454 voix pour 80 voix contre. Sans surprise au vu de la majorité confortable dont dispose le gouvernement à l’Assemblée, le projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire a été adopté en première lecture au Palais Bourbon. Mais l’ampleur des votes favorables s’explique aussi par un ralliement d’une majorité du groupe LR au texte, en dépit de critiques sur son manque d’ambition.
32 heures de débat en commission et en séance publique, 335 amendements discutés, 82 adoptés dont 26 portés par le gouvernement ont permis d’enrichir un texte qui se résumait initialement à 8 articles donnant des habilitations à prendre des ordonnances. Au final, la loi compte 28 articles et un certain nombre de sujets sont tranchés par voie législative plutôt que par des ordonnances futures.
Calendrier arrêté pour l’ouverture à la concurrence
C’est le cas des modalités de l’ouverture à la concurrence du ferroviaire. Les TGV seront concernés à partir de décembre 2020 avec un système en open access. Autrement dit, sur un Paris – Lyon, plusieurs opérateurs pourront faire circuler des trains aux côtés de ceux de la SNCF. Pour les trains régionaux, l’exploitation sera confiée par appel d’offre. Chaque région peut opter pour le rythme qu’elle souhaite. Elles peuvent continuer à attribuer directement des contrats à la SNCF jusqu’en décembre 2023 pour une durée maximale de 10 ans. Au-delà, la mise en concurrence reste obligatoire. Les plus désireuses de se lancer pourront notifier des appels d’offre dès décembre 2019. Et elles ont la possibilité de lancer le processus dès maintenant.
Le réseau francilien fait l’objet d’un traitement spécifique. Evoquant sa complexité et les défis à venir en raison de chantiers sans précédent, le gouvernement fixe l’ouverture à la concurrence entre 2023 et 2033 pour les Transiliens, 2033-2039 pour les RER C, D et E, et 2039 pour les RER A et B.
Pour éviter que l’ouverture à la concurrence aboutisse à une remise en question d’un certain nombre de dessertes, le gouvernement a inscrit dans la loi la possibilité de moduler les péages ferroviaires selon la rentabilité de la ligne afin d’instaurer de la péréquation. Le texte permet aussi aux autorités organisatrices (l’Etat ou les Régions) de conventionner des offres en définissant des obligations de services publics.
Refonte de la gouvernance de la SNCF
Autre sujet qui a suscité de longs débats : la transformation de la gouvernance de la SNCF. L’entreprise divisée en trois EPIC va devenir un société anonyme à capitaux publics. Pour ses détracteurs, ce dispositif ouvrirait la voie à une privatisation. Le gouvernement s’en est défendu, insistant sur le fait que la SA sera intégralement détenue par l’Etat.
Et Elisabeth Borne a rappelé que ce modèle était celui de la SNCF depuis 1937 jusqu’en 1983, à l’initiative du Front Populaire, pas vraiment partisan des privatisations, a-t-elle ironisé en séance. La gestion des gares passe quant à elle dans le champ de SNCF Réseau. Reste à décider si l’intégration sera totale ou une filiale créée.
Encore des inconnues
La loi tranche aussi un certain nombre de questions sociales. La consultation se poursuit en revanche sur plusieurs points majeurs : la date de la fin des embauches au statut, les conséquences pour le personnel refusant d’être transféré à un nouvel opérateur en cas de changement d’exploitant, et enfin le calendrier pour la conclusion d’un accord de branche, ainsi que son contenu.
Sur la majorité des points laissés en suspens, le ministère des Transports renvoie à la discussion au Sénat. Car la concertation avec les syndicats est toujours en cours. D’autres sujets ont quant à eux été renvoyés à la loi d’orientation sur les mobilités (LOM). C’est le cas des conditions de transmission des données ferroviaires. A force de vouloir tout mener “en même temps”, le gouvernement a fini par se faire rattraper par des difficultés d’agendas que n’ont pas manqué de souligner les députés de l’opposition.
