Au lendemain des attentats de janvier 2015, le Premier ministre Manuel Valls avait dénoncé l’existence d’un « apartheid territorial, social, ethnique » à l’œuvre dans les quartiers populaires. Alors que le terrorisme barbare a de nouveau endeuillé la France dix mois après, le désarroi d’une certaine jeunesse issue notamment des banlieues revient en force dans le débat public.
La rupture entre les quartiers populaires et le reste du pays est-elle consommée ?
Non. Il n’y a pas de quartiers perdus de la République. Nous dénombrons aujourd’hui 1 500 quartiers prioritaires, dont une centaine qui subit des difficultés particulièrement lourdes. Il est indéniable que le chômage de masse, la pauvreté et la discrimination peuvent constituer le terreau de l’extrémisme religieux et amener les terroristes fondamentalistes à proposer aux habitants les plus fragilisés un nouveau sens à leur vie. Cette situation justifie plus que jamais l’utilité de la politique de la ville.
A ce stade, la réponse sécuritaire du président de la République semble cependant loin de privilégier l’action en faveur des banlieues. De quelle manière entendez-vous agir ?
Nous faisons face à un ennemi intérieur qui est là pour tuer. Ce contexte de guerre appelle à une réponse régalienne destinée à rassurer les Français et à les protéger dans leur vie quotidienne. C’est tout le sens des orientations prises par le président de la République immédiatement après les attentats. Il faut également adopter des mesures de fond pour prévenir cette radicalisation, qui est un poison dans certains quartiers. Mais les habitants des quartiers prioritaires n’ont pas à justifier leur appartenance à la communauté nationale.
Allez-vous réorienter l’action de votre ministère ?
La politique de la ville ne peut pas se faire par soubresauts. Nous sommes dans la continuité des actions engagées après les attentats de janvier. De nombreuses mesures ont été prises dans le cadre des deux comités interministériels à l’égalité et à la citoyenneté, réunis en mars et en octobre. Certaines concernent la lutte contre les discriminations, avec le lancement de campagnes de « testing » ou l’équipement de la police en caméras piétons. D’autres ciblent l’emploi et le développement économique avec la création de l’Agence France entrepreneur, les fabriques d’initiative citoyenne, le développement du service civique. Nous rétablissons les crédits aux associations à hauteur de 100 millions d’euros. Enfin, nous mettons l’accent sur la laïcité dans les établissements scolaires.
Où en est le projet de loi relatif à l’égalité et la citoyenneté ?
Le projet de loi devrait être centré sur la jeunesse, la citoyenneté et l’habitat. Son examen parlementaire aura lieu en février 2016. D’ici là, et en attendant la publication de l’avis du Conseil d’Etat, je vais solliciter le réseau associatif pour les associer à la construction de ce texte. Je suis convaincu que cette loi va prendre une ampleur particulière, suite aux événements tragiques du 13 novembre.
Les plans d’action dans les banlieues se sont succédé ces dernières années. Mais, dans les quartiers prioritaires, la vie quotidienne des habitants ne semble pas changer. Comment les convaincre du bien-fondé de la politique de la ville ?
Les habitants doivent être partie prenante des décisions politiques qui les concernent. A cet effet, la réforme de la politique de la ville portée par François Lamy a instauré les conseils citoyens. Leur forme est libre mais la philosophie est la même pour tous : il ne peut y avoir de décision prise dans un quartier sans que les habitants n’y soient associés.
C’est une petite révolution ! Mais attention, il ne s’agit pas de transformer les habitants en « conseillers municipaux bis » mais de les associer à l’élaboration de l’action publique dont ils profitent. D’ores et déjà, 380 conseils citoyens ont été créés et 800 sont en cours d’installation. Nous organiserons d’ailleurs, au printemps prochain, une grande convention pour tirer le bilan de ces conseils.
Ces conseils citoyens ne risquent-ils pas de connaître le sort des autres formes de démocratie participative, qui n’ont pas vraiment réussi à attirer les habitants les plus précaires ?
L’expression citoyenne dans les quartiers ne doit pas être un gadget. Je veux que les participants à ces conseils citoyens soient formés, par exemple, à la prise de parole en public, au montage de projet, à la connaissance des institutions… Je propose que chaque conseil puisse bénéficier d’un service civique pour accompagner la démarche, organiser les réunions.
De même, je souhaite que dans les 450 quartiers qui seront rénovés dans le cadre de l’Anru 2, il ne puisse y avoir de chantiers de rénovation urbaine sans l’existence d’une maison du projet. L’ambition est que les projets élaborés par les architectes et les urbanistes soient discutés avec les habitants. Deux millions d’euros seront dégagés pour financer la formation.
Mesure phare de la réforme de la politique de la ville, les nouveaux contrats de ville 2015-2020 ambitionnent de mobiliser les moyens de droit commun pour financer les actions dans les quartiers. Que ressort-il des premiers contrats signés ?
La grande majorité des 438 contrats de ville ont été élaborés et signés au cours de l’année 2015. L’exercice a parfois été difficile car ces nouveaux contrats réunissent jusqu’à 30 ou 40 signataires parmi les collectivités et les partenaires locaux. C’est d’ailleurs leur principale vertu : réunir autant d’acteurs qui s’engagent ensemble par voie contractuelle à apporter leur contribution.
Je ferai un bilan de ces contrats et de la mobilisation des crédits de droit commun au début de l’année 2016.
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