« Fermeture pour réorganisation». Telle pourrait être la pancarte accrochée aux portes de la bibliothèque départementale de prêt (BDP) des Yvelines, au Mesnil-Saint-Denis, à partir du 1er juin 2016. La fermeture de la BDP traduit une nouvelle organisation de la politique de lecture publique des Yvelines, pour de « nouvelles ambitions ».
Depuis le 1er janvier, ses activités ont été intégrées au sein du « pôle de développement culturel » créé en début d’année. Ce pôle a pour mission « d’intégrer la culture et la lecture publique aux enjeux départementaux de solidarité et d’aménagement équilibré du territoire », de prendre en compte « les nouveaux usages numériques », et de faire émerger « un nouveau modèle culturel plus propice à l’innovation et fondé sur une logique de projet territorial et de partenariats créatifs. » Les 160 000 documents de la BDP sont en cours de dispersion dans les bibliothèques du territoire yvelinois.
Lieux de culture à part entière
« Le pôle de développement culturel permettra au département d’être plus proche des professionnels et des bénévoles des 178 bibliothèques des Yvelines, fait valoir Joséphine Kollmannsberger, vice-présidente déléguée à l’environnement, la culture et le tourisme. Il interviendra de façon beaucoup plus transversale, car les bibliothèques sont devenues des lieux de culture à part entière, y compris dans le secteur des arts vivants. Dans un contexte de difficultés budgétaires, il s’agit de trouver les moyens d’être plus efficace encore, à budget égal, en renforçant les réseaux de mutualisation qui couvrent déjà 262 communes. »
Une stratégie qui vient alimenter le débat sur l’évolution des bibliothèques, en général, et départementales, en particulier. Mais qui inquiète nombre de professionnels.
Appel aux élus
« L’annonce par le département des Yvelines de la fermeture des locaux de la bibliothèque départementale et de la dispersion de ses collections sont des signaux très inquiétants pour l’avenir de l’aménagement du territoire en matière de lecture publique », s’alarment, dans un communiqué commun, l’Association des bibliothécaires de France (ABF) et l’Association des directeurs de bibliothèques départementales de prêt (ADBDP).
Les deux associations rappellent que les BDP constituent « le premier réseau culturel de proximité ». Et de lancer un appel aux élus départementaux pour qu’ils continuent à exercer « pleinement leurs missions dans ce domaine ».
L’inquiétude est d’autant plus forte que la nouvelle stratégie yvelinoise se traduit d’emblée par des changements de repères symboliquement très forts : l’effacement du lien entre une politique (accompagnement des bibliothèques du département) et un lieu physique (la bibliothèque départementale), la fin des références géographiques et sectorielles de la politique culturelle, et la dispersion des collections de la BDP entre les petites communes.
Danger
Autant d’évolutions qui peuvent être vues par la profession comme les signes d’un repli du département mettant en danger la lecture publique. Avec la crainte de voir le même scénario se répéter ailleurs.
Car si les départements ne peuvent pas renoncer à leurs compétences en matière de lecture publique (1), rien ne garantit qu’ils en maintiennent les budgets et les effectifs. C’est la raison pour laquelle l’ABF et l’ADBDP interpellent l’Etat pour lui demander de « garantir l’exercice effectif de cette compétence. »
« Le département des Yvelines peut parfaitement prendre une telle décision si elle est étayée par un diagnostic de territoire, souligne Mélanie Villenet-Hamel, présidente de l’Association des directeurs de bibliothèques départementales de prêt (ADBDP). Mais ce qui nous inquiète, c’est le risque de voir se généraliser, notamment chez les élus, l’idée qu’il s’agirait d’une évolution naturelle et que les BDP n’auraient plus besoin de collections. »
Idée qui peut séduire des élus et des DGS à la recherche de lignes budgétaires à couper. En conséquence, pour les deux associations, la décision prise par les Yvelines « ne saurait être élevée au rang de ‘modèle innovant’, au regard du déficit criant des budgets d’acquisition de documents dans nombre de bibliothèques territoriales. Sans les apports des BDP dans les bibliothèques les plus modestes, les usagers devraient se contenter de collections en faible quantité, vieillissantes et peu renouvelées. »
Cousu main
Pour Marie-Christine Jacquinet, responsable du nouveau pôle culturel et ex-directrice de la BDP, le nouveau modèle yvelinois n’a pas vocation à être dupliqué ailleurs.
« Il s’agit d’une réponse cousue main élaborée à la suite d’un diagnostic réalisé en 2013 dans le cadre de notre contrat territoire-lecture et parce que la localisation de la BDP la rendait peu accessible pour les bibliothécaires qui venaient s’approvisionner chez nous. Chaque département s’empare de la compétence lecture publique selon sa configuration. Pour ce qui est des Yvelines, nous avons constaté que nous aidions mieux les petites bibliothèques en développant nos interventions d’ingénierie culturelle plutôt qu’en leur prêtant des ouvrages. »
160 000 documents à disperser
Depuis le mois de février 2016 et jusqu’au mois de juin, les bibliothèques de communes de moins de 2000 habitants des Yvelines peuvent bénéficier d’un prêt d’ouvrages permanent. Les collections pour la jeunesse sont distribuées aux structures du département intervenant dans le secteur de l’enfance, à commencer par les centres de PMI. Les ouvrages en cours de prêt seront soit rendus soit conservés par les communes emprunteuses. Les ouvrages non empruntés seront distribués à des librairies, bibliothèques et associations solidaires.
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Notes
Note 01 Il s’agit d’une compétence obligatoire depuis 1983 (article 60 de la loi 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l’Etat). Retour au texte