Neuf mois après le « décret de Noël » du 24 décembre 2018 qui a ouvert la possibilité, à titre expérimental, de passer des marchés publics de gré à gré pour les achats innovants jusqu’à 100.000 euros, l’innovation peine toujours à décoller dans la commande publique. « Les acheteurs restent frileux », a résumé Martial Chevreuil, président de la commission innovation de Syntec Ingéniérie, à l’occasion d’une matinale sur le sujet organisée fin septembre par cette fédération professionnelle qui réunit 400 entreprises adhérentes.
Des procédures mal connues
Trois grands freins ont été identifiés pour expliquer ce manque d’audace des acteurs publics : le coût – l’innovation étant considérée comme plus chère qu’une solution « sur étagère » -, le délai, car l’acheteur public n’a pas forcément le temps d’attendre que la solution soit au point, et l’aversion au risque. « Les règles sont méconnues, mais le problème est aussi d’ordre culturel. Dans le public, on veut acheter quelque chose de sûr, pas jouer les cobayes », observe la juriste Sakina Arfaoui, qui animait les débats.
Pour encourager les acheteurs publics à franchir le pas, Syntec vient de publier un guide, qui détaille tous les aspects du « comment faire » , à commencer par les procédures existantes, encore largement sous-utilisées. C’est le cas du partenariat d’innovation, introduit en 2014 pour permettre le co-développement d’une solution nouvelle entre l’acheteur public et son partenaire privé. Seulement une quinzaine de marchés de ce type ont été recensés par la rédactrice du guide. Même constat pour l’expérimentation récente en cours pour les marchés de moins de 100.000 euros, dont les exemples restent rares. Pourtant, l’outil se révèle souple et efficace, comme l’a expliqué la startup Toolz, qui a contracté avec la ville de Bagneux sur un système innovant de modélisation de projet dans le cadre d’une concertation publique. « On s’est mis d’accord ensemble sur le contenu de la prestation. Cela donne une plus grande proximité avec l’acheteur », se félicite Cyrille Brichant, directeur associé.
Des outils informels davantage utilisés
Sur le terrain, « un certain nombre de collectivités commencent à s’armer pour piloter ces questions, par exemple en créant une direction de l’innovation. Mais ensuite on en reste encore souvent au stade de l’incantation », déplore Dominique Renaudet, président de la société de conseil Neoclide. En fait, au-delà des procédures et des organisations, l’innovation va plus souvent se nicher dans la définition du besoin ou dans un sourcing efficace qui permet d’identifier en amont des solutions innovantes existantes.
Autres outils possibles, des offres spontanées de la part d’entreprises, ou des appels à projet.« Les choses progressent un peu, mais si l’on veut que l’innovation trouve sa place, il faut que les équipes soient accompagnées », insiste John Tanguy, directeur de la stratégie et de l’innovation pour la société du Grand Paris. Même sentiment pour Anne Fahy, directrice générale adjointe et chargée du développement économique à la communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines. Cette collectivité a par exemple co-développé une application avec une start up pour tenter de limiter les flux domicile-travail et travaillé avec Airbus au développement de tests sur la sécurité d’un réseau de capteurs connectés.. « L’enjeu n’est pas tant dans la boîte à outils – même s’il faut sans cesse l’améliorer – que dans le fait de travailler sur cette question du risque avec les acheteurs. Si nous avons pu avancer, c’est grâce à un changement managérial », dit-elle. Avec à la clé un autre élément décisif, un appui fort des élus, indispensable pour permettre le portage « stratégique » de ce type de dossier.
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