Il avait beau avoir une bouteille de Vittel devant lui, c’est bien “du petit lait” que buvait Thierry Mandon, le secrétaire d’Etat en charge de la Réforme de l’Etat et de la Simplification, en écoutant Jean Pisani-Ferry présenter le rapport de France Stratégie sur “l’action publique de demain”, avec le renfort de la marraine et du parrain de ce travail, Anne-Marie Idrac et Martin Vial.
Aux anges, car ce travail qu’il a commandé et qui fait suite au rapport Quelle France dans dix ans est “un acte de foi dans les politiques publiques qui fait du bien à entendre, une exigence de qualité et d’efficacité” et qu’il “dessine une aventure pour les hommes et les femmes qui peuvent être tentés par la fonction publique”.
Le petit lait est si goûtu que ce travail sera, promet Thierry Mandon “le cadre explicite des réformes que nous allons entreprendre”, à commencer par les annonces qu’il doit faire en conseil des ministres le 22 avril sur les services déconcentrés de l’Etat (voir encadré) : “je proposerai de viser en référence les points de votre rapport.” Plus encore, il va “parler au Premier ministre cet après-midi [13 avril, NDLR]” de la possibilité de les glisser dans les réformes.
Il n’y a pas le choix, si le secrétaire d’Etat veut donner au travail de France stratégie une chance d’échapper au cimetière des rapports, déjà hantés par des cohortes de documents qui attendent de prendre vie sous forme de mesures concrètes. En effet, son horizon,10 ans, “n’est pas si nébuleux”, a souligné le commissaire général Jean Pisani-Ferry en introduction du colloque qui accompagnait sa remise.
L’Etat, ce vieil oncle dépassé
Le constat des auteurs est celui d’une réforme nécessaire, car le service rendu par l’Etat n’est pas à la hauteur des moyens qui y sont mis. Il subit les coups de boutoirs d’autres acteurs privés et ne s’est pas encore adapté au numérique. Citoyens, entreprises et agents ne s’y retrouvent plus dans une action publique complexe et lourde. L’alternative ? Aucune, à part subir et dépérir encore davantage, estime le commissaire général, qui ne voit qu’une porte de sortie :
Si nous ne sommes pas capables de repenser l’action publique, d’autres le feront pour nous.
Avec la désagréable sensation d’être placé entre le marteau et l’enclume : d’un côté, le rapport souligne que “la méthode du ‘rabot’, largement utilisée jusqu’ici pour contenir la progression des dépenses, est peu efficace, voire contreproductive”, de l’autre, “les contraintes sur les ressources sont dures, elle sont là pour durer”, affirme Jean Pisani-Ferry.
Remise du rapport #APDD Qu’elle action publique pour demain? 5 objectifs 5 leviers pic.twitter.com/6583z3NwqY
— France Stratégie (@Strategie_Gouv) April 13, 2015
Un volontarisme en cinq objectifs
“Optimiste” et “proactif”, pour reprendre les adjectifs de l’ancienne présidente de la RATP et de la SNCF, Anne-Marie Idrac, le rapport fixe cinq objectifs.
Le premier, “répondre à des besoins en constante évolution”, implique de penser l’action de l’Etat comme un “work in progress”. “L’Etat doit être dans des perspectives de changement durable et permanent, c’est le grand changement, issu du numérique, indique Thierry Mandon. Il doit aussi être modeste dans le contenu de la transformation.” Changement durable et permanent, modeste : un paradigme à deux facettes bien utile pour justifier un choc de simplification qui s’est, pour l’instant, transformé en chiquenaude aux allures d’usine à gaz.
Tel un gourmand dans un magasin de chocolat à Pâques, l’Etat n’a pas réussi à se fixer de priorités et à s’adapter, contrairement à de nombreux voisins. Il faudrait donc, second objectif, “expliciter les priorités et leur allouer les moyens nécessaires”.
Parmi les bons élèves, figurent la Grèce, le Portugal et l’Irlande… , autant de pays dont le service public a subi une sévère cure d’austérité suite à la crise. A contrario, la Suède ou la Finlande sont, comme la France, peu sélectifs, alors que leur modèle est souvent vanté.
Toutefois, le rapport précise qu’il “faut se garder ici des visions simplistes” et que choisir peut se traduire par “changer son fusil d’épaule”, explique Anne-Marie Idrac. Ainsi en matière de santé, il peut être plus judicieux de réaffecter davantage de moyens à la prévention plutôt qu’aux soins. Et de tailler au passage un costard à la LOLF et autre New public management, “dérives d’une action publique purement performative.”
Mais fixer des priorités se traduit aussi par “l’abandon de certaines missions”, et une plus grande ouverture au secteur privé, “citoyens, associations et entreprises”, ce qui peut faire écho à la “big society” de David Cameron.
Les normes dans le collimateur
Le troisième objectif a dû faire plaisir à Thierry Mandon, mais aussi à Alain Lambert, grand pourfendeur de la lourdeur normative : “appuyer la modernisation du pays” en simplifiant la réglementation. Le rapport invite à poursuivre les efforts entamés dans ce sens. Il pose également la question de l’adaptation de la loi aux start up disruptives du numérique – AirBnB, Uber… – en appuyant l’idée d’Axellle Lemaire, la secrétaire d’Etat au Numérique, de créer une catégorie de données d’intérêt général que même les acteurs privés devraient mettre en open data.
Pour “rendre des comptes”, le quatrième objectif, conformément à l’article 15 de la DDHC, il faut pouvoir identifier un responsable dans la chaîne de responsabilité. Or la complexité actuelle de l’organisation de l’action publique ne le permet pas, synthétise le rapport.
