Il fallait l’entendre cette tête de liste, ravie de sa victoire au second tour des municipales, gloser sur les vertus de « la coconstruction ». Grâce à son projet « partagé avec les habitants », sa localité de la région capitale allait connaître des lendemains qui chantent. Tout à sa joie, l’éminente personnalité en oubliait de verser des larmes de crocodile sur l’abstention monstre dans sa commune de près de 65 %. Elle ne soufflait mot du taux désespérément bas d’électeurs inscrits qui lui avaient accordé leur confiance : moins de 20 % le 28 juin, soit à peine 10 % de la population de sa cité de la banlieue nord. Un scénario que l’on retrouve dans bien d’autres villes.
Premier parti de France
Mais seuls les initiés se passionnent pour la course de petits chevaux. Les verts sont en plein boom. Les bleu-blanc-rouge marquent le pas. Les bleus font mieux que résister, tandis que les roses redressent la tête. Ceux qui portent la casaque « Macron » peuvent, en revanche, aller se rhabiller. Chacun fait comme si. Comme si la grève du vote était uniquement due à la peur du Covid-19 et à un second tour, baroque, organisé plus de cent jours après le premier. Comme si le premier parti de France, les abstentionnistes, ne gonflait pas à vue d’œil à chaque scrutin municipal, doublant de volume, ou presque, entre 1983 et 2014. Comme si les deux tiers des ouvriers et des jeunes ne désertaient pas régulièrement les urnes.
Classes populaires sur la touche
Mais les faits sont têtus. Le triomphe des abstentionnistes, 58,4 % le 28 juin, augure l’ère de la démocratie sans peuple. Il sonne le retour du régime censitaire. La démocratie locale n’échappe pas à ce rétrécissement. « Auparavant, pourtant, les milieux populaires s’identifiaient énormément à la politique locale, rappelle le politologue Rémi Lefebvre. C’était ce qui n’était pas compliqué, ce qui était proche. » Une ère révolue avec la technicisation de l’action territoriale et les transferts de pouvoir au profit de superstructures de plus en plus éloignées des citoyens.
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