Un conseiller municipal de la commune du Broc (Alpes-Maritimes), membre de la commission des finances et de celle des appels d’offres, était chargé d’une opération de sécurisation et d’aménagement du domaine public d’une route de la commune. En 2009, durant une séance publique du conseil municipal, cet élu, qui fait pourtant partie de la majorité, dénonce différentes irrégularités affectant la passation et l’exécution d’un marché public : « J’accuse le maire et la première adjointe d’escroquerie sur le marché public de la route […] et je demande leur démission. » Accusations ultérieurement réitérées dans un tract.
Le maire attaque alors le conseiller municipal pour diffamation publique. Le tribunal correctionnel déclare en 2010 celui-ci coupable au motif que « la réalité des faits dénoncés n’avait pas été établie ». Un jugement confirmé par la cour d’appel. La Cour de cassation n’a pas admis le pourvoi.
Ingérence soumise à conditions
Considérant son droit à la liberté d’expression bafoué, le conseiller municipal saisit la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Celle-ci rappelle, dans une décision du 7 septembre 2017, qu’une condamnation pénale pour diffamation publique envers un citoyen chargé d’un service ou d’un mandat public « constitue une ingérence dans l’exercice de sa liberté d’expression ». Et lorsqu’il y a ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression, il y a infraction à l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, sauf si elle est prévue par la loi, dirigée vers un but légitime et nécessaire dans une société démocratique.
En l’espèce, si la condamnation en litige est bien prévue par la loi (loi du 29 juillet 1881), et que son but est légitime (la protection de la réputation d’autrui), il en va différemment pour le troisième critère. Pour en décider ainsi, la cour a notamment relevé que « ces propos relevaient du cadre d’un débat d’intérêt général pour la collectivité », et qu’ils ont été tenus par le requérant en sa qualité d’élu. La CEDH a conclu en expliquant « qu’un juste équilibre n’a pas été ménagé entre la nécessité de protéger le droit du requérant à la liberté d’expression et celle de protéger les droits et la réputation des plaignants ».
Un droit à diffamer ?
A noter que le caractère pénal de cette condamnation gêne fortement les juges européens. Ils rappellent à cet effet que « le prononcé même d’une condamnation pénale est l’une des formes les plus graves d’ingérence dans le droit à la liberté d’expression, eu égard à l’existence d’autres moyens d’intervention et de réfutation, notamment par les voies de droit civiles. Pour cette raison, la cour a invité à plusieurs reprises les autorités internes à faire preuve de retenue dans l’usage de la voie pénale ».
Alors oui, cette décision est une belle victoire pour la liberté d’expression. Car celle-ci est indispensable à l’exercice d’un mandat d’élu, notamment car il représente ses électeurs, signale leurs préoccupations et défend leurs intérêts. Mais attention à ce que cette décision, qui fera jurisprudence, ne se transforme pas en « droit à diffamer ».
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