Bloc communal : veillée d’armes
C’est au pied du mur que l’on reconnaît le maçon, et c’est l’année prochaine que l’on saura si la péréquation horizontale à l’intérieur du bloc communal va devenir effective. Le projet de loi de finances pour 2011 définit en l’occurrence, à grands traits, l’architecture d’un dispositif qui n’entrera en vigueur qu’en 2012 (Art. 63). Le gouvernement devra remettre, avant le 1er septembre 2011, au parlement, un rapport précisant les modalités de répartition de ce « Fonds national de péréquation des recettes fiscales intercommunales et communales ». Les règles déjà fixées par le PLF sont les suivantes :
- Le montant de cette enveloppe représentera 0,5% des recettes fiscales du bloc communal (communes et intercommunalités) en 2012, pour une montée en charge annuelle progressive aboutissant à un montant égal à 2% en 2015.
- Les collectivités et EPCI contributeurs seront ceux « dont le potentiel financier par habitant est supérieur à une fois et demi le potentiel financier par habitant moyen ».
- Ce sont les EPCI qui percevront cette manne. Ils seront tenus, néanmoins, d’en redistribuer au moins la moitié à leurs communes membres, selon des critères qu’il leur reviendra, in fine, de définir.
Dès le début de l’année prochaine, les débats vont s’engager, notamment au Comité des finances locales (CFL), sur les nombreuses questions auxquelles la loi ne répond pas. Les débats parlementaires, lors de l’examen de l’article 63 du PLF pour 2011, consacré à cette question, donnent une idée de la teneur des échanges à venir. Un consensus apparent existe sur la nécessité de procéder à une photographie la plus large possible des ressources des collectivités concernées. Large, et consolidée. Comme le résume un proche collaborateur du rapporteur du budget Gilles Carrez :
La communauté urbaine de Dunkerque est la CU la plus riche de France. Ce qui n’est plus du tout le cas si l’on consolide ses recettes avec celles des communes qui la composent…
Controverses à venir
Mais les clivages ne manqueront pas. A l’Assemblée, conformément aux vœux de certaines associations d’élus, telle que « Ville et banlieue » les députés ont ajouté au dispositif initial du gouvernement un niveau régional de péréquation, à l’image du Fonds de solidarité de la région Ile-de-France (FSRIF). Les partisans de cet échelon jugent que la redistribution doit s’opérer au plus près des besoins du terrain. Mais les sénateurs ont estimé, pour leur part, que le niveau régional était inopportun, notamment parce que les écarts de richesse apparaissent généralement bien moindres en province qu’en Ile-de-France. « Il faut distinguer le périmètre de la solidarité entre contributeurs de ce fonds, et le périmètre de redistribution, qui sera donc l’intercommunalité, soit un niveau de proximité bien supérieur à la région », fait valoir un expert. Les parlementaires se sont opposés également sur la question de savoir s’il fallait laisser toute liberté aux EPCI chargés de répartir cette manne sur leur territoire ; ou bien les contraindre à distribuer au moins la moitié de cette enveloppe en fonction du potentiel financier de leurs communes membres. La CMP a finalement retenu la première option.
Mise en garde des grandes villes
La question du contour et de la nature des charges prises en compte pour opérer cette péréquation au sein du bloc communal sera également centrale. Avec une mise en garde de l’Association des maires des Grandes villes de France (AMGVF) :
A trop vouloir asseoir la péréquation sur le potentiel fiscal ou financier, on défavorise à tort les grandes villes. Si elles affichent un potentiel financier élevé, elles concentrent également la pauvreté et assument de nombreuses charges de centralité.
A quoi Philippe Laurent, le président de la commission des finances de l’AMF ajoute :
La question des charges prises en compte pour définir les modalités de répartition de la péréquation au sein du bloc communal apparaît excessivement complexe. Pourquoi ne pas retenir le critère de revenu par habitant, qui reflète très bien la richesse d’un territoire.
Droits de mutation : des écarts enfin corrigés
Le projet de loi de finances pour 2011, (Art. 61) introduit également une péréquation horizontale sur les recettes départementales des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Un accouchement dans la douleur. Le gouvernement a réussi, en l’occurrence, à imposer sa copie, alors même qu’un accord s’était réalisé à l’Assemblée nationale autour d’un autre mécanisme… Le système originel rendait contributeur à ce fonds tout département enregistrant une croissance de ses recettes de DMTO deux fois supérieure à l’inflation par rapport à 2009. Mais 2009 constituant un point bas historique pour l’immobilier, départements contributeurs et bénéficiaires convinrent de prendre pour référence le produit moyen encaissé en 2008 et 2009. Las, le gouvernement a introduit un autre dispositif. Il fait reposer ce système à la fois sur le produit de DMTO par habitant, soit sur le stock – selon un barème progressif peu lisible – et sur le flux. Surtout, il plafonne chaque ponction à 5% des DMTO perçus par habitant. Certains y ont vu la main de membres du gouvernement également présidents de conseils généraux où l’immobilier est florissant. En tout état de cause, ce fonds sera le bienvenu, compte tenu des écarts de recette actuels, comme le signalait Marc Laffineur, vice-président (UMP) de l’Assemblée nationale, le 16 novembre :
Il y a des départements qui touchent 350 euros par habitant en droits de mutation ; d’autres départements, comme la Haute-Marne, sont à 35 euros par habitant. Autre exemple : la Ville de Paris va recevoir 350 millions d’euros de droits de mutation en plus cette année ; la Lozère va elle aussi voir ses droits de mutation augmenter de façon très importante, de 40 %. Mais en valeur, cela représente un million d’euros ! Le point d’impôt de la Lozère, c’est 80 000 euros. Vous voyez combien les différences peuvent être considérables.
Quelle péréquation sur la CVAE ?
Des débats souvent vifs ont émaillé également les débats parlementaires sur les modalités de redistribution d’une partie de la Contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). La loi de finances pour 2010 créait deux fonds de péréquation de la CVAE, au niveau régional d’une part, et départemental d’autre part, assis à la fois sur les stocks (produit de CVAE de l’année N-1 sur le nombre d’habitants) et sur les flux, (progression du produit). Le projet de loi de finances pour 2011, dans sa version initiale, revenait sur cette disposition, jugée trop complexe, proposant dans son article 63 un dispositif fusionnant ces deux fonds, et opérant une péréquation sur les seuls flux. Chaque collectivité, département ou région, enregistrant une croissance de son produit de CVAE y contribuerait, à condition toutefois d’afficher un potentiel fiscal supérieur à la moyenne. A ce nouveau dispositif, les députés ajoutèrent une condition, lors de l’examen du PLF 2011 en première lecture : seules les collectivités enregistrant une croissance du produit de la CVAE supérieure à la moyenne nationale seraient contributeurs de ce fonds, assis donc sur les seuls flux de croissance de cette recette. C’est, in fine, le dispositif retenu au terme de la commission mixte paritaire. La fougue péréquatrice du Sénat, qui avait adopté un amendement de Philippe Adnot, sénateur de l’Orne, introduisant une péréquation à la fois sur le stock et les flux, n’a pas résisté à la CMP. En filigrane, ces divergences sont sous-tendues par le débat entre les partisans du maintien d’un lien substantiel entre les entreprises et les territoires qui les accueillent, et ceux qui jugent prioritaire la correction des inégalités territoriales. « Nous avons inscrit dans la Constitution le principe de la péréquation, que nous mettons en œuvre pour la première fois, indiquait Charles de Courson, député (UMP) de La Marne lors des débats. Rappelons quand même que, sur les cent milliards de dotation de compensation de l’État, la proportion de péréquation – le rapporteur général ose à peine l’avouer – est inférieure à 10 % ! Le système permettra donc, au bout de dix ans, une montée en charge raisonnable et efficace, et au moins nous appliquerons la Constitution ». Enfin ?