L’aspect humain du changement, autrement dit le management, est l’objet du cinquième objectif : “impliquer les agents publics”. Avec un constat sans faux semblant : “Il n’existe pas en France, de véritable management public” et “on dépense, voire gaspille, une quantité importante de potentiel managérial”. Et d’appeler à sortir des prés carrés pour aller dans le champ de la “compétence collective”. Le rapport invite aussi à laisser davantage d’autonomie aux agents, dont “la capacité à innover n’est pas suffisamment reconnue et valorisée”, de bas en haut.
Mode d’emploi théorique
Ces constats n’ont rien de fondamentalement nouveau et butent toujours sur la question de la mise en oeuvre effective. La seconde partie du rapport détaille “cinq leviers pour agir”.
Le premier levier coule de source : “sélectionner et définir les missions”.Il suppose de systématiser le recours à l’évaluation des politiques publiques, “de manière indépendante, transparente et plurielle”, à hauteur de 0,01% du budget, ex ante et a posteriori.
Actuellement présentée comme une démarche unique à un instant T, la revue des missions de l’Etat doit “revenir au moins une fois par quinquennat” soutient l’équipe de France Stratégie.
Sans surprise, le “millefeuille territorial” reçoit son coup de simplification, afin d’aller “au bout de la logique de décentralisation”. France stratégie “propose une structuration autour d’une maille communale redéfinie à partir des bassins de vie, débouchant à terme sur la suppression du département”. Une proposition qui fait écho à la position de Manuel Valls avant que le lobbying des départements n’aboutisse à la résurrection de cet échelon lors de l’examen du projet de loi NOTRe, et au rapport du CGET sur l’intercommunalité.
La question du maintien des services déconcentrés de l’Etat, dénudés par la RGPP et la MAP, est posée dans ces termes : “Hors domaines régaliens et missions explicitement définies, réexaminer quels sont les bénéfices du maintien des responsabilités de l’administration territoriale de l’État au regard de délégations aux collectivités ou à des agences”.
Cette idée rejoint celle qui trotte déjà dans la tête de Thierry Mandon, et devrait donc se glisser sans surprise dans les annonces prévues fin avril, début mai, sur la revue des missions de l’Etat.
Le chapitre “clarifier les rôles”, se recentre sur la sphère étatique. Il suggère par exemple de “généraliser le recours à des comités de sélection pour les nominations “aux emplois supérieurs”, de redonner à la LOLF “un rôle de pilotage stratégique” ou encore de “revoir la gouvernance des agences et établissements publics pour distinguer plus strictement celle-ci du management.” Des propositions très “Cour des comptes”.
Les agents, le nerf du changement
Le troisième point s’attaque au management en invitant à “mettre les gestionnaires publics en situation de responsabilité”. Les outils principaux sont le recours accru aux contrats d’objectifs et de gestion, voire tout bêtement la formation des gestionnaires publics au management.
La méconnaissance du numérique est un point faible à traiter, en vue de favoriser davantage “le management participatif et collaboratif”.
Sur la question des rémunérations, France Stratégie suggère de mieux payer des agents moins nombreux, de favoriser la mobilité et d’ouvrir le recrutement pour mieux répondre aux besoins.
Financer les transformations de l’action publique
“Diversifier les services publics” constitue le quatrième levier. Il s’agit là de trouver l’équilibre entre l’égalité des citoyens devant l’accès au service public et une personnalisation permise par le numérique.
Le numérique, constat déjà ancien, permet une présence fine sur les territoires. Toutefois, il ne doit “pas rayer l’humain du process”, met en garde le rapport, a fortiori face à des publics fragiles.
La logique du guichet multicanal avec des agents polyvalents est privilégiée. Également encouragée, la co-construction des politiques publiques, facilitée aussi par le numérique, à l’instar de Ma ville demain, organisée par Nantes.
Le dernier point invite à “innover et investir pour transformer” en soulignant l’intérêt des démarches de design de service public centré usager, entre autres. Des moyens doivent être mobilisés à cet effet, avec une “réserve interministérielle de modernisation”, “mécanisme de
soutien aux projets d’investissements de transformation de l’action publique, permettant de réinvestir des économies de dépenses dans un fonds destiné au financement d’actions de modernisation et à la prise en charge de surcoûts temporaires induits par des réformes de politiques publiques.”
Une idée dont le programme de “transition numérique de l’Etat et modernisation de l’action publique”, financé à hauteur de 126 millions d’euros via le programme investissement d’avenir (PIA) donne un avant-goût.
La carte des préfectures de région se précise
Le calendrier sur la réforme des services déconcentrés a été précisé lundi 13 avril, le jour même où Europe1 dévoilait une carte provisoire des préfectures de région : lors du conseil des ministres du mercredi 22 avril, “le gouvernement présentera les principes et le calendrier de la réforme de l’Etat en régions, à la suite de la nouvelle carte adoptée par le Parlement. Seront également arrêtées les mesures d’accompagnement des agents dans le cadre de cette réforme. […] Les fonctions des préfets préfigurateurs des régions seront déterminées, et les directeurs d’ARS et les recteurs désignés. Ils seront chargés de préfigurer et coordonner la réforme, de conduire le dialogue avec les élus et les organisations syndicales, pour arrêter le projet territorial à la base de la réforme.
La suite aura lieu cet été, après la phase de concertation : “le gouvernement pourra arrêter par décret la liste des chefs-lieux provisoires, nécessaires à l’organisation des élections. Les chefs-lieux définitifs seront arrêtés en juillet 2016, après renouvellement des conseils régionaux en 2015.”
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