Dans son discours prononcé à Ajaccio devant l’Assemblée de Corse, le chef de l’État a prononcé des mots forts et formulé des promesses floues. En concédant aux nationalistes le mot « autonomie », il s’est bien gardé de lui donner une signification claire. Pourtant, le projet esquissé s’avère inquiétant et pourrait bien marquer un changement de paradigme fondamental en matière de décentralisation.
« Un slogan plus qu’un concept juridique »
D’abord, la notion d’autonomie est un slogan, un mot-valise plus qu’un concept juridique. L’autonomie, c’est se donner à soi-même sa propre norme. Un arrêté municipal est, en cela, le signe d’une autonomie communale. Les collectivités souffrent aujourd’hui d’un manque d’autonomie normative et fiscale. Ces combats, ne portant pas sur le contenu des compétences, mais sur leur exercice, sont aujourd’hui primordiaux pour lutter contre un mouvement de recentralisation de fond. Toutefois, ce qui est entendu par les nationalistes et implicitement par le gouvernement, ce n’est pas cela. L’autonomie serait législative.
Or, depuis la nuit du 4 août 1789, l’unité du législateur et l’homogénéité de la loi sont les fondements de l’indivisibilité de la République. Le souverain veut par la loi; si cette loi est à géométrie variable, alors l’unité du Peuple est compromise. La loi qui ne s’applique pas de la même manière à tous peut devenir un instrument d’oppression.
En République, je ne peux consacrer une norme dont je m’exempte moi-même. Ce principe n’a connu que deux exceptions : Vichy et la colonisation. L’autonomie législative de la Nouvelle-Calédonie est d’ailleurs pensée dans ce cadre, étant qualifiée dans les accords de Nouméa de territoire « en voie de décolonisation ». Conçue ainsi, l’autonomie n’a plus rien à voir avec le principe de libre administration et la décentralisation républicaine.
Vers une « surenchère »
Ensuite, le président propose d’inscrire dans la Constitution la notion de « communauté culturelle corse ». Ce point est dangereux. D’abord, car en faisant cela, on lie identité, statuts et compétences. Cela n’a rien à voir avec la tradition républicaine de la décentralisation qui se veut un instrument de démocratisation des politiques publiques et non un outil de reconnaissance de communautés d’appartenance subjective.
Dans un livre récent, « La France en miettes », nous montrions qu’une différenciation fondée sur les identités culturelles avait entraîné, sans exception notable, partout en Europe, une surenchère. Une communauté culturelle reconnue d’un statut de moindre autonomie, voyant son identité méprisée, ne peut s’en satisfaire. Le président de la région Bretagne a d’ailleurs rapidement demandé à Élisabeth Borne « la même chose » que les nationalistes corses. Ces derniers, de leur côté, copient le modèle de la Nouvelle-Calédonie.
Ce type de phénomène entraîne une surenchère entre identités et collectivités, conduisant rapidement au blocage. La France, où le vote pour les nationalistes corses est passé en dix ans de 25 % à 67 % et où le taux de Bretons se disant plus bretons que français est passé de 20 % à 40 %, n’est ainsi pas épargnée. Une fois cette boîte de Pandore ouverte, aucun de nos voisins ne s’en est félicité, aucun n’a réussi à la refermer. La notion de communauté introduirait également le communautarisme dans la Constitution avec les conséquences excédant bien le seul statut des collectivités.
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