Pour quelles raisons avez-vous décidé de mener une étude sur la perception du bruit dans le logement social ?
Maxence Moreteau : Nous sommes très régulièrement interpelés, notamment par les habitants des quartiers populaires, sur ces sujets, dans le cadre de l’élaboration de projets urbains. Et en même temps, nous étions confrontés à une absence de réponse de la part des pouvoirs publics et des bailleurs sur ces sujets. Ils nous disent globalement que c’est compliqué et trop coûteux d’intervenir sur l’isolation acoustique.
Yann Moisan : A chaque fois qu’on évoque la santé des habitants de ces quartiers, le bruit revient comme une problématique récurrente, avec un fort sentiment d’impuissance derrière. En tant que bureau d’études, nous sommes très peu missionnés sur ce sujet, et quand on le fait ressortir dans nos diagnostics sociaux, il est souvent traité de manière secondaire par les bailleurs et les collectivités.
Non pas parce qu’ils jugent que ce n’est pas un problème, mais souvent parce qu’ils sont démunis sur le panel de solutions à mettre en place. Il sont aussi soucieux de répondre à l’objectif d’équilibre financier de leurs opérations. C’est l’un des sujets qui apparait dans la conclusion de notre étude : jusqu’à quel point est-ce qu’on considère cet impact sur la santé au regard de ces coûts économiques souvent jugés à court terme. C’est la raison pour laquelle nous avons dédié cette étude à ce sujet.
Et pourquoi en particulier dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville ?
Marion Hoefler : On a décidé de se concentrer sur les quartiers prioritaires de la politique de la ville, car là-bas, il y a tellement d’autres problématiques à gérer, que le bruit peut paraître n’être qu’une question de confort, secondaire. Nous avons souhaité rendre audible la parole de ces personnes qui vivent dans des poches de pauvreté et de fragilité.
Maxence Moreteau : il y avait aussi ce besoin de viser une inégalité de santé. C’était un moyen de s’interroger sur la façon dont les personnes qui sont les plus vulnérables sont elles aussi plus victimes du bruit. C’est un des éléments que l’étude met en évidence. Nous émettons l’hypothèse que les personnes en situation de fragilité sont aussi plus sensibles au bruit : les familles monoparentales davantage que les couples avec enfants, les personnes précaires davantage que les personnes avec un emploi stable, déclarent leur gêne, et l’impact du bruit sur leur vie quotidienne. L’insécurité sociale joue donc elle aussi sur la santé.
Quel est, selon vous, le grand enseignement à retenir de cette étude ?
Marion Hoefler : Au départ, nous avions ouvert notre trame de questionnement à toutes les sortes de bruits, extérieurs et intérieurs au bâti. Mais ce sont les réponses des locataires qui nous ont orientés vers le bruit de voisinage : c’est le type de bruit qui dérange le plus les habitants de ces quartiers. Quand on est locataire du parc de logement social, on est soumis aux règles d’attribution. Un locataire peut donc se retrouver, en quelque sorte, captif de cette situation d’inconfort acoustique. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles la santé peut être plus dégradée, car la gêne est subie.
Yann Moiseau : L’étude confirme que le bruit impacte la santé, mais qu’on ne fait rien sur une recherche de solution, qu’elle soit individuelle ou collective, comme interpeller un bailleur, ou parler entre voisins. Or la question du bruit n’est pas une question de confort, mais bien de santé.
Que peuvent faire les collectivités et les bailleurs sociaux pour y remédier ?
Maxence Moreteau : Il faut être vigilant à ne pas renvoyer la faute aux locataires, car il ne s’agit pas uniquement d’incivilités. Dans les témoignages que nous avons récupérés, il était plutôt question du bruit des conversations, de la télévision, de la chasse d’eau. Ce sont des bruits du quotidien qui ne relèvent pas forcément d’un mauvais usage.
Il y a donc d’abord une réponse technique à apporter : être attentif au confort acoustique dans la construction neuve, et plus compliqué encore, intégrer cette question dans les programmes de réhabilitation. Surtout qu’aujourd’hui, et c’est légitime, tout est orienté vers les questions thermiques. Mais à l’issue d’une rénovation thermique par l’extérieur, on a un effet de boite qui démultiplie les bruits intérieurs. Il y a donc un sujet là-dessus. Il faudrait des financements spécifiques à ces questions.
On peut aussi mettre en place des solutions « soft », par l’accompagnement. Il ressort de l’enquête que les personnes qui déclarent avoir de très bonnes relations avec leurs voisins souffrent moins des troubles de voisinage. C’est la question de la poule et de l’œuf : y a-t-il moins de bruit, donc les relations entre voisins sont apaisées, ou bien les bonnes relations font que la gène est moindre ? C’est une question qui mérite d’être creusée. En tout cas, il y a de petites solutions à mettre en place, comme les remplacements des sols, les rideaux isolants, etc.
Cet article fait partie du Dossier
Bruits : Les collectivités ne peuvent plus faire la sourde oreille
6 / 6
Sommaire du dossier
- Les collectivités ne peuvent plus faire la sourde oreille
- Des villes plus denses synonymes de vacarme ?
- Robin Reda : « La lutte contre le bruit est l’une des plus anciennes politiques écologistes »
- Nuisances sonores : « Il y a un vrai travail de toilettage des arrêtés municipaux à faire »
- Où en sont les expérimentations de radars sonores ?
- Bruit dans les logements sociaux : « Il ne faut pas renvoyer la faute aux locataires »
Thèmes abordés