Dès la rentrée, l’Association des archivistes français (AAF) va entamer sa croisade pour faire revenir les archives dans le projet de loi « CAP » (création artistique, architecture et patrimoine). Elles ont été retirées de la dernière mouture adoptée en conseil des ministres le 8 juillet 2015. Cette décision inopinée du ministère de la Culture a suscité une vive déception dans la profession, aussitôt suivie d’une mobilisation de l’AAF pour solliciter l’attention de Matignon et des ministres concernés (culture, numérique), ainsi que des élus.
Soutiens parlementaires
« Les archives occupent tout le livre II du Code du patrimoine. Comment pourraient-elles être absentes de ce projet de loi, au-delà des dispositions relatives à l’outre-mer qui y figurent (1), » plaident Katell Auguié, présidente de l’AAF, et Romain Joulia, président de la section « archives communales et intercommunales » de l’association. Les archivistes pensent avoir d’ores et déjà gagné l’oreille attentive du directeur des patrimoines, Vincent Berjot, qu’ils ont rencontré le 1er juillet. Ils espèrent avoir, maintenant, le soutien des députés et sénateurs pour obtenir des amendements réintroduisant les archives dans le projet de loi, sur les trois points suivants :
- Une nouvelle définition légale des archives
- L’extension des possibilités de mutualisation aux archives définitives
- L’intĂ©gration, dans le champ des archives publiques, des archives produites par les personnes publiques en dehors de l’exercice des missions de service publique
A l’AssemblĂ©e nationale, oĂą l’examen du texte devrait commencer en commission le 20 septembre, le dĂ©putĂ© (PS) de Paris, Patrick Bloche, figure parmi les interlocuteurs privilĂ©giĂ©s que l’AAF a identifiĂ©s au Palais-Bourbon. Ce Ă double titre : prĂ©sident de la commission des affaires culturelles, l’Ă©lu parisien a Ă©galement Ă©tĂ© dĂ©signĂ© rapporteur du projet de loi « CAP » le 15 juillet.
Définition à compléter
La dĂ©finition des archives en vigueur (art.211-1 du Code du patrimoine) ne prend pas encore en compte les documents et donnĂ©es dĂ©matĂ©rialisĂ©s. L’AAF plaide donc pour que les archives soient dĂ©sormais dĂ©finies comme « tout document physique et numĂ©rique ». « Finalement nous avons optĂ© pour une dĂ©finition mentionnant les documents numĂ©riques et non les donnĂ©es », souligne Romain Joulia. Car cela Ă©vite, en cas de litige, que la Commission d’accès aux documents administratifs CADA se dĂ©clare incompĂ©tente. L’enjeu d’un tel amendement est de conforter le rĂ´le des professionnels des archives dans l’univers numĂ©rique.
Gestion mutualisée des archives numériques définitives
Dans l’état actuel des choses, la loi n’autorise les démarches de mutualisation que pour les archives courantes et intermédiaires (article 212-4 du Code du patrimoine). Impossible donc de mettre en œuvre une plateforme électronique mutualisée entre collectivités, pour la conservation définitive des archives électroniques.
« Cela va à rebours des incitations du gouvernement à la mutualisation, relève Romain Joulia. L’enjeu est de mettre en commun des moyens pour des projets que les collectivités sont rarement en mesure de mener à bien toutes seules et qui nécessitent d’agréger des compétences scientifiques et techniques. »
Aujourd’hui existent des projets portĂ©s par quelques (rares) collectivitĂ©s, mais ils ne prennent pas en compte les trois âges des archives. Pour les archives dĂ©finitives, chaque collectivitĂ© doit prĂ©voir une solution informatique permettant de basculer vers un autre système de stockage. Soit des projets qui deviennent vite « pharaoniques » selon l’AAF, pour rĂ©-internaliser en aval ce qui a Ă©tĂ© mutualisĂ© en amont, avec un coĂ»t exorbitant pour la plupart des collectivitĂ©s. « C’est d’autant plus un facteur de blocage pour le dĂ©veloppement de l’archivage Ă©lectronique que les responsables des services informatiques municipaux, comme les DGS et les Ă©lus, se disent qu’il s’agit toujours des mĂŞmes archives. Ils ne sont donc pas enclins pas Ă prĂ©voir plusieurs systèmes d’information pour leurs diffĂ©rents âges, parce que c’est trop compliquĂ© et trop coĂ»teux. En matière d’archives, nous avons besoin de cohĂ©rence », souligne Katell AuguiĂ©.
