveau ou une nouvelle locataire, le débat a bel et bien été mis sur la table : faut-il faire payer les touristes à Notre-Dame de Paris pour contribuer au financement de l’entretien et de la restauration des autres églises en France ?
75 millions d’euros collectés et redistribués
Les touristes s’acquitteraient d’un droit d’entrée de cinq euros. Une somme « symbolique », selon Rachida Dati, qui permettrait de collecter quelque 75 millions d’euros, dont une grande partie serait redistribuée aux nombreuses communes qui manquent d’argent pour restaurer leurs églises, le reste servant aux travaux d’entretien de la cathédrale.
Une mesure qui reposerait sur un double constat patrimonial et financier : environ 10 % des quelque 40 068 églises propriétés communales récemment recensées par les états généraux du patrimoin, sont menacées de disparition faute de travaux. Or le niveau actuel des crédits de l’Etat pour le patrimoine ne permet pas de remédier à cette situation.
Lors de son audition par la commission « culture » du Sénat, le 5 novembre, Rachida Dati avait indiqué que la mesure était déjà à l’étude Rue de Valois et que des « simulations » avaient commencé. Le Centre des monuments nationaux (CMN) est envisagé comme organisme collecteur.
Ecueil juridique
Les partisans de cette mesure estiment qu’elle serait d’autant moins incongrue qu’elle existe dans nombre de pays étrangers dans leurs édifices religieux les plus prestigieux.
Sauf qu’en France, il existe la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat, selon laquelle « on ne peut rien faire sans l’affectataire » , rappelle Pierre Ouzoulias, vice-président (PC) du Sénat, et coauteur, avec sa collègue Anne Ventalon (LR, Ardèche) du rapport de la mission d’information sur l’état du patrimoine religieux conduite en 2022.
Pour Yvon Goutal, avocat spécialiste des collectivités, la jurisprudence est claire sur ce sujet : « Quand le lieu est affecté au culte, celui qui décide c’est le desservant. Le principe étant la gratuité, si on veut y déroger, seul le desservant peut le décider. » En d’autres termes, c’est bien seul le diocèse de Paris qui peut décider de faire payer l’entrée à Notre-Dame.
« Si le ministère de la Culture veut faire payer l’entrée de la cathédrale de Notre-Dame et que le diocèse de Paris refuse, elle devra changer la loi ou trouver un système qui ne perturbera pas l’exercice du culte », complète Yvon Goutal. En effet, le Conseil d’Etat l’a déjà précisé, quand la visite ne porte pas atteinte à l’exercice du culte, c’est-à-dire que le fonctionnement de celui-ci n’est pas perturbé, par exemple par une entrée distincte, il est possible de faire payer les visites. C’est le cas pour des cryptes, des trésors, des tours où les visites sont payantes.
« On n’a pas besoin de toucher à la loi de 1905 », martelait Rachida Dati face à ceux qui l’alertaient sur l’écueil juridique. Et d’assurer que « si le diocèse était d’accord, si on trouvait un terrain d’entente, on pourrait [faire payer les touristes] dès demain », puisqu’une billetterie existe à Notre-Dame de Paris pour éditer des tickets gratuits.
Le diocèse de Paris campe sur ses positions
Seulement l’affectataire, en l’occurrence le diocèse de Paris, n’est pas du tout disposé à la moindre négociation sur le sujet. Il l’a fait savoir dès le 24 octobre, en évoquant « la mission fondamentale des églises d’accueillir de façon inconditionnelle et donc nécessairement gratuite tout homme et toute femme, indépendamment de sa religion ou de sa croyance, de ses opinions et de ses moyens financiers ». Et de rappeler que « à Notre-Dame, pèlerins et visiteurs n’ont jamais été distingués », ce qui permet « la communion entre tous, ce qui est l’essence même du lieu ».
Lors de la clôture des états généraux du patrimoine religieux le 18 novembre, en présence de l’ex-ministre chargée de la Culture, le président de la Conférence des évêques de France Eric de Moulin-Beaufort est revenu à la charge, comme le rapportent nos confrères de « La Croix » : « Permettez-moi de former le vœu […], que nos églises et nos cathédrales soient préservées de la marchandisation croissante que l’on constate des lieux de culture. »
« Cette proposition a fait débat, je le sais, avait convenu Rachida Dati. Mais je la trouve cohérente, et j’aimerais que nous puissions l’étudier sérieusement aujourd’hui. » Mais, manifestement, nul ne semble pouvoir à ce stade imposer cet ordre du jour à l’agenda du diocèse.
Des élus chargés de la culture partagés
« La FNCC a soulevé la question de l’entretien, voire le maintien, au culte du petit patrimoine religieux avant même que ne se pose l’interrogation d’un droit d’entrée à Notre-Dame de Paris susceptible de nourrir un fond d’entretien des petites églises ou chapelles tout à travers la France, a expliqué son président Jean-Philippe Lefèvre à “La Gazette”. Parmi nos adhérents, la position n’est pas unanime sur les droits d’entrée. En revanche, celle qui consiste à interroger les évêchés et les curés affectataires sur l’avenir qu’ils entendent donner à des lieux de culte qui ne sont plus desservis, fait, elle, l’unanimité. »
Références
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