A Margny-sur-Matz, j’ai vécu mon « tournant réaliste »(1). Élu en 2020 maire de ce village de 550 habitants dans l’Oise, j’ai tout de suite été confronté à un dilemme.
L’écologie politique, un « repoussoir » dans les territoires ruraux
D’une part, les villages ruraux seront les premiers frappés par le dérèglement climatique du fait de la baisse des rendements agricoles, des catastrophes naturelles plus fréquentes et plus violentes. Les habitants de ces territoires seront également les premiers à subir les politiques climatiques mal pensées telle que l‘augmentation du prix de l’essence alors que la voiture est le seul moyen de transport.
D’autre part, j’ai été élu dans la continuité et non sur un programme de rupture. Je ne me sentais pas la légitimité d’imposer violemment mes convictions alors que l’écologie politique est un véritable repoussoir dans l’Oise. Il suffit pour s’en convaincre de rappeler les maigres 3,34 % de Marie Toussaint en 2024 et 3,35 % de Yannick Jadot en 2022 ou la réaction épidermique des habitants aux propos sur le barbecue ou le tour de France de certains élus.
Loin d’être théorique, j’ai dû faire face à ce dilemme dès mon premier projet. Mon prédécesseur avait remplacé les bandes enherbées d’antan par des trottoirs, à l’exception d’une rue, dans un hameau du village. La construction de trottoirs était également prévue pour cette rue.
Afin de ne pas aggraver l’artificialisation des sols, le ruissellement et réduire l’usage de matériaux polluants, nous avons décidé de refondre le projet. Lors de la première réunion publique, les habitants de la rue ont exprimé une certaine injustice à habiter la seule rue du village sans trottoirs. L’adhésion a été emportée en présentant un projet alternatif : le maintien des bandes enherbées tout en réalisant des entrées pavées plus esthétiques que celles en enrobé initialement envisagées. Il me semble que la rue est aujourd’hui l’une des plus belles du village et que personne ne regrette le projet initial.
« Un projet écologique devient acceptable s’il répond à d’autres préoccupations des habitants »
J’ai appris avec ce projet qu’un projet écologique devient acceptable s’il répond à d’autres préoccupations des habitants, en l’espèce le coût et l’esthétique. Fort de cette première expérience, j’ai tâché de généraliser cette méthode pour chacun des projets du mandat.
Une mare avait été plantée de nombreux peupliers gris. Arrivés en fin de vie, certains tombaient présentant un risque exigeant qu’ils soient abattus. Plutôt que de se contenter de les abattre et de les replanter, nous avons profité de cette occasion pour élaborer avec le Centre permanent d’initiatives pour l’environnement un projet pédagogique impliquant la classe du village. La mare redeviendra le havre de biodiversité qu’elle avait été tout en augmentant sa capacité de rétention d’eau face aux ruissellements.
De même, une forte demande de la population avait émané dès 2020 de s’atteler à la réduction de la vitesse dans le village. Nous avons donc réalisé une étude sécurité « classique » proposant plusieurs ralentisseurs, ronds-points et travaillons maintenant au bonus écologique : un projet paysager remplaçant une partie du béton existant dans le centre bourg par des plantations et rendant piétonne la rue menant à l’école.
Enfin, les habitants possèdent pour la plupart deux véhicules. L’augmentation du prix de l’essence notamment à la suite de la crise ukrainienne a rendu l’utilisation de ces véhicules particulièrement coûteuse. La mairie envisage un projet qui permettrait de mettre à la disposition des habitants un véhicule en autopartage dont l’utilisation serait moins coûteuse que celle du second véhicule personnel. Ce véhicule serait une petite voiture électrique partagée ajoutant ainsi le bonus écologique à une mesure de pouvoir d’achat.
La méthode du bonus écologique
Plutôt que d’aborder un projet par le prisme de l’ambition écologique, nous élaborons donc d’abord un projet « classique » répondant à des préoccupations immédiates puis y ajoutons une dimension écologique. L’acceptabilité du projet est alors bien plus grande.
Cette méthode paraît indispensable au regard des deux décalages dont souffre l’écologie comme le souligne François Gemenne(2). Géographique d’abord, le pays subissant les conséquences du réchauffement climatique ne sera pas nécessairement le pays émetteur des émissions polluantes. Temporel ensuite, les actions d’aujourd’hui n’auront d’impact que dans des dizaines d’années.
Ces décalages expliquent pourquoi l’écologie reçoit un accueil plus favorable au sein de populations favorisées, « gagnantes de la mondialisation », dont le confort matériel permet un vote désintéressé ou tout du moins perçu comme tel. Invoquant de grandes valeurs, l’écologie se prive alors de l’adhésion d’une partie importante de la population qui exige légitimement que les politiques publiques répondent à des préoccupations plus immédiates.
La méthode du bonus écologique permet de concilier ces deux aspects en assurant qu’une politique réponde d’abord à une préoccupation immédiate tout en participant à l’effort collectif de la lutte contre le réchauffement climatique. Le caractère ambitieux de la politique écologique ne résulte pas ainsi d’une rupture brutale avec le passé. Une telle rupture, par sa radicalité, empêcherait non seulement d’être élu dans un village rural mais surtout de construire le consensus indispensable au caractère collectif de l’action communale sans lequel le village se meurt.
Si chaque bonus écologique est modeste, la politique écologique revêt son caractère ambitieux du fait de l’accumulation des bonus écologiques. L’écologie vient ainsi progressivement irriguer chacune des réflexions et devient le fil directeur de la politique communale. En d’autres termes, cette méthode semble permettre de mener une politique écologique dans certains territoires a priori hostiles à l’écologie. Reste à savoir si une telle méthode peut valoir pour une autre échelle.
Thèmes abordés
Notes
Note 01 Le tournant réaliste de l’écologie politique, Pierre Charbonnier, 30 septembre 2020 Retour au texte
Note 02 L’écologie n’est pas un consensus, François Gemenne, 2 novembre 2022 Retour au texte