« Acteurs publics contre les emprunts toxiques » – tel est le nom de la nouvelle association d’élus – dénonce en premier lieu la vente aux collectivités de produits structurés et le refus des établissements bancaires de renégocier à des conditions « acceptables » ces produits « purement spéculatifs ».
A l’origine de cette initiative, le député et président du conseil général de Seine-Saint-Denis, Claude Bartolone, dont la collectivité découvrait dès 2007 que sa dette était composée à 97 % de produits structurés.
Trois ans plus tard, « la diplomatie » mise en œuvre par le conseil général et par le médiateur Eric Gissler ont, selon l’élu, montré leurs limites face à « l’arrogance des établissements bancaires. Pour mettre fin à un prêt toxique de 55 millions, ils ont osé me demander 33 millions d’euros ! », dénonce-t-il.
« Tofix » le mal-nommé…
Aujourd’hui, l’association a d’abord pour but de « briser la solitude de collectivités à qui les banques essaient d’imposer un rapport du faible au fort, toutes les collectivités n’ayant pas les moyens de se défendre ».
En dehors des cas bien connus de la Seine-Saint-Denis et de Saint-Etienne, tous les membres fondateurs sont d’ailleurs élus de petites ou moyennes communes, à l’image de Christophe Faverjon, maire d’Unieux (8.600 habitants) dans la Loire.
Ce dernier fait un tableau apocalyptique de la situation financière de la ville, dont 40 % de la dette est composée d’emprunts toxiques.
« Ni le conseil municipal ni les habitants n’avaient été mis au courant de cette situation, dénonce-t-il. Aujourd’hui, un emprunt de 4 millions d’euros misant sur les rapports entre l’euro et le franc suisse arrive à terme en septembre 2011. A l’heure actuelle, cela signifierait un taux de 12 % au lieu des 3,5 % initiaux ! Soit 350.000 euros à payer en plus, bien supérieur au seul autofinancement de la commune en 2010 », dénonce-t-il.
Et la banque demanderait aujourd’hui à la commune près de 7 millions d’euros pour racheter cet emprunt toxique et le transformer en crédit à taux fixe.
Ironie de l’histoire, ce produit structuré était dénommé par Dexia… « Tofix » ! Le signe d’une « mauvaise foi évidente » selon l’élu, bien décidé « à bientôt porter plainte contre Dexia avant le vote de notre budget primitif ».
Le coût de la renégociation
Autre territoire, même constat : la commune d’Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine) a dû rapidement faire face à une dette de 182 millions d’euros dont 91 % d’emprunts toxiques.
« Et nous n’avons pas de salle des marchés dans les sous-sols de la mairie… », ironise son maire, Sébastien Pietrasanta.
Après avoir sécurisé environ 10 % de cette dette toxique, « Dexia nous demandait 63 millions d’euros pour sécuriser les 81 % restant, soit l’équivalent de deux ans et demi d’investissement ! », s’insurge l’élu.
Là encore, le caractère « exotique » des produis vendus réserve des surprises, le taux de l’un des produits structurés détenus par Asnières-sur-Seine reposant sur « la bonne santé de la banque des collectivités locales… américaine ! », raconte Sébastien Pietrasanta.
Tour à tour, les élus témoignent de l’emprise des produits toxiques sur leur dette, à hauteur par exemple de 51 % à Villeneuve-lès-Maguelone (Hérault), soit 3,8 millions d’euros.
Proposition de Dexia pour « en sortir : le règlement d’une pénalité de 4,2 millions d’euros et le passage à un taux fixe de 16,7 % », déplore le maire, Noël Segura.
Refusant cette transaction, ce dernier a fait voter par le conseil municipal une délibération engageant la collectivité à ne rembourser l’emprunt qu’au taux initial de 4,64 %, tout en sachant l’initiative « illégale »…
Vers une commission d’enquête parlementaire ?
Sans ignorer la faute – bien souvent celle de l’équipe municipale précédente… – commise par les exécutifs locaux qui ont acheté de tels emprunts, tous les élus fondateurs de l’association estiment que « les maires ont été victimes d’abus de faiblesse », selon la formule d’Orféo Cogo, adjoint au maire d’Henin-Beaumont (Pas-de-Calais), ville dont la dette est composée à 75 % d’emprunts toxiques.
« Il reste une différence entre celui qui rédige le contrat, dans une démarche pro-active, et celui qui l’a accepté », développe Michel Klopfer, consultant et conseil financier de l’association.
Un jugement appuyé par Henri Plagnol, maire de Saint-Maur-des-Fossés, touchée elle aussi par une dette (250 millions d’euros) composée à 85 % d’emprunts toxiques : « Bien sûr, il y a une responsabilité politique. Mais le discours des banques sur le thème “vous avez signé ” est insupportable ! », s’emporte-t-il.
Egalement député, l’élu soutient l’idée d’une commission d’enquête parlementaire « non pas pour régler des comptes mais pour que cela ne puisse pas recommencer ».
Objectif : évaluer les encours de produits structurés dans les bilans des banques et évidemment dans les dettes des acteurs publics, qui d’ailleurs ne se résument pas aux collectivités locales : sociétés d’HLM, SDIS, hôpitaux, SEM, seraient également nombreux à être touchés.
Un argumentaire juridique commun
Sur le plan juridique, l’action de l’association consistera avant tout à mutualiser l’information – un site internet est notamment annoncé – pour agir de manière homogène.
« Il est évident que nous ne pouvons lancer une seule assignation pour l’ensemble des collectivités touchées », explique Didier Seban, dont le cabinet d’avocats assure le conseil juridique de l’association.
Les possibilités d’une « class action » à la française restent en effet juridiquement limitées étant donné le droit français. « Mais nous pouvons agir en même temps et développer une argumentation dans le même sens, s’appuyant sur les mêmes éléments », insiste-t-il.
Et l’avocat d’énumérer les raisons pour lesquelles ces produits n’auraient jamais dû être vendus aux collectivités : l’interdiction de la vente à ces dernières de « produits spéculatifs », « le défaut et l’asymétrie d’informations » entre banques et collectivités et enfin l’impossibilité, avec ces produits, de présenter comme dans n’importe quel prêt un TEG, c’est-à-dire un taux d’intérêt global « qui ne pouvait être que faux »…