« C’est sans doute la première fois qu’une administration publique française accepte courageusement d’ouvrir ses portes à des chercheurs sur la mise en place de la dématérialisation d’un droit. » Benoît Vallauri, directeur et responsable du TiLab, laboratoire régional d’innovation publique, a présenté jeudi 14 septembre la recherche DEMAT (1), « fruit de la collaboration entre le Ti Lab et plusieurs Directions d’un Conseil Régional autour de l’analyse de la dématérialisation d’un dispositif d’aide à destination des citoyens, par le biais d’un outil numérique intégré au Système d’Information de la Collectivité ».
L’occasion de regarder « sous le capot », pour offrir « une analyse multi-niveau et compréhensive des actions engagées pour concevoir et déployer cette dématérialisation », évaluer « les conséquences de l’adoption d’un Portail numérique sur le travail des agents », ainsi que « l’accessibilité auprès des bénéficiaires d’une aide ainsi dématérialisée ».
Des vulnérabilités inhérentes à tout processus de démat’ ?
Le cas étudié (2) par les chercheurs du Labacces, sous la coordination de Florian Pedrot : la dématérialisation d’une aide financière à la formation, avec un logiciel externe, par une région, et qui a suscité diverses difficultés, à la fois dans la prise en main par les agents, mais aussi côté usagers, alors même que la démat’ était déjà un sujet « bien connu des collectivités », puisqu’elle avait démarré avec les marchés publics, avant de gagner l’accès aux droits dès les années 2000.
« La croyance dans la modernisation informatique comme source d’efficacité est assez vivace », a rappelé François Sorin, chargé de recherche à Askoria, alors même que la recherche fait apparaître qu’« au cœur même de la démat’, et non seulement son élaboration, se logent des vulnérabilités », comme l’a relevé Florian Pedrot.
Un aléa et « tout se grippe »
Car en dépit d’une « approche méthodique » et d’un « sentiment de maîtrise », des déperditions ont été relevées : un panel d’usagers, initialement envisagé, n’a finalement pas été effectué.
« On comprend aussi que lorsqu’un aléa survient, tout se grippe », avec notamment une urgence liée à une date butoir d’une obligation de mise en conformité au prélèvement à la source, qui n’a pas permis aux agents de tester le logiciel en amont, ni que soit réellement pensé l’enrôlement des agents.
« La démat’ devait faciliter le travail, être source de productivité : en fait, elle contribue à le complexifier ou le ralentir », relève Florian Pedrot, citant un verbatim d’un agent qui avait décompté une cinquantaine de clics à faire pour traiter un seul dossier (parcours qui a pu être amélioré par la suite).
Des coûts cachés
L’étude révèle que l’ensemble des personnels affectés se sont retrouvés sous l’eau, et que le rôle d’acteurs tiers n’a pas été pensé, comme celui des secrétaires des organismes de formation par exemple, alors qu’eux aussi contribuent à assurer l’intendance de la démat’ via un « travail sous terrain » invisibilisé, et subissent un report de charge.
Face à « l’explosion d’appels téléphonique des usagers demandeurs qui doivent désormais effectuer une démarche dont les centres de formation étaient jusqu’ici à l’initiative », la collectivité a donc investi dans un logiciel de relation client pour faire face à l’afflux de questions, avec « des agents en front office pour répondre aux usagers perdus sur l’interface », et « des ateliers en internes pour les agents », relève Florian Pedrot.
Finalement, l’étude révèle donc que les logiques de situation de la démat’ font surgir « d’autres problèmes non prévus » et met au jour l’existence « d’autres utilisateurs, dont le travail fait tenir l’édifice ».
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Thèmes abordés
Notes
Note 01 un des programmes de recherche action du Labacces Retour au texte
Note 02 via une trentaine d’entretiens, 15 stagiaires usagers concernés, 16 agents de la région, 5 personnels d’un organisme de formation, des observations non participantes et l’analyse de documents institutionnels Retour au texte