Il était écrit que les périmètres des EPCI seraient un enjeu en 2015. La loi Pélissard-Sueur de février 2012 prévoyait une « clause de revoyure » des schémas intercommunaux l’année qui suivait les élections municipales. Nous y sommes. Mais certains territoires anticipent déjà la perspective d’un nouveau seuil, inscrit dans le projet de loi Notre, tandis que d’autres préfèrent attendre la fin des débats.
Selon le délégué général de l’Assemblée des communautés de France (ADCF), Nicolas Portier, « certains préfets attendent la fin de la discussion parlementaire, dans d’autres on propose une fusion à 76 communes… Ce n’est pas la même chose si l’on part à 15.000 ou à 20.000. Il faudra du temps pour la mise en œuvre de fusions bien préparées, expertisées ». Selon un sondage de l’ADCF, dans la moitié des départements les échanges plus ou moins informels avaient commencé. Voici quelques cas de figure qui illustrent cette diversité de situations.
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Dynamique d’agrandissements dans le Puy-de-Dôme
Le préfet du Puy-de-Dôme, Michel Fuzeau, par exemple, a déjà mis sur la table une hypothèse de travail, sur la base de 20.000 hab. par EPCI, qui verrait le nombre d’intercos puydômoises chuter de 44 à 14.
« A partir du moment où le projet de schéma est présenté par le préfet, c’est une phase officielle qui commence, avec des délais très précis. Nous avons souhaité favoriser une discussion avant, dans des groupes de travail par arrondissement, plutôt qu’après, pour éviter d’être prisonniers de la procédure », explique-t-il.
« Il y aura des modifications, mais à la marge », considère Michel Fuzeau. Ensuite, il y aura encore du travail. « C’est vrai que ce sera compliqué de rapprocher les compétences. Mais l’année 2016 pourra servir à cela. Nous avons prévu des crédits pour venir en appui, à travers des études. » Rassembler des territoires pertinents permettant la mutualisation, voilà le cap. « Il ne faut pas faire de calculs d’apothicaire pour savoir combien on gagne ou l’on perd en dotations avec telle ou telle commune », résume le préfet.
Au point mort dans le Cher
Dans le Cher, « la préfète nous a réunis une fois et elle a pris acte de l’opposition d’une majorité des élus, vent débout contre cette décision imposée d’en haut », assure Denis Durand, maire de Bengy-sur-Craon (679 hab.), membre d’une communauté d’à peine plus de 5.000 hab et représentant de l’association des maires ruraux. « Fusionner deux intercos existantes qui n’ont rien à voir en termes de compétences, c’est tuer l’existant pour créer une interco hors-sol, une usine à gaz qui ne respecte pas la libre administration des collectivités ».
Plusieurs hypothèses dans l’Allier
Dans l’Allier, le préfet a présenté trois hypothèses de fusion des 21 communautés existantes, pour passer à 3, 4 ou 7 intercos. « Sans prendre en compte les éventuelles mesures dérogatoires pour des territoires à faible densité » regrette Jean-Paul Dufregne, président de la CC Bocage bourbonnais, ce qui impliquerait de décomposer les actuelles intercos.
Plus que le débat sur les seuils, qui, ils espèrent, sera vite tranché, les élus s’inquiètent des délais de mise en œuvre.
« Il n’y a pas deux communautés qui ont les mêmes compétences, il y a beaucoup de différences sur les choix de fiscalité, des taux forts différents. Comment conduire tout ce travail sereinement ? Je ne vois pas. La loi n’est toujours pas votée, elle ne le sera que pendant les vacances, ensuite il faut mener les procédures au pas de course en 2016, pour être prêts le 1er janvier 2017. Qu’est-ce qu’on fait de nos concitoyens dans tout ça ? Déjà le redécoupage des cantons a été mal reçu. Il faudrait se donner le temps du mandat. Pour geler les investissements locaux, on ne s’y prendrait pas autrement. Il serait bon que nos énarques, infaillibles, sûrs de tout, se mettent à la place des gens de terrain », peste Jean-Paul Dufrègne.
Pas de révolution en Haute-Savoie
L’agglomération de la rive française du lac Léman verra-t-elle enfin le jour ? Rien n’est moins sûr. Les schémas intercommunaux de ces quinze dernières années n’ont jamais réussi à ce que les deux voisins Thonon-les-Bains (34 660 hab.) une des dernières communes isolées de France, suite à la décision du Conseil constitutionnel qui a fait jurisprudence, et Evian-les-Bains (8527 hab.) -via la CC du Pays d’Evian, (32 080 hab)-, travaillent ensemble au sein d’une seule intercommunalité, malgré leur appartenance au même bassin de vie.
« Dans les récents travaux de la CDCI, nous allons proposer la création d’une communauté d’agglomération avec les CC du Bas Chablais (36 000 hab.), la CC des Collines du Léman (11 145 hab.) et Thonon-les-Bains. Mais sans Evian, dont le maire assure que tant qu’il sera là, ça ne se fera pas. Et ce malgré tous les syndicats intercommunaux qui nous rapprochent. C’est un problème politique, ancestral, les préfets affrontent ici ce que certains appellent les ‘émirats de l’eau’ », regrette le maire de Thonon-les-Bains, Jean Denais.
Plus généralement, le maire de Thonon considère que la carte intercommunale haut-savoyarde ne va pas se trouver bouleversée : « Il y a des discussions, mais en Haute-Savoie il y a des communes que l’on peut qualifier de riches, et l’intercommunalité n’est pas dans la culture. Par rapport à d’autres départements, il n’y pas la même réactivité ni les mêmes besoins ».
Au final, le nombre d’intercos haut-savoyardes (deux communautés d’agglomération et 27 de communes) risque de ne pas être plus élevé que les doigts d’une main.
Dérogations indispensables pour le Cantal
Avec 17 communautés de communes et une d’agglomération, le Cantal attend tout des dispositions dérogatoires. « Le seuil n’est pas du tout adapté à notre territoire. Il est indispensable que des dérogations concernent notre département. Avec un seuil à 20.000 hab., dans le nord du Cantal il faudrait plus de 60 ou 70 communes, et des distances de plus de 60km. » assure le sénateur Pierre jarlier, président de la CC du Pays de Saint-Flour, dont l’élection à la Haute assemblée a été invalidée il y a peu.
Du dialogue et des craintes dans l’Aisne
Dans l’Aisne, où 17 des 27 communautés sont concernées par la question des seuils, « le préfet a organisé une seule réunion et a souhaité que les élus se parlent entre eux. Mais les seuils posent de graves problèmes de cohérence. Il n’y aura plus de projet, de communauté de destins, si pour atteindre les seuils il faut monter à 70 ou 80 communes. Dans le secteur de le Thiérache, dans le nord de l’Aisne, ces inquiétudes se posent. Le message lors des dernières élections départementales a été clair : ne nous oubliez pas, on ne veut pas crever dans notre coin. A force d’agrandir les cantons, les régions, les intercos, les citoyens ne vont plus adhérer au système administratif », souligne le conseiller régional Christophe Coulon, chargé de mission au département sur la loi Notre. Et pourtant, le mouvement d’agrandissement, à tous les étages, ne fait que commencer.
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