Après deux premiers rapports restés sans suite, en 2006 et en 2010, les parlementaires semblent  parvenir à leurs fins et à faire aboutir leurs propositions d’encadrement des autorités administratives indépendantes (AAI).
Le troisième rapport sĂ©natorial, du 28 octobre 2015, aura finalement fait mouche. Avec un titre  qui ne cherche pas Ă dissimuler pas son objet : « Un État dans l’État : canaliser la prolifĂ©ration des autoritĂ©s administratives indĂ©pendantes pour mieux les contrĂ´ler ». Le rapporteur de cette Ă©tude n’était autre que le SĂ©nateur Jacques Mezzard (RDSE), qui vient de voir sa proposition de loi organique adoptĂ©e Ă l’unanimitĂ© par le SĂ©nat  le 2 juin.
Des propositions pour « brider » le pouvoir de ces structures
L’enjeu du projet de loi  est à la fois technique et politique. Il vise à rationaliser le cadre de fonctionnement des autorités administratives, en fixant dans la loi une liste exhaustive et des règles de fonctionnement communes. Mais, derrière, se profile également la volonté des sénateurs – à l’origine de ce texte – de brider le pouvoir de ces structures qui, selon les élus, empiètent parfois sur le territoire de la décision politique.
Les 11 propositions du Rapport Mezard – 28 octobre 2015
- Proposition n° 1 : RĂ©server Ă la loi le pouvoir de qualifier un organisme d’autoritĂ© administrative indĂ©pendante.
- Proposition n° 2 : Retenir les vingt autoritĂ©s administratives indĂ©pendantes qui justifient de cette qualification en raison de leur objet et de leurs compĂ©tences, sans prĂ©judice de fusions ultĂ©rieures de certaines d’entre elles.
- Proposition n° 3 : Revoir et diversifier la composition des collèges des autoritĂ©s administratives indĂ©pendantes en limitant les nominations de membres du Conseil d’État, de la Cour de cassation ou de la Cour des comptes.
- Proposition n° 4 : ProcĂ©der Ă la dĂ©signation des parlementaires, membres d’une autoritĂ© administrative indĂ©pendante, par leur assemblĂ©e parlementaire en sĂ©ance publique ou par le prĂ©sident d’une assemblĂ©e après approbation par une majoritĂ© qualifiĂ©e de la commission permanente compĂ©tente de l’assemblĂ©e concernĂ©e.
- Proposition n° 5 : Consolider les règles communes de dĂ©ontologie pour les membres et les agents des autoritĂ©s administratives indĂ©pendantes (gĂ©nĂ©ralisation du devoir de rĂ©serve, de l’interdiction de dĂ©tention d’intĂ©rĂŞts avec le secteur contrĂ´lĂ©, contrĂ´le des reconversions après la fin des fonctions, etc.).
- Proposition n° 6 : Rendre le mandat des membres d’autoritĂ© administrative indĂ©pendante non renouvelable.
- Proposition n° 7 : Interdire l’exercice concomitant de mandats au sein de plusieurs autoritĂ©s administratives indĂ©pendantes.
- Proposition n° 8 : RĂ©server l’usage par une administration des Ă©lĂ©ments recueillis Ă la demande et pour le compte d’une autoritĂ© administrative indĂ©pendante aux objectifs propres Ă cette autoritĂ©.
- Proposition n° 9 : Soumettre systĂ©matiquement la nomination des prĂ©sidents d’autoritĂ©s administratives indĂ©pendantes Ă la procĂ©dure d’audition et de vote prĂ©alable des commissions permanentes du Parlement prĂ©vue au cinquième alinĂ©a de l’article 13 de la Constitution.
- Proposition n° 10 : Afin de faire ressortir la vĂ©ritĂ© des coĂ»ts des autoritĂ©s administratives indĂ©pendantes, prĂ©voir chaque annĂ©e, prĂ©voir chaque annĂ©e la remise au Parlement d’un rapport, en annexe gĂ©nĂ©rale au projet de loi de finances (un « jaune »), prĂ©sentant les principales donnĂ©es financières et budgĂ©taires relatives aux autoritĂ©s administratives indĂ©pendantes (ventilation des dĂ©penses par titre, exĂ©cution des annĂ©es prĂ©cĂ©dentes, plafond d’emplois, rĂ©partition des effectifs par catĂ©gorie [(mise Ă disposition, dĂ©tachement, etc.]) agrĂ©gĂ©es pour l’ensemble des autoritĂ©s et de façon individualisĂ©e.
- Proposition n° 11 : SystĂ©matiser le dĂ©pĂ´t d’un rapport annuel par autoritĂ© administrative indĂ©pendante selon un modèle commun avec des rubriques obligatoires, pouvant donner lieu Ă une sĂ©ance annuelle de contrĂ´le en sĂ©ance publique, introduite par un rapport prĂ©alablement confiĂ© Ă un membre des commissions permanentes compĂ©tentes.
3 rapports parlementaires en 10 ans
Qu’est-ce qu’une AAI ?
Une autorité administrative indépendante (AAI) est une institution de l’État chargée, en son nom, d’assurer la régulation de secteurs considérés comme essentiels et pour lesquels le Gouvernement veut éviter d’intervenir trop directement. Les AAI sont une catégorie juridique relativement nouvelle car, contrairement à la tradition administrative française, elles ne sont pas soumises à l’autorité hiérarchique d’un ministre. C’est dans la loi du 6 janvier 1978 créant la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) que le terme est apparu pour la première fois. Leur nombre varie selon les sources, en fonction des critères de définition retenus.