Élargir le champ des archives publiques
Dans l’état actuel des choses, le champ des archives publiques est rĂ©duit aux archives produites dans le cadre de l’exercice d’une mission de service public (art. 211-4 du Code du patrimoine). Ce, Ă la suite de l’ordonnance n° 2009-483 du 29 avril 2009. «Ce qui a pour effet d’exclure du pĂ©rimètre des archives publiques une partie de la production documentaire des personnes publiques, explique Romain Joulia. C’est le cas, par exemple, des archives produites dans le cadre de la gestion du domaine privĂ© de l’État et des collectivitĂ©s territoriales : les dossiers relatifs aux forĂŞts domaniales, aux parcs de logements, aux chemins ruraux, aux presbytères, etc.» ConsĂ©quence, cette production Ă©chappe au contrĂ´le des Ă©ventuelles Ă©liminations, Ă l’obligation de transfert dans un service public d’archives, Ă l’inaliĂ©nabilitĂ© et Ă l’imprescriptibilitĂ©. Quant aux citoyens, ils n’y ont pas accès. L’AAF souhaite que les parlementaires corrigent cette lacune.
En outre,  la loi du 15 juillet 2008 a également exclu du périmètre des archives publiques les archives des entreprises publiques, tant nationales que locales (sociétés d’économie mixte et sociétés publiques locales). « Ces satellites des collectivités grignotent de plus en plus de terrain sur l’action publique. Il faut que les services d’archives aient un droit de collecte et de communication sur leurs archives, qui sont de grand intérêt pour les historiens, observe Romain Joulia. C’est, par exemple, le cas des sociétés qui gèrent les transports publics urbains, pour l’histoire des transports, ou des SEM d’aménagement, pour l’histoire de l’urbanisme.»
La loi du 15 juillet 2008 a exclu du périmètre des archives publiques les archives des entreprises publiques. Tramway de Nantes, Cramos, CC BY-SA 3.0Pourquoi pas une nouvelle loi sur les archives ?
Deux jours après l’annonce du retrait du volet « archives » du projet de loi « CAP »,  le 4 juin 2015, l’Association des archivistes français (AAF)  a publié un communiqué intitulé « Pourquoi la France a besoin d’une nouvelle loi sur les archives ».
Aujourd’hui, si les arguments restent les mêmes, les archivistes jugent plus judicieux de batailler pour obtenir des amendements au projet de loi « CAP », perspective tangible, plutôt que de tabler sur une hypothétique future loi dédiée aux archives. L’encombrement du calendrier parlementaire, la proximité de l’avant-campagne présidentielle de 2017, qui va figer les réformes, et la crainte de se voir opposer le fait qu’une loi sur les archives a déjà été votée en 2008 (loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives) ont conduit les responsables de l’association à privilégier la voie de l’amendement, jugée plus réaliste. «La loi de 2008, dans ses grandes lignes, nous convient, à ceci près que des ajustements sont aujourd’hui nécessaires, observe Romain Joulia, président de la section « archives communales et intercommunales » de l’AAF. Elle a le principal défaut d’avoir été élaborée, au stade du projet de loi, dans les années 1990 et de n’avoir donc pas pris en compte l’essor du numérique. »
Thèmes abordés
Notes
Note 01 l’article 44 du projet de loi prévoit notamment d’adapter le régime de dépôt des archives aux spécificités territoriales des « trois Saints » : Saint-Barthélémy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon Retour au texte









