Pas facile de s’y retrouver dans le dossier sur l’exonération de taxe d’habitation (TH) pour 80 % des Français, promise par Emmanuel Macron. Les représentants des associations d’élus du bloc communal ont fait le point ce matin 12 juillet sur ce qu’ils croient savoir de cette promesse de campagne afin de déterminer une ligne de contestation commune, en perspective de la première conférence nationale des territoires, lundi 17 juillet.
Prévue initialement pour la fin du quinquennat, l’exécutif semble finalement avoir tranché pour un amorçage de la mesure fiscale dès 2018, auprès d’un tiers des contribuables concernés, équivalent à trois milliards de produit fiscal à dégrever ou compenser aux collectivités.
Accord hypothétique
« Il y a un soucis de lisibilité de 48 heures en 48 heures, déplore Olivier Dussopt, président de l’Association des petites villes de France, en marge de la première édition des rencontres des finances publiques organisées ce 12 juillet par France Urbaine, Régions de France et la Banque postale. « Le zig zag constaté rend hypothétique un accord sur ce point lors de la conférence des territoires car le postulat de départ est erroné », poursuit-il.
Pour tous les représentants des élus interrogés, l’exonération de taxe d’habitation dans sa mouture actuelle présente deux graves dysfonctionnements.
Télescopage avec la réforme des valeur locatives
Le premier, sans surprise, vient de l’inachèvement de la réforme des valeurs locatives des habitations, prévue pour 2018/2019 qui risque donc de se « télescoper » avec l’exonération de TH : « Il fallait aller d’abord au bout de cette réforme afin de corriger les inégalités induites par l’obsolescence de ces bases sur la taxe d’habitation. Sinon, l’exonération de TH ne fera que sanctuariser ces inégalités », annonce Olivier Dussopt, le maire d’Annonay (Ardèche, 16 300 hab.).
Effet de seuil et inconstitutionnalité
Autre grief, à la fois technique et juridique cette fois : la règle des 80 % d’exonérés génèrerait un effet de seuil « considérable » pour les collectivités et les contribuables. « Au-delà des 20 000 euros de revenu fiscal de référence par habitant, le montant à s’acquitter s’appliquerait à taux plein », se navre Olivier Dussopt.
« Cette absence de progressivité a toute les chances d’être anticonstitutionnelle », renchérit André Laignel, premier vice-président exécutif de l’Association des maires de France.
« Tout comme le fait de soumettre une partie de la population à un taux différent des autres habitants », poursuit-il. En effet, le nombre d’exonérés dépendra des revenus d’une population donnée. Dans certains territoires à bas revenus, l’exonération peut bénéficier à plus de la moitié des assujettis par exemple, dans d’autres, seulement une petite fraction.
Si la collectivité décide d’aller au-delà du montant de dégrèvement, la ponction supplémentaire ne s’appliquera de fait que sur la partie – plus ou moins importante selon les territoires – des contribuables non-exonérés. « Ce qui est inégal pour les 80 %, l’est aussi pour les 20 % restants », résume Olivier Dussopt. « Il y a clairement rupture d’égalité devant l’impôt », conclut André Laignel.
Dégrèvement in eternam !
La question de l’exonération ou du dégrèvement arrive de fait en second plan dans le débat. La première proposition, que privilégierait Bercy selon les proches des négociations, est « inacceptable », tandis que la seconde n’est pas jugée crédible. Gérard Larcher, président (LR) du Sénat, résume :
On sait ce qu’il advient des compensations à l’euro près : l’année suivante elle est gelée, puis réduite au nom des efforts à fournir pour la nation, après c’est in memoriam et pour finir in eternam.
Olivier Dussopt enfonce le clou : « Nous avons déjà eu des dégrèvements transformés en exonérations comme avec la demi-part des veuves. On sait que ces compensations finissent toujours en variable d’ajustement ».
Même sur la méthode le désaccord est profond : « la compensation sera-t-elle calculée en prenant compte la dynamique des bases ou sur un principe forfaitaire », s’inquiètent les élus locaux ?
Libre administration minée
Outre ces contestations techniques, les élus souhaitent une réflexion plus « profonde et plus large » sur la remise en cause du principe de libre administration des collectivités, d’autonomie fiscale, et du lien entre le territoire et le citoyen par l’impôt local.
« L‘Etat devrait plutôt dire qu’il veut dévitaliser cette taxe, plutôt que de faire une exonération partielle de la TH qui s’avère de fait impossible ,» glisse un expert en finances d’une association d’élus.
Jean-Pierre Balligand, co-président de l’institut de la décentralisation, va au bout de la réflexion :
Dans ce dossier, les collectivités vont être traitées comme des syndicats. Ces corps intermédiaires ont jusqu’à présent bloqué beaucoup de réformes depuis le début de la décentralisation. L’Etat s’emploie donc à recourir aux collectivités que par le biais du garrot, notamment par voie fiscale.
Récupérer toute la taxe foncière ?
Certains ne se font d’ailleurs pas beaucoup d’illusion sur leur pouvoir d’empêchement. « Le dégrèvement est inévitable, mais nous devons en contrepartie obtenir une plus grande autonomie par le biais d’une loi de financement des collectivités », analyse Jean-Luc Moudenc, président de France Urbaine, qui cherche aussi des moyens pour compenser une éventuelle perte de produit fiscal :
Nous pourrions récupérer les taxes foncières départementales si ceux-ci obtiennent la compensation intégrale des coûts des Allocations individuelles de solidarité.
Peu de chance que ces idées soient creusées lundi 17 juillet : « Vu le temps qui nous est donné pour discuter de la méthode de concertation et des modalités de mises en œuvre, je me dis que les choses commencent mal », anticipe le maire de Toulouse (Haute-Garonne, 466 000 hab.).
L’exonération de la TH doit en effet être inscrite dans le projet de loi de finances 2018, qui est rendu publique, traditionnellement, durant la dernière semaine de septembre.