La dette, beaucoup de débat et peu de réponses
Durant les débats, les députés de l’opposition se sont aussi agacés des angles morts laissés par la réforme. Ils ont tenté à maintes reprises d’obtenir des réponses sur le destin de la dette de la SNCF, sans succès. Avec la transformation de la SNCF en SA, le sujet ne peut plus être ignoré. Mais Elisabeth Borne n’a eu de cesse de botter en touche sur la solution envisagée. Pressée une énième fois d’apporter des éléments de réponse elle a fini par rétorquer aux députés :
Le sujet de la dette n’est pas simple. Si ça l’était, il serait déjà réglé. On ne peut pas le traiter en trois minutes. Donc non, ce n’est pas ce soir que je vous dirai comment nous allons prendre en compte ce sujet.
Quelques jours plus tard, Emmanuel Macron apportait finalement lui-même une réponse lors de son interview accordée à BFM TV et Mediapart : la dette sera progressivement reprise à partir du 1er janvier 2020, date effective de la transformation de la SNCF en SA. Comment et jusqu’à quel point ? Là encore, il faut attendre la concertation en cours car la reprise dépend de « l’ambition » de la réforme.
Les petites lignes, sparadrap d’Elisabeth Borne
La ministre n’a pas non plus pu échapper à un flot continu de questions des députés sur le devenir des petites lignes ce qui l’a quelque peu irritée. Cette question n’est pas au menu de la réforme n’a-t-elle eu de cesse d’assurer. Le rapport Spinetta a allumé la mèche de ce débat en préconisant de réétudier la pertinence du réseau classé 7 à 9 dans le jargon ferroviaire, soit 9000 kilomètres de lignes de proximité.
Edouard Philippe a indiqué fin février qu’il ne suivrait pas le rapport sur ce point expliquant « qu’on ne décide pas depuis Paris » de ces fermetures. Depuis, les élus locaux sont convaincus que l’Etat envisage de transférer ces lignes aux Régions. Pas une journée de débat sans qu’Elisabeth Borne ne soit amenée à démentir ce projet. En commission, elle l’a qualifié de « fake news ». En séance publique, elle s’est opposée à un amendement issu des rangs LR qui rendait possible ce transfert uniquement pour les Régions qui seraient demandeuses. Mais tel le sparadrap du capitaine Haddock, le dossier des petites lignes continue de coller à la ministre.
Afin d’objectiver un débat, qui ne manquera pas d’être remis sur la table, le rapporteur du texte, Jean-Baptiste Djebarri (LREM) a porté un amendement avec le soutien du gouvernement qui prévoit la remise d’un rapport gouvernemental dans un délai d’un an après la promulgation de la loi sur l’état du réseau et des circulations des petites lignes.
Sur ce dossier, les débats ont aussi été l’occasion pour Elisabeth Borne de confirmer une information que nous vous révélions il y a quelques semaines : un travail est bien en cours avec les régions et SNCF Réseau sur les petites lignes, afin notamment de revoir les critères de maintenance pour donner davantage de marges de manœuvre.
Le Sénat, étape incertaine
Le gouvernement va désormais devoir affronter le passage au Sénat fin mai. Celui-ci a adopté son propre texte le 29 mars sur l’ouverture à la concurrence, issu d’une proposition de loi du sénateur Hervé Maurey. La tentation sera grande de remettre en question le texte gouvernemental pour réintégrer les dispositions sénatoriales. Dans le même temps, les concertations avec les syndicats vont se poursuivre jusqu’à la fin du mois. Tout comme le travail sur la LOM (loi d’orientation des mobilités) qui doit permettre de répondre à un certain nombre de questions évacuées. Le printemps s’annonce sans temps mort au ministère des transports.
Accueil prudent par les Régions
Du côté des régions, particulièrement concernées par l’ouverture à la concurrence des TER, le mot d’ordre est « peut mieux faire ». Le vice-président en charge des transports de Régions de France, Michel Neugnot, salue des « avancées » : le calendrier progressif d’ouverture à la concurrence et laissé à l’appréciation de chaque région essentiellement, la possibilité d’avoir des péages différenciés, et des premières garanties sur l’accès aux données.
Mais il estime qu’il y a encore des « points de vigilance ». Le principal réside dans le futur positionnement de Gares&Connexion (au sein de SNCF Réseau ou en filiale de SNCF Réseau). La participation des régions au conseil d’administration au sein de la future SA ou des questions relatives au transfert du matériel roulant sont aussi scrutées. Les régions feront donc porter des amendements lors de la discussion sénatoriale afin de voir leurs demandes satisfaites.
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