Ces AAI, tout autour de nous
A quoi servent les AAIÂ ?
Le Parlement crée ces autorités indépendantes  pour des motifs très différents. Elles se répartissent en deux catégories, celles chargées de la régulation des activités économiques et celles protégeant les droits des citoyens.
Parfois, il s’agit de garantir le respect de libertés contre des défaillances de l’Etat (la CNIL, le Défenseur des droits ou le Contrôleur général des lieux de privation de liberté).
Il peut aussi s’agir d’exercer des fonctions de régulateurs dans un marché ouvert à la concurrence (la commission de régulation de l’énergie ou l’Autorité de régulation des activités ferroviaires exercent dans des domaines où EDF et la SNCF ont encore des liens étroits avec l’Etat).
A cette classification binaire, on serait tenté de rajouter une troisième catégorie d’AAI : celles chargées de gérer l’ingérable, pour le Gouvernement comme pour le Parlement, et de sortir des scandales politico-financiers (la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ou la Haute autorité pour la transparence de la vie publique créée après l’affaire Cahuzac).
Arguments Ă charge
Au fil des rapports parlementaires, on peut lister quatre catégories d’arguments à charge qui conduisent à considérer qu’il faut encadrer les AAI :
- Argument dĂ©ontologique – Selon Jacques Mezard, les travaux de la commission d’enquĂŞte sĂ©natoriale sur ces autoritĂ©s a relevĂ© plusieurs manquements dĂ©ontologiques. Notamment près de 18 % des membres d’AAI ont refusĂ©,  lors de la remise du rapport, de dĂ©poser leurs dĂ©clarations de situation patrimoniale et d’intĂ©rĂŞts auprès de la Haute AutoritĂ© pour la transparence de la vie publique.
- Argument juridique – Les AAI, placĂ©es en dehors des structures administratives traditionnelles,  ne sont pas soumises au pouvoir hiĂ©rarchique. Elles constituent donc une exception Ă l’article 20 de la Constitution selon lequel le Gouvernement dispose de l’administration.
- Argument politique – Le recours Ă ces entitĂ©s hybrides paraĂ®t entĂ©riner la dĂ©fiance Ă l’Ă©gard du système traditionnel, qu’il s’agisse des administrations placĂ©es sous le contrĂ´le du pouvoir exĂ©cutif ou des juridictions. Le contrĂ´le dĂ©mocratique des AAI ne pouvant ĂŞtre exercĂ© par le Gouvernement sans remettre en cause les garanties d’indĂ©pendance attachĂ©es Ă ces autoritĂ©s, il doit ĂŞtre assurĂ© par le Parlement. Le renforcement d’un tel contrĂ´le permettrait de rĂ©concilier l’exigence d’indĂ©pendance et le principe de responsabilitĂ©.
- Argument financier – Avec une direction collĂ©giale, un personnel dĂ©diĂ© du fait de leur «indĂ©pendance» et un budget propre, les AAI reprĂ©senteraient pour l’Etat un coĂ»t d’environ environ 600 millions d’euros par an selon Marie-HĂ©lène Des Esgaulx, la prĂ©sidente de la commission d’enquĂŞte sĂ©natoriale. En outre, indĂ©pendantes, les AAI Ă©chappent au contrĂ´le financier du Parlement.
Plaidoyer en défense
Si l’on veut défendre les AAI, il suffit de revenir sur leurs trois caractéristiques . Les AAI sont :
- des autorités : elles disposent d’un certain nombre de pouvoirs (recommandation, décision, réglementation, sanction). A ce titre, elles sont censées être réactives.
- administratives : elles agissent au nom de l’État et certaines compétences dévolues à l’administration leur sont déléguées (ex : le pouvoir réglementaire). A ce titre, leurs décisions sont censés être efficaces.
- indépendantes,des secteurs contrôlés comme des pouvoirs publics, leurs membres ne sont pas révocables. A ce titre, les pouvoirs publics ne peuvent pas leur adresser d’ordres, de consignes ou même de simples conseils.
Une alternative aux AAI ?
Le Conseil d’Etat s’est penché en 2012 sur une autre forme de gouvernance, celle des agences. Alors que l’AAI est une structure « indépendante » au regard de sa gouvernance, de sa gestion et de ses ressources, une agence est quant à elle « autonome ». Elle dispose de larges possibilités d’action, d’une gouvernance spécifique. Mais elle est rattachée à l’autorité de tutelle publique qui l’a créée.
Le Conseil d’Etat en a dĂ©nombrĂ© 103, parmi lesquelles l’Agence française de dĂ©veloppement, PĂ´le emploi, Agence nationale des titres sĂ©curisĂ©s (ANTS), l’agence France TrĂ©sor, Agence des participations de l’Etat, Agence du patrimoine immatĂ©riel de l’Etat, service des achats de l’Etat . L’agence est unique dans son domaine. Certaines sont « opĂ©rationnelles » : elles assurent des prestations que l’Etat ne saurait assurer correctement. D’autres exercent des missions de police administrative ou d’expertise ou encore de financement.
Selon le Conseil d’Etat, le phĂ©nomène de gestion par agence concerne les collectivitĂ©s locales, initialement avec les CCAS, les caisses des Ă©coles ou encore les offices de tourisme…
Gérer autrement : les agences
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