C’est la rentrée et l’été a laissé des traces sur les corps bronzés mais aussi dans les esprits. Quand la marque du maillot aura déjà disparu, les stigmates d’une canicule devenue récurrente, de feux de forêts incontrôlables et de coups d’orage meurtriers saigneront toujours. Déjà, les habitants, leurs élus, les parties prenantes réclament de nouveaux moyens de lutte et de soutien. Les exécutifs nationaux et locaux ont entendu l’appel et promettent des indemnisations exceptionnelles, mais déclarent vouloir engager aussi une réflexion plus globale sur l’avenir de la forêt, l’urbanisation, la gestion de l’eau, la sobriété énergétique, etc.
Quels moyens financiers ?
C’est la seule vertu des catastrophes d’accélérer, au moins un temps, les prises de conscience. Mais pour enclencher des actions concrètes –et contraignantes- il n’y a pas d’autres questions indépassables que celles des moyens financiers. « Après l’été que nous venons de vivre, ce devra être un thème central pour le prochain budget », provoque Eric Coquerel interrogé par Le Monde le 23 août.
Le gouvernement propose une solution : affecter une plus grande part de la taxe spéciale sur les conventions d’assurances (TSCA) au financement des Services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) : « « Seuls 40 à 60% du produit de cette taxe revient effectivement aujourd’hui [aux SDIS], précise-t-il. Je pose donc la question aux élus départementaux, dont je fais partie, peut-être faudrait-il déjà en reverser une plus grande part aux Sdis » a lancé le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin dans une interview au JDD le 21 août.
La proposition a l’avantage pour l’exécutif national de répondre à une demande financière en déportant le problème vers les collectivités, donc sans le résoudre sur le fond. Avec le risque d’un effet boomerang comme ce fut le cas lors du vote du PLFR cet été sur les compensations obtenues par les parlementaires au profit des collectivités face à la revalorisation du RSA et du point d’indice de la fonction publique.
Le retour des taxes affectées
Gérald Darmanin demande en filigrane de faire de cette TSCA une véritable taxe affectée. Un principe que l’ancien ministre chargé des Comptes publics vilipendait pourtant devant les étudiants de l’ENA dès 2018 : « Il faut combattre de toutes vos forces les taxes affectées. Si le diesel va uniquement à la transition écologique, qui financera les écoles ? » martelait-il non sans pertinence.
A cette époque, le débat faisait rage pour savoir s’il fallait affecter une partie de la Contribution climat-énergie (CCE) à la transition écologique, afin de la rendre visible, et donc acceptable par les citoyens-contribuables supposait-on. L’Etat a finalement voulu respecter le principe de l’universalité de la dépenses jusqu’à 2017 où une partie des recettes de la TICPE, dans lesquelles fusionnèrent celles de la taxe carbone, intégra un compte d’affectation spécial « transition énergétique » (CAS TE), pour aujourd’hui un montant d’environ 7 mds€ (sur un total de TICPE de 33 Mds en 2022). A noter également que plus de 11 Mds financent aussi les projets d’infrastructures durables et les politiques sociales départementales et régionales.
Le Conseil des prélèvements obligatoires, qui étrillait en 2013 le principe même de la taxation affectée jugé « coûteux » et créateur de « difficultés budgétaires et économiques », commençait à y trouver des vertus en 2018, pour se résoudre à prôner une dérogation à l’universalité des recettes pour les taxes sur l’énergie afin de combler leur « déficit d’acceptation » dans son dernier rapport du 9 février 2022.
« Les taxes affectées sont un leurre »
L’ancienne députée de l’Allier (LREM) Bénédicte Peyrol n’est pas convaincue par ce raisonnement : « Cette fiscalité affectée, au développement délirant, a-t-elle vraiment renforcé l’acceptabilité sociale de l’impôt en France ? » interroge-t-elle dans une tribune publiée le 9 septembre 2019 dans Les Echos ? « En réalité, on ne sait plus vraiment pourquoi on affecte telle taxe et pas telle autre. Les Français et le Parlement ont perdu énormément en visibilité sur le sujet » répond-elle.
Ce 23 août, elle va plus loin et tacle le leader de son ancien parti… Emmanuel Macron, qui s’est prononcé le 14 juillet dernier en faveur de l’affectation des taxes sur les énergies fossiles à la transition écologique : « cette orientation ressemble fortement au monde d’avant, l’affectation est un leurre » explique-t-elle dans une nouvelle tribune dans les Echos. « En réalité, tout comme l’affectation de la redevance TV n’assure pas l’indépendance de l’audiovisuel public, l’affectation des taxes sur les énergies ne porte pas du tout en elle l’assurance d’un financement nécessaire à l’adaptation au changement climatique et à une transition écologique juste. Pour ce faire, il faut que l’ensemble du budget de l’Etat soit vert ou neutre. »
Budgets de transition écologique nécessaires
Les budgets verts ont en effet la vertu d’embarquer l’ensemble des recettes et des dépenses dans une démarche écologique quand les recettes affectées la cantonne aux seules recettes fiscales. Et si on resserre le périmètre aux seules finances locales, l’affectation de ces recettes à la transition écologique peut s’avérer de plus très inégalitaire. Selon une étude de la DGFiP, après les dernières réformes fiscales, les ménages supporteront 80 % du poids de la fiscalité locale contre seulement 20 % pour les entreprises, alors que leur impact sur l’environnement est souvent plus important. La crise des gilets jaunes est là pour rappeler la nécessité de bien répartir l’effort entre toutes les composantes de la société.
Il est donc nécessaire d’élargir le périmètre des recettes pouvant verdir l’action publique. Le gouvernement a, de fait, déjà commencé à flécher des dotations vers la transition écologique comme la DETR ou la DSIL dans le cadre du plan de relance notamment. Selon un bilan 2021 dressé par la DGCL, environ 15 % de la DETR et de la DSIL a financé plus de 3500 projets de transition écologique et énergétique éligibles à la DETR et 879 à la DSIL. Plus de 4800 communes vont de plus bénéficier en 2022 de 24,3 M€ de dotation de soutien pour la protection de la biodiversité et pour la valorisation des aménités rurales selon une liste de la DGCL. Ces dotations ne sont toutefois pas fléchées et abondent les budgets généraux, de fonctionnement ou d’investissement selon sa nature. Faudra-t-il aller plus loin et conditionner le niveau des dotations, y compris la DGF, à l’action locale en faveur de la transition écologique ? Ce qui est acquis, c’est que l’affectation des seules recettes fiscales n’est déjà plus la réponse suffisante au défi climatique et que la construction d’un véritable budget de transition écologique est au moins nécessaire, sans encore pouvoir affirmer que c’est la condition suffisante.