Durant une longue période, les dépositaires de l’aménagement n’ont pas rencontré de réelles difficultés pour disqualifier leurs adversaires.
Il faut dire que les rangs des opposants étaient alors – outre la présence de quelques associations de protection de l’environnement – majoritairement grossis par des propriétaires et des riverains. Les projets étaient donc contestés, au choix, parce qu’ils généraient d’éventuelles nuisances à la fois sanitaires, olfactives, visuelles ou sonores, attentaient à leur cadre de vie ou bien encore engendraient une potentielle perte de valeur foncière.
Les aménageurs et les grands corps d’Etat – censés donner corps à l’intérêt général – parlaient alors d’un « syndrome NIMBY » (1). Objectif : décrédibiliser l’opposition locale, appréhendée de façon plus ou moins cynique par les autorités publiques comme de simples réactions égoïstes, rendant de facto ces populations illégitimes à s’exprimer sur le fond du projet.
Les propriétaires fonciers et autres usagers locaux n’ont pas disparu des mouvements d’opposition auxquels les aménageurs sont aujourd’hui confrontés. Ils en sont même souvent à la base, afin d’empêcher la concrétisation des aménagements… ou bien de façon plus pragmatique, tenter d’obtenir des contreparties voire des modifications substantielles des projets et maximiser leurs compensations financières.
Un argumentaire qui gagne ses lettres de noblesse
La situation contemporaine est néanmoins nouvelle en cela que les « Zones à défendre » (ZAD) créent un flux de militants extérieurs au territoire de projet, qui viennent prolonger le combat des opposants locaux au nom de valeurs universelles.
Selon de nombreux scientifiques spécialistes de la question, le sigle « NIABY » (2) convient bien mieux à ces luttes se jouant sur les modalités de la prise de décision ou le fondement même des projets, et non plus seulement sur la nature et leur lieu d’implantation.
Le registre argumentaire des opposants s’est considérablement diversifié au cours des dernières années. A entendre leurs revendications, de nouvelles origines dépassant les intérêts particuliers des mouvements NIMBY sont en effet trouvées aux scènes de conflits :
- absence de transparence et/ou de dialogue, faible poids donné à la parole citoyenne, insuffisance des procédures de participation ;
- complexification de la gouvernance et multiplication des conflits d’intérêts, errements de la démocratie représentative locale ;
- absence de rationalité socio-économique, remise en cause de l’utilité du projet ;
- crise de la légitimité de l’action publique locale, nécessité de redéfinir la notion d’intérêt général ;
- remise en cause de la politique anachronique sous-tendue par le projet, soutien dépassé à un « modèle agricole productiviste » et volonté de porter un nouveau modèle de société ;
- toute-puissance des forces de l’ordre et de « l’Etat-policier » ;
Une chose est certaine : les aménageurs ne peuvent plus recourir aussi simplement qu’hier à la simplification des « voisins faisant preuve d’un égoïsme territorial exacerbé. » Les opposants ont trouvé de quoi se rendre légitimes aux yeux de l’opinion publique. La donne entre les deux camps s’est incontestablement rééquilibrée.
Cet article fait partie du Dossier
ZAD : sortons de l'impasse !
Sommaire du dossier
- Zones à Défendre : les aménageurs face à une nouvelle contrainte
- Face aux risques des conflits d’aménagement, des collectivités tentent de renouer le dialogue
- Vers un aménagement du territoire mieux concerté ?
- A Agen, les opposants locaux relancent la bataille du technopôle via une « ZAD »
- Conflits d’aménagements : du « NIMBY » au « NIABY »
- « Les collectivités ne doivent pas craindre le dialogue environnemental »
- Les collectivités mises au pied du mur par des « professionnels de la contestation »
- Grand projet et dialogue environnemental : la Commission Richard veut une participation en amont
- « Il y a une grande part de hasard dans l’aménagement du territoire » – Aurélien Bellanger, romancier
Thèmes abordés
Notes
Note 01 Le terme NIMBY – pour « Not in my back-yard », litteralement « pas dans mon arrière-cour » en anglais – a été utilisé pour la première fois en 1977 par Michael O’Hare dans la revue « Public policy ». Retour au texte
Note 02 Le terme NIABY signifie « Not in anyone back-yard », littéralement« dans aucune arrière-cour. » Retour